AUGUSTE BOURDONCLE

Curé du Port d'Agrès


Membre de la Société des Lettres de l'Aveyron

 

Notre-Dame de Gironde

 

 

RODEZ

1955

 

 

 

 

 

ERUDITION ET RELIGION

 

L'ouvrage que M. l'abbé Bourdoncle se décide enfin à livrer au public est le résultat d'un long travail et d'immenses dépouillements. Comme l'écrivait, le 27 mars 1845, notre grand historien Alexis Monteil à l'abbé Bousquet, curé de Buzeins et lui aussi excellent travailleur pour les recherches  historiques « il faut avoir du courage : le courage ne suffit pas, il faut avoir de l'obstination ». Ces qualités n'ont pas manqué à l'historien de Notre-Dame de Gironde.

Les études d'aspect au premier abord assez limité sont souvent celles qui nécessitent le plus d'efforts, car il faut parcourir de nombreux ouvrages ou documents pour trouver le petit détail qui seul concerne directement le sujet envisagé. On sera étonné du nombre de références, toutes scrupuleusement indiquées, qui permettent la vérification par les textes du moindre détail. On admirera la façon dont ces détails s'entrecroisent et s'enchaînent pour donner à l'ouvrage, le grain serré de l'étoffe soigneusement tissée. Travail d'artisan, travail de temps et de patience que celui de l'érudit. II doit pourtant savoir aussi s'élever au-dessus de son ouvrage, dégager les traits généraux de l'évolution à travers le fouillis des cas particuliers, faire les comparaisons les plus étendues dans les domaines les plus différents.

Pour la monographie d'un pèlerinage, trois aspects doivent être envisagés : site et histoire, archéologie (monument et objets d'art), religion et dévotion, celui-ci le plus difficile. M. l'abbé Bourdoncle n'a failli pour aucun.

 

Il a d'abord situé dans l'espace et le temps la chapelle qui lui est chère. Il aurait pu, en utilisant la masse de documentation par lui réunie, s'étendre bien davantage, mais il a su se borner. Il était pourtant bien nécessaire de retracer comme il l'a fait, avec sobriété et précision, l'histoire de la paroisse du Port - d'Agrès, du château de Gironde et de ses seigneurs.

Particulièrement précieuses nous sont les indications concernant le rattachement à la grande abbaye de Conques de la paroisse de St-Saturnin « ad portum Acri ». M. Bourdoncle a eu la prudence de s'abstenir d'hypothèses sur le sens assez douteux de ce toponyme, que l'on retrouve pour des localités de l'Hérault, du Tarn et du Tarn-et-Garonne et qui est aussi en Quercy un nom de personne. Il nous indique du moins la présence d'un arrêt de la navigation commerciale sur le Lot, dès la plus haute époque, tandis que le patronage de saint Sernin (qui est celui de neuf autres paroisses en Aveyron) marque une christianisation ancienne et peut-être un rattachement primitif à la grande abbaye de Toulouse. C'est en 819 que le fils de Charlemagne, Louis-le-Pieux, en fit don à Conques, et l'acte qui en fait mention est aussi la première charte authentique des privilèges de cette abbaye, qui paraît avoir connu son véritable développement seulement après cette date. Avis aux érudits moins prudents à qui les splendeurs du fameux trésor et le miracle de sa conservation risquent de faire exagérer par trop la place chronologique et géographique du culte de sainte Foy dans l'occident carolingien. La prise de possession du port d'Agrès correspond au désir de l'abbaye de mettre pied sur une voie de circulation. Cette même politique devait provoquer en 839 la création de la succursale de Figeac, dangereuse voisine qui faillit éclipser l'abbaye mère. Que ce même parcours ait été celui des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, ce n'est pas douteux, mais M. Bourdoncle a bien fait de ne pas trop chercher à en préciser le détail, car ces touristes du passé suivaient volontiers le chemin des écoliers, au gré de leur fantaisie et de l'attraction de tel ou tel saint ou relique. Et l'on sait les fluctuations de ce genre de culte, soumis à une mode quelque peu capricieuse.

La dévotion à Notre-Dame de Gironde doit être rattachée directement au château de ce nom, à sa chapelle et à ses seigneurs. La position du rocher dominant le Lot a dû tenter très anciennement aussi bien les guerriers soucieux d'un refuge que les dévots cherchant un lieu élevé pour prier.

Personnage de premier plan dans notre histoire, Bégon II Bertrand qui en fondant, le 5 mai 1428, dans la chapelle de son château une chapellenie, c'est-à-dire un service régulier de culte, marque à la fois l'existence d'une dévotion particulière et l'intérêt qu'il y portait. Sa famille ne s'était installée à Gironde, sans doute par achat, qu'entre 1363 et 1375, et elle dut sans doute sa première fortune aux fonctions de bailli du paréage de Rodez (justice commune à l'évêque et au comte) exercées par Bégon I Bertrand (au moins de 1386 à 1389). Antoine de Castelnau-Bretenoux, suzerain de Gironde, chassa du château Bégon II, petit-fils du précédent, pendant sa minorité, comme inapte à le défendre. Celui-ci partit s'aguerrir en Italie en servant sous quelque condottiere, il en revint avec assez d'argent pour récupérer son fort et un précieux reliquaire pour sa chapelle, malheureusement perdu. Le texte original de sa donation est publié intégralement en pièce justificative, et c'est un document particulièrement précieux. C'est en ce même mois de mai 1428 que sainte Jeanne d'Arc s'en allait à Vaucouleurs trouver un autre homme d'armes, le sire de Baudricourt. La dévotion du seigneur de Gironde ne se trouva-t-elle pas accrue par la « grand pitié » qui régnait alors au royaume de France?

 

La documentation archéologique vient souvent à point pour étayer et compléter les textes, à condition qu'on l'utilise prudemment. M. l'abbé Bourdoncle n'y a pas manqué en toute occasion.

Nous n'avons plus le reliquaire italien de Bégon Bertrand, mais un autre, très intéressant, pour tenter de nous consoler. M. de Gauléjac a pu, grâce aux poinçons qui y sont insculpés, le rattacher au grand atelier d'orfèvrerie des Rayronie de Rodez (2e moitié du XVe siècle; ils furent tous deux surnommés Chiron, comme le centaure précepteur d'Achille, par une curieuse influence du pré humanisme), qui furent aussi les auteurs de l'admirable croix pédiculée de Salles-Curan, chef-d’œuvre du baroquisme flamboyant en Rouergue.

A côté des grandes œuvres d'art, l'érudition minutieuse de notre auteur n'a pas négligé les humbles artisans qui ont contribué à rajeunir la chapelle. J. Boulouis, menuisier-sculpteur de Trémouilles, fut l'auteur du nouvel autel en 1888 (et de nombreux autres où il est intéressant d'étudier, pour la dernière fois peut-être chez nous, la lutte entre la qualité artisanale et les regrettables influences de la mode parisienne et sulpicienne). En 1890, le chœur fut décoré par Fedele Ondolo, peintre italien demeurant à Rodez. Humble héritier des grands fresquistes du Quattrocento, il était aussi l'ultime représentant de la grande tradition d'émigration artistique qui lança du XVe au XIXe siècle vers la péninsule et vers Rome tant d'artiste, apprentis de tout l'occident, tandis que la grande maîtresse d'art diffusait elle-même ses préceptes par les émissaires ambulants qu'elle envoyait un peu partout. J'ai été heureux de retrouver à Gironde un modeste élément de ce grand sujet que j'ai particulièrement étudié.

 

Mais la pièce archéologique la plus importante et la plus ancienne est la statue de culte, dont le caractère archaïque nous confirme l'existence d'une dévotion bien antérieure à la fondation de Bégon Bertrand. Ayant eu l'occasion lors de l'ostension des Madones du Rouergue en 1951, puis sur la demande spéciale de M. l'abbé Bourdoncle, d'en étudier les détails quelque peu offusqués par les restaurations, j'ai pu la situer, comme celles de Grandvabre et surtout de Ceignac avec lesquelles elle offre de nettes parentés de composition et de style, dans la seconde moitié du XIIIe  siècle. Postérieure donc aux vierges noires romanes, d'Estables et de Lenne, postérieure aussi à la crise albigeoise qui entraîne une si forte coupure pour la civilisation et l'art méridional avec l'entrée massive de l'influence des français du Nord, la madone de Gironde marque pour l'archéologue un des tournants essentiels de l'évolution historique.

Doit-on craindre que ces précisions matérielles nuisent à la valeur mystique de la statue comme de son culte? M. l'abbé Bourdoncle ne l'a pas cru et il a su très bien limiter ou plutôt associer les différents domaines en marquant soigneusement les points où, comme il le dit lui--même avec la satisfaction du chercheur sérieux, « la tradition cède la place à l'histoire ». Domaine différents qu'il est dangereux de faire empiéter l'un sur l'autre en leur demandant plus qu'ils ne peuvent donner. Le tort est égal, de chercher la précision historique pour les époques où elle nous fait défaut, comme de vouloir en minimiser la portée quand elle existe.

Il n'y a rien d'étonnant que la première mention d'une confrérie de Notre-Dame de Gironde remonte seulement à 1571. Lacune des documents toujours trop mal conservés par ceux mêmes qui se disent épris de traditions, mais non des faits. Cette date, comme celle de 1428, comme celle des alentours de 1300 que nous donne la madone, marque une étape, le renouvellement constant qui fait suite à de mystérieuses origines.

Pourquoi dissimulerait-on que les longs procès entre les seigneurs et les chapelains ou prieurs ont eu des causes purement intéressées? L'avidité à se disputer les revenus de la chapelle n'en souligne-t-elle pas l'importance comme lieu de dévotion? On peut penser que les propriétaires laïcs n'auraient pas dû avoir de droits, mais n'étaient-ils pas les fondateurs et propriétaires et ceux qui se chargeaient de l'entretien? On doit reconnaître que la visite pastorale de 1739 souligne le mauvais, état de la chapelle et le peu d'intérêt que lui portaient l'un et l'autre pouvoir. Reflet d'une époque, et on pourrait analyser les raisons, pauvreté du pays, absentéisme des autorités.

Ces réalités une fois perçues avec sérénité, d'autres vérités n'en restent pas moins accessibles : la continuité au cours des siècles de la procession de l'Ascension, du grand pèlerinage du 15 août. Faisant peut-être trop belle la part de l'histoire, M. Bourdoncle y voit la preuve de la

«Mémoire de la race ». C'est au moins celle de la résurgence à chaque génération d'un besoin mystique profond. Et, n'est pas le moins admirable le pèlerinage du curé érudit et pieux qui tous les jeudis monte dire la messe à la chapelle qu'il a faite sienne par sa science en même temps que par sa foi.

Mais fusion n'est pas confusion. Notre de Bonald l'avait déjà marqué : « Beaucoup de gens lisent dans l'histoire et écrivent sur l'histoire : peu de gens lisent et écrivent l'histoire ». M. l'abbé Bourdoncle fait partie de ce petit nombre d'écrivains, je lui souhaite beaucoup de lecteurs de la même qualité.

 

Jacques BOUSQUET,

Ancien membre de l’Ecole française de Rome,
Archiviste en chef de l'Aveyron,
Conservateur du Musée des Beaux-arts de Rodez.

 

CHAPITRE I

 

Le Port d’Agrès

 

Le Site

 

Vers le nord-ouest du département de l'Aveyron, formé de l'ancienne province du Rouergue dont il reproduit presque les limites, non loin du Lot et du Cantal, se trouve une région où la nature forme les plus étranges contrastes. Avec sa riante plaine, ses gorges resserrées, ses hauteurs aux massives carrures, Agrès, couramment appelé Le Port d'Agrès, offre un panorama dont le pittoresque et le charme pourraient, dit - on, rivaliser .avec les beaux sites de la Suisse. Pus qu'ailleurs, en effet, la variété qui caractérise notre grand département a laissé sa vigoureuse empreinte d'un ensemble remarquable.

D'un côté, ce sont les derniers contreforts escarpés ou en pente douce des montagnes boisées au pied desquelles le Lot étend son cours, lentement, comme si les eaux ne s'éloignaient qu'à regret du beau pays qu'elles arrosent. De l'autre, les coteaux aux courbes accentuées ou nonchalantes où s'agrippe la vigne aspirent à flots les rayons du soleil.

Tel est l'encadrement de la belle et fertile plaine du Port d'Agrès que le Cadastre de 1651 nomme la paroisse de la rivière par opposition à la paroisse des puechs, c'est-à-dire des hauteurs.

Au fond de ce paysage, et le dominant à l'égal d'un suzerain, le château de Gironde, comme une protection ou une menace, avec ses murs de pierre fauve, détache son imposante silhouette. De sa base jusqu'au Lot, le chevauchement des rocs aux formes fantastiques dans la verdure des alentours ressemble à un troupeau préhistorique figé là subitement par un maléfice; dentelées ou taillées à pic comme par la pioche de quelque géant, se dressent leurs cimes presque arides.

Plusieurs fois séculaire, la bâtisse féodale recèle dans ses murs un peu de cette émanation mystérieuse qui survit aux êtres disparus; elle rappelle encore le souvenir d'une organisation sociale qui ne fut ni sans grandeur ni sans calamités, et qui a pris fin sous les coups de la Révolution.

Tout proche de l'antique manoir, la chapelle de Gironde paraît de loin attachée à ses flancs, comme pour en tempérer l'austère sévérité.

Le Port - d'Agrès, section de commune de Saint- Parthem, canton de Decazeville, est entouré des paroisses de Flagnac, Almont (1), Saint-Parthem, Saint-julien-de-Piganiol, Saint-Santin et Livinhac-le-Haut; cette dernière ainsi mentionnée par l'historien Alexis Monteil

« Petite, mais agréable plaine de Livignac. C'est un morceau de la Touraine, tombé au milieu de ces pays agrestes. La fertilité du terrain y est si grande qu'on peut cultiver en plein champ les plantes les plus délicates des jardins » (2).

 

(1) On écrit fautivement aujourd'hui Almon. Le plus élémentaire manuel de toponymie aurait appris qu'il faut écrire Almont, c'est-à-dire mont élevé, Altomonte mentionné en 976 dans le Cartulaire de Conques.

(2) A. MONTEIL., Description du département de l'Aveyron, Rodez, 1802, tome I, p. 67.

 

De l'affluent de la Garonne qui embellit et fertilise la région, la plupart n'en savent que le nom; par contre, les riverains ne liront pas sans intérêt les quelques données géographiques qui suivent. Le Lot, de son vrai nom Olt (Oltis des auteurs latins), prend sa source à 1.499 m. d'altitude, au pied du mont Lozère, dans les roches du Goulet, près du Blaymard. Il arrose Mende, reçoit la Coulagne, contourne une partie des monts d'Aubrac et de la Viadène, et entre dans-le département de l'Avey­ron un peu en amont de Saint – Laurent - d'Olt. Il baigne Saint-Geniez, Saint - Côme, Espalion et Estaing. A Entray­gues, le Lot reçoit la Truyère, principal affluent de la rive droite, « qui passe pour la rivière la plus sauvage de France » (1), devient navigable et prend son nom moderne de Lot. A 1 kilomètre, en aval de Grandvabre, au pont de Coursavy , face au village des Cazelles, il se grossit du Dourdou, l'affluent le plus considérable de la rive gauche, arrose Saint-Parthem, les plaines du Port - d'Agrès, de Flagnac et de Livinhac-le-Haut, contourne le bassin houiller de Decazeville, longe de Penchot à Capdenac la ligne du chemin de fer. Il fertilise ensuite Saint-Julien d'Empare et La Madeleine, et quitte le sol de l'Aveyron aux environs de Salvagnac-Cajarc. Après de nombreux méandres dans le Quercy, où il s'alimente encore du Célé, le Lot arrose Villeneuve-sur-Lot, et se jette dans la Garonne à Nicole, au-dessous d'Aiguillon, à 21 m d'altitude. Son parcours dans notre département est de 152 kilomètres, et la différence de niveau entre le point d'entrée (514 m. 17) et le point de sortie (144 m.) est de 370 m. 17, ce qui donne une pente moyenne de 2 m. 37 par kilomètre.

 

(1) Urbain ATHANE,  Précis géologique du département de l'Aveyron,. p..88, Rodez, Carrère, 1924.

 

 

Les rivières étaient jadis les routes marchantes utilisées pour la navigation et la traversée. Indépendamment des barques des particuliers, on se servait de bacs, bateaux longs et plats réunis par une poulie glissant le long d'un câble tendu d'une rive à l'autre. La rareté des ponts les avait multipliés pour le passage des personnes, animaux et charrettes.

Le bac du Port -d'Agrès est signalé à la même époque que celui des Pélies, commune de Grandvabre. Une transaction du 20 novembre 1453 entre noble Astorg d'Es­caffre, seigneur de Carègues, paroisse d'Agrès, habitant le Trioulou, diocèse de Saint-Flour et noble Antoine de Castelnau de Calmont baron de Saint-Santin, reconnaît que le premier a le droit de lever 3 émines de sel sur le Port - d'Agrès, le pontanier et celui qui tient le bac et d'autres redevances féodales (Arch. dép. E 608).

En 1791, les bacs de la région étaient au nombre de sept : Les Pélies, Agrès, Lacombe, Livinhac-le-Haut, Penchot, Bouillac et Capdenac.

A la question des bacs se rattache celle des péages, droit perçu dans les lieux déterminés sur les personnes passant par certains chemins ou traversant les rivières ou les ponts et les bacs. Le 3 février 1737, Jean Dufau, seigneur baron de Saint-Santin, demeurant en son château de Lafon, afferme à Pierre Héliès le port et passage du Port -d'Agrès avec tous les droits et profits qui en dépendent, moyennant 299 livres 10 sols par an.

La navigation du Lot en 1865 est mise en relief par le tableau suivant d'après lequel le Port -d'Agrès avait à lui seul un tonnage supérieur à celui des autres ports réunis avec un nombre de bateaux sensiblement égal.

 

 

 

 

 

 

 


Bateaux descendants (1)

 

Point de départ           Nombre           Tonnage

 

Entraygues                  6                      240

Saint-Sulpice               2                      29

Vieillevie                     4                      135

Saint-Projet                14                    283

Les Pélies                   4                      82

Le Port -d'Agrès         27                    883

Totaux            57                    1652

 

 

D'après un Mémoire d'Ysarn de Freissinet et de Pons de Caylus (Arch. dép. G 98), « le commerce d'Entray­gues à Bouillac consiste en merrein de chesne, et depuis peu d'années en merrein de hêtre ». Le Port d'Agrès servait de port d'embarquement au merrain qui descendait d'Auvergne.

L'importance du trafic du vin chez nous est ainsi mentionnée « Toute l'étendue du pays, à l'orient et au midi d'Aurillac, manque non seulement de vin, qu'on va chercher sur les rives du Lot depuis Le Port d'Agrès jusqu'à La Madeleine et Cajarc » (2).

En 1831, 1.200 charretées de vin passaient le Lot au bac du Port d'Agrès pour se rendre en Auvergne (Arch. dép. série S. Bac d'Agrès).

Le 25 mars 1836, fut adjugé au sieur Belinac la construction d'un pont suspendu au Port d'Agrès « en une seule travée de 90 mètres d'ouverture ». Contemporain du pont suspendu de Livinhac inauguré le 6 janvier de la même année (3), le pont d'Agrès devait faciliter les communications entre l'Auvergne et le Bassin Houiller.

 

 

(1) Emile VIGARIE, Esquisse générale du département de l'Aveyron, I, p. 96. Rodez, Carrère, 1927.

(2) Gustave SAIGE et comte de DIENNE, La Vicomté de Carlat, I, p. 762. Imprimerie de Monaco, 1900.

(3) DE BARRAU, Galerie des Préfets de l'Aveyron, II, p. 248 et suivantes.

 

 

Ce pont suspendu fut remplacé en 1925 par un pont en béton armé à trois articulations avec bielle pour un montant de 350.000 frs, Sous la direction de l'entrepreneur Boussiron et du chef de chantier Garenne, les travaux commencés en février prirent fin en novembre. Les épreuves faites le 1erdécembre permirent de conclure à l'absolue solidité du pont (1).

Il n'eut qu'une existence éphémère, car il fut victime de la guerre 1939-1945. Le chef de la résistance aveyronnaise, M. Freychet, avait prévu que les Allemands se replieraient en direction du nord. Les occupants du département et les blindés stationnés dans la région de Caylus (Tarn-et-Garonne) reçurent l'ordre de battre en retraite sur l'itinéraire Aurillac, Saint-Flour, Le Puy. Les maquis du Nord-Aveyron commandés par le colonel Journet avaient reçu mission d'empêcher les fuyards de franchir la coupure du Lot.

Une colonne légère allemande vint reconnaître les itinéraires. Le 10 août 1944, des motocyclistes arrivaient jusqu'au Lot par Decazeville. Le commandant écossais Mac Pherson dont l'Etat-major arrivait à Saint-Céré (Lot), pris d'une véritable folie de destruction décida de faire sauter les ponts sur le Lot. Il commença par Cour­savy et poursuivit par les ponts de La Cadène et de Bouillac.

Ces destructions étaient parfaitement inutiles et il fallut aller jusqu'à la menace pour empêcher le major écossais de détruire les autres passages de la Truyère et du Lot jusqu'à Saint-Côme. Le colonel Benoît sauva lui même le pont de Livinhac en enlevant le crayon du dispositif d'amorçage. Il arriva trop tard au Port - d'Agrès, et le 1l août, à 6 heures du soir, le pont s'effondrait.

La circulation fut alors déviée par la route de Livinhac, et un bac assura la traversée du Lot, permettant ainsi de dépanner notre région.

Un nouveau pont fut construit, comme le précédent, par l'entreprise parisienne Boussiron. Les essais concluants du 4 août 1948 le livrèrent immédiatement à la circulation, l'inauguration officielle eut lieu le 6 juin 1949.

 

 

 (1) Ch. DANTIN, Pont-route en béton armé sur le Lot à Port -d'Agrès (Aveyron). Paris. Le Génie civil, 1928, in-8, 15 pages avec figures.

 

Entrée dans l'Histoire

 

Si l'on remonte aux principes topographiques des lieux habités, on estimera que la vallée du Port d'Agrès a pu être très anciennement cultivée. Les tribus primitives s'arrêtaient par groupe pour se fixer aux rivages où la facilité du travail, la fertilité du sol, l'exercice de la chasse et de la pêche leur promettaient des moyens de subsistance. C'était l'opinion du regretté Camille Couderc, originaire de Livinhac, chargé de cours à l'Ecole des Chartes : « Je considère qu'en raison de sa situation sur le Lot, à un endroit où la rivière coule au milieu de deux belles plaines, le Port d'Agrès a dû être habité de très bonne heure ». Ce qui n'est qu'une probabilité pour l'époque celtique devient une certitude pour l'époque gallo-romaine.            .

L'occupation romaine, près de cinq siècles, a laissé en Rouergue de nombreuses traces de centres de population: urnes, amphores, monnaies de bronze, d'argent ou d'or, briques à rebord trouvées à diverses profondeurs et quelquefois en plusieurs couches. Ces fragiles débris ont duré plus que l'empire qui avait absorbé tous les autres. Contemporains de ce colosse qui dominait l'univers, ils lui ont survécu pour attester son existence fugitive et sa grandeur évanouie.

Mais s'il n'est guère de localité dont l'existence à cette époque soit établie par des documents authentiques, il en est tout autrement si nous faisons appel à la philologie et à la linguistique aveyronnaise. Les recherches d'étymologie mènent à des résultats réels et parfois considérables pour l'histoire. L'origine des mots, leurs éléments, leur formation, leurs applications successives contiennent des secrets précieux sur la vie des générations éteintes, et constituent de véritables documents historiques pouvant servir à compléter les annales écrites, et quand elles font défaut, à en tenir lieu clans une certaine, mesure.

De fait, les noms de lieux habités n'ont pas été généralement aussi modifiés que les mots du langage courant; ils gardent mieux que les termes usuels le souvenir de l'époque qui les a vu naître.

Un groupe est susceptible, plus que tout autre, de se plier à la recherche que nous tentons. Chacun a remarqué la fréquence de la terminaison « ac » dans les localités aveyronnaises; on en en compte plus de 600. Les Gallo-Romains firent suivre le nom de personne du suffixe « acum » pour désigner le domaine de celle-ci : Marcillac, Marcelli-acum; domaine de Marcellus.

« Suivez la vallée du Lot, de Saint-Parthem à Sal­vagnac-Cajarc. Vous serez frappés du nombre des lieux habités portant des noms en « ac », - villages, hameaux et châteaux - qui se succèdent le long de la rivière à des intervalles assez réguliers. On ne peut pas considérer qu'il y ait là un phénomène fortuit. Il faut voir dans cette série de toponymes, qui font partie de la même couche historique, la preuve d'une intense occupation de la vallée à l'époque romaine » (1).

Si nos grandes villes ont pour origine les antiques oppida celtiques, la plupart de nos paroisses et de nos communes rurales ne sont que les domaines des grands propriétaires romains dont elles conservent encore le nom et peut-être même les limites primitives. Nos Flanhac et Livinhac sont autant de Flaviniacum et de Liviniacum, bien-fondés d'un Flavinius et d'un Livinius.

 

 (1) Alexandre ALBENQUE, Les Rutènes, Carrère, Rodez, 1948, p. 224.

 

Vers 1870, l'abbé Cérès, archéologue distingué (1814-1887) fut avisé que dans les champs de La Lande, entre Livinhac et le château de Marcenac, on avait découvert des débris de poteries dont plusieurs charretées avaient été jetées au Lot. Il put cependant recueillir sur des tas de pierre des antéfixes qu'il offrit à la Société des Lettres, et dont la fabrication soignée annonçait évidemment une construction somptueuse de la belle époque des empereurs romains (1).

 

La proximité du Port d'Agrès avec Flanhac et Livi­nhac permet d'avancer que nous sommes comme ces deux localités, fils et petits-fils de Romains et de Gaulois.

 

Autour des origines chrétiennes

 

« C'est pendant la période (313-476) que le christianisme s'est implanté dans les campagnes de la Gaule et que les paroisses rurales ont reçu une organisation complète » (2). M. le chanoine Griffe, professeur d'Histoire ecclésiastique à l'Institut Catholique de Toulouse nous donne sa pensée au sujet des plus lointaines origines de l’Eglise de France. « Ces origines, dit-il, remontent aux missionnaires orientaux qui vinrent à Lyon vers le milieu du IIe siècle et qui se rattachent aux successeurs immédiats des premiers témoins du christianisme. Leur œuvre d'évangélisation s'est continuée sans interruption et avec un tel succès que, dès les IIIe et IVe siècles, l'Eglise a pu s'épanouir largement et s'installer solidement sur le sol de la Gaule ». Le même auteur estime que « le IVe siècle a été peut-être le siècle le plus fécond et le plus heureux de notre histoire religieuse, puisqu'il a fixé, pour les siècles à venir, les traits essentiels de la Gaule chrétienne » (3)

 

 

(1) Procès-verbaux de la Société des Lettres de l'Aveyron, VII (.1869), p. 99.

(2) Abbé Louis SALTET, Histoire. de l'Eglise, Paris, de Gigard, p. 88.

(3) Chanoine GRIFFE, La Gaule chrétienne à l'époque romaine, 1. Des origines chrétiennes à la fin du IVe  siècle. Paris, Picard.

 

 

L'homme qui « amena véritablement la Gaule au Christ » fut saint Martin, évêque de Tours de 372 à 397. C'est lui qui a fixé les destinées et assuré le triomphe du christianisme gaulois.

 

Vers l'an 400, au moment où allaient commencer les grandes invasions, la Gaule était chrétienne, et son Eglise, par sa hiérarchie et son organisation constituait une société admirable qui devait seule subsister dans l'Empire en dissolution.

« On ignore à quelle époque les premiers missionnaires chrétiens arrivèrent en Rouergue. Ce ne fut certainement pas avant la seconde moitié du IIIe siècle .En tout cas, l'apostolat de saint Amans que la tradition considère comme le premier évêque de Rodez ne saurait être antérieur à l'édit de Milan (3I3)... Saint Amans, s'il est vraiment le premier apôtre des Ruthènes, a donc vécu au plus tard dans la seconde moitié du IVe siècle » (1). Quoi qu'il en soit, l'œuvre d'évangélisation se poursuit activement au Ve siècle dans les paroisses rurales.

A ces données générales le Cartulaire de l'abbaye de Conques apporte un document précieux pour notre histoire locale. Par la charte du 23 août 838, Pépin, roi d'Aquitaine, confirme au monastère les donations précédentes et l'enrichit de nouvelles possessions parmi lesquelles Flagnac avec ses trois anciennes églises, dont l'une en l'honneur de saint Jean, l'autre en l'honneur de saint Martin (villam Flaginiacum cum tribus quondam ecclesiis, quarum una sub honore sancti Johannis, altera sub honore sacri Martini) (2).

Ces églises étaient donc, au IX siècle, loin d'être récentes. Leur antiquité peut être partagée par celle du Port d'Agrès, leur voisine, donnée également au monastère de Conques dix-neuf ans auparavant, et qui avait été construite en l'honneur de saint Saturnin. Or, à cette époque, on ne changeait pas les patrons des églises. Si donc, notre paroisse était, au IXe siècle, sous le vocable du premier évêque de Toulouse, c'est qu'elle lui avait été dédiée à sa fondation.

Saint Saturnin, fondateur de l'église de Toulouse dans la première moitié du IIIe siècle, termina son apostolat par le martyre. Si la date de son arrivée dans cette ville ne peut être fixée avec précision, on connaît, par contre, l'année de sa mort. Ce fut en 250 qu'il eut à rendre témoignage, à la suite de l'édit de persécution promulgué par l'empereur Dèce (3). Sur son refus de sacrifier aux dieux, on le soumit à un supplice atroce qui laissa une profonde impression dans la mémoire des premières générations chrétiennes de Toulouse.

(2) Gustave DESJARDINS, Cartulaire de l'abbaye de Conques en Rouergue. Paris, Picard, 1879.

(3) Sous Dèce (250-251), la persécution a duré un an et demi.

 

Au début du Ve siècle, un clerc toulousain, eut l'heureuse pensée de recueillir les vieux souvenirs qu'on ne cessait de se transmettre, mais qui n'auraient pas tardé à s'altérer avec la barbarie des siècles suivants, et il rédigea un récit émouvant de la mort du saint martyr. L'histoire de saint Saturnin était désormais fixée dans un texte suffisamment autorisé.

Ce texte vénérable est arrivé jusqu'à nous : c'est la Passio sancti Saturnini.

C'est un des plus précieux documents que nous ayons sur les origines du Christianisme en Gaule. Il reste la source unique au sujet de ce martyr. Tout est là, et ce que l'on peut trouver de plus ailleurs est sans fondement.

Le nom de saint Saturnin, « la gloire de la ville de Toulouse », devint fameux dans l'Eglise entière et surtout dans nos contrées. Au VIe siècle, « saint Africain éleva une église en l'honneur de saint Saturnin sur les bords de la Sorgue, dans la viguerie de Curie (in vicaria Curiensi) ; ce lieu devint dans la suite la petite ville de Saint-Affrique » (1). Dans le diocèse de Rodez, une dizaine de paroisses l'ont pour patron.

Une vénération si populaire paraît suffisante pour légitimer le choix que nos ancêtres firent de saint Saturnin comme patron de leur église. Il convient aussi de noter que le royaume Wisigoth dont la région toulousaine était le centre prolongea sa domination en Rouergue du Ve siècle jusqu'au début du VIIe.

 

Sous la dépendance des abbayes de Conques et de Figeac

 

Fondé entre 790 et 795, suivant plusieurs historiens, le monastère de Conques aurait reçu la visite de Charlemagne, mort le 28 janvier 814. Son fils Louis le Débonnaire, devenu roi de France, enrichit l'abbaye de nombreuses fondations. Donnée à Aix-la-Chapelle, le 8 avril 819, la charte où elles sont consignées, après avoir raconté la fondation du monastère, signale en détail les églises et leurs dépendances qui devinrent sa propriété : Sénérgues, Cam­puac, Saint-Christophe de Montignac, Garcangas avec la cour de Gamalerie (2). De même       « une autre église à Port d'Agrès construite en l'honneur de saint Saturnin » (et aliam ecclesiam ad Portum Acri sub honore Sancti Satur­nini constructam) (3). Pareillement les églises de Saint-Sauveur dans le pays des Ers (4), de Bournazel, Roussen­nac, Rulhe, Salvagnec, Grandvabre.

Au cours du IXe siècle se produisit un événement qui changea notablement les destinées du monastère : la translation du corps de sainte Foy. Les reliques de cette jeune vierge martyrisée à Agen, sous l'empereur Dioclétien, excitèrent la convoitise des moines de Conques. L'un d'eux se rendit à Agen, demanda à être admis parmi les religieux qui possédaient le corps de sainte Foy, gagna leur confiance, déroba les reliques et les emporta à Conques pour n'en plus sortir.

Le culte de l'illustre martyre acquit une prodigieuse extension. Les chemins du Rouergue, de l'Aveyron, du Quercy s'animèrent d'une vie extraordinaire et, de proche en proche, par les grandes voies, la puissance d'attraction des insignes reliques se fit sentir sur toute la Gaule. Le pèlerinage de Conques s'éleva rapidement à l'un des premiers rangs parmi les plus célèbres du Moyen Age.

Les pèlerins ne se bornèrent pas à apporter de riches offrandes; ils voulurent parfois marquer leur reconnaissance par des donations de rentes foncières au monastère de Conques. Parmi les paroisses sur le terrain desquelles le Cartulaire les signale dès l'an 801, avec leur date, nous trouvons Agrès en 968. Au mois de mai, un certain Bernard et sa femme Riclende vendent à Hugues, abbé de Conques, moyennant trois muids de vin, une pièce de terre adjoignant les biens de l'abbaye au lieu dit Agrès (5). On sait qu'en plus des dépendances lointaines, le monastère possédait une grande partie du canton actuel de Conques et des cantons limitrophes : Estaing, Entraygues, Aubin, Rignac et Marcillac.

 

(1) Abbé SERVIERES, Histoire de l4eglise du Rouergue. Rodez, Carrère, 1874.

(2) L'existence dans les environs d'Aubin d'un lieu dit Puech de Gamèle permet d'identifier Garcangas avec Galgan.

(3) DESJARDIN, Cartulaire... charte 580.

(4) Saint-Geniez des Ers, canton d'Estaing.

(5). DESJARDIN, Cartulaire... page 230.

 

A l'exemple de nos rois carolingiens, les papes accordèrent à l'abbaye de Conques plusieurs privilèges, contenus dans les bulles d'Urbain II (4 mai 1099), Pascal II (24 décembre 1109) : Calixte II (17 juillet 1119), Eugène III (7 juin 1153). La bulle d'Innocent IV (1), datée du 4 des calendes de mai (28 avril) 1245 mérite une particulière mention. Elle confirme les faveurs précédemment accordées et les donations antérieures parmi lesquelles nous relevons les églises de Grandvabre, Mon­tignac, Saint-Marcel, Campuac, Sénergues, Saint-Cyprien, Nauviale, Bournazel, Roussennac, Rignac, Saint-Félix, Rulhe, Firmy. Les Albres, Livinhac, Agrès, etc…C'est l'état complet des domaines du monastère au milieu du XIIe siècle, époque de son apogée.

 

A la fin du XIe siècle, les abbayes déjà anciennes de Conques et de Figeac étaient en profond désaccord sur la question de prééminence. Chacune fit rédiger une chronique ou brève histoire de l'abbaye des origines jusqu'à 1096. De leurs affirmations opposées s'éleva une controverse célèbre dans l'histoire de la Haute-Guyenne. Les conciles du XI siècle mirent fin aux difficultés pratiques, mais laissèrent intacte la question de droit : les annalistes du XVIIe n'apportèrent pas davantage à ce problème une solution définitive. Les auteurs de Figeac qui traitèrent l'histoire de cette ville, firent de son abbaye l'ancêtre de celle de Conques, en soutenant une thèse qui s'appuyait sur des actes fabriqués au XIe siècle par les moines de Figeac pour les besoins de leur cause.

 

 

 (1) RIGAL et VERLAGUET, Notes pour servir à l'histoire du Rouergue, 1, p.. 292.

 

            Le tribunal de l'Église et celui de l'Histoire n'eurent pas, semble-t-il, connaissance d'un document d'une importance capitale. C'est la charte en original de Pépin, roi d'Aquitaine, portant fondation de l'abbaye de Figeac en 838, précieusement conservée aux Archives de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l'Aveyron. Son authenticité inattaquable, a permis de conclure sans hésiter à la prééminence de l'abbaye de Conques sur celle de Figeac.

Au texte apocryphe de Figeac, la deuxième moitié du XIIIe siècle apporta une addition à mentionner dans notre histoire locale: A cette époque, les consuls de Figeac opéraient de continuels empiètements sur les droits des abbés du monastère toujours, soucieux d'accroître leur influence et d'étendre leurs privilèges. Pour soutenir l'édifice ébranlé de leur puissance, un paragraphe fut ajouté au texte primitif, de la fausse charte de Figeac, lequel délimite les propriétés du monastère qu'on peut ainsi résumer :

« Le territoire de l'abbé s'étend de Peyrusse à Thémines (1), de Port d'Agrès à Cajarc, plus deux mille tout autour des limites réelles » (2).

Nos documents confirment cette dépendance partielle. Le 17 avril 1417, Hugues de Masac et Raymond des Fraux, tous deux du mas de Fraux, paroisse d'Agrès, reconnaissent tenir cens et acapte de Bégon, abbé de Figeac, absent, représenté par Aymeric de Roquemaurel son vicaire, la totalité du mas de Fraux avec tout ce qu'il contient : maisons, terres, bois, vignes, etc... Le cens s'élève à 12 setiers seigle, mesure de Maurs, et 25 sols, 6 deniers de Cahors, 2 gélines (poules) et 200 œufs, chaque année, avec droits de lods, et ventes, investiture, toute justice. Le grain est payable à la Saint-Julien, l'argent et les gélines à la Saint-André, les œufs à Pâques.

 

(1) Thémines, entre Figeac et Gramat.

(2) Abbé B. MASSABIE, Question de prééminence entre les abbayes de Conques et de Figeac. Figeac, veuve Lacroix et Louis Moles, 1879, p. 70.

La sécularisation du monastère de Figeac qui amena la formation du Chapitre Saint-Sauveur maintint les levées jusqu'à la Révolution. En 1669, Jean Fraux, du village de Fraux, fait la levée de « la rente due à Messieurs du Chapitre Sainct-Sauveur de Figeac sur le village... qui est la quantité de huit cestiers ung quarton seigle, ung cestier froment, trois cestiers une quarte ung tiers advoine mesure de Maurs et sept vingt œufs ».

Le village d'Altasserre -Basse, de notre paroisse, était également sous la dépendance de Figeac. Le 18 août 1709, « Déguerpissement fait par des habitants d'Alta­serre la Vieille (Basse) et autres aux messieurs les chanoines, et autres ayant droit au Chapitre Saint-Sauveur de Figeac et à messire Victor de Moret baron de Pagas, scavoir et généralement tous les biens qui leur appartiennent aux appartenances dudit village d'Altasserre, d'autre fief appelé de Soutoulou et de la nogarède de Lafon... »

En 1537, à la demande de François 1er, le pape Paul III sécularisa les moines de Conques. Le 27 août 1751, Jean Sales de la Broaldie, paroisse d'Agrès, fait l'indivis de la rente due à Messieurs les Chanoines du Chapitre de Conques. D'après les déclarations des biens et rentes nobles de la fin du XVIIIe siècle, M. Figeagol, chanoine de Conques, percevait des rentes d'une valeur de 213 livres 5 sols 6 deniers (Agrès et Saint-Santin réunis) pour le Chapitre de Conques (2).

 

(1) Abandon d'un fief ou d'un héritage quelconque par un propriétaire jugeant trop onéreuses les charges qui y étaient attachées.

(2) Louis LEMPEREUR, Rat du diocèse de Rodez en 1771. Radez, imprimerie Louis Loup, 1906, p. 614.

 

 

Miracle de Notre-Dame de Rocamadour

 

En 1172, un moine au nom inconnu rédigea le recueil des Miracles de Notre-Dame de Rocamadour d'après les notes d'un notaire spécialement chargé de recevoir les dépositions des fidèles qui avaient été les sujets ou les témoins de quelque miracle de Notre-Dame. Tous ces récits peuvent trouver place entre 1172, date de la composition du livre, et 1166, date de la découverte du corps de saint Amadour. L'auteur nous dit qu'il veut raconter seulement les merveilles dont il a été lui-même témoin ou dont il tient le récit de personnes absolument sûres quelques témoignages remontent à l'année 1140.

Parmi les miracles, il en est un qui nous intéresse particulièrement, car il vient des environs du Port d'Agrès. Voici, en effet, ce que rapporte le 51e  récit de la première partie Jeune homme guéri de nombreuses blessures mortelles (1).

« Le château de Gerle, en Rouergue, était assiégé par une bande de Basques, gent féroce et ne vivant que de rapine. Un Jeune homme plein de courage et confiant dans sa force, Géraud d'Hugues, sortit de l'enceinte du château et se jeta sans aucune prudence contre l'ennemi. Il fut immédiatement atteint d'un dard aigu qui pénétra dans l'aisselle gauche et sortit par l'aisselle droite. Ce ne fut pas assez pour ces hommes cruels de l'avoir ainsi blessé à mort, mais ajoutant une blessure à une autre, ils lancèrent contre lui un trait d'arbalète qui l'atteignit au même endroit et le traversa dans le même sens. Il tomba en invoquant le secours de la glorieuse Dame de Rocamadour qui sauve ceux qui mettent en elle son espérance. Voyant qu'aucun des siens n'osait venir à son secours, comme tout son sang s'en allait et qu'il achevait de perdre ses forces, il voulut se lever pour s'enfuir.

 

(1)     E. ALBE, Les Miracles de Notre-Dame de Rocamadour au XIIe siècle. Texte et traduction d'après les manuscrits de la Bibliothèque nationale, Paris, Librairie Champion, 1907, pp. 158-160.

 

Mais un des ennemis, s'approchant avec un de ces javelots énormes qui servent pour la chasse aux sangliers, le lui enfonça entre les épaules avec une telle force que l'arme ressortit par la poitrine. Cette fois, il fut regardé comme fini et les assaillants se retirèrent, le laissant pour mort. Alors, on vit sortir du château - tels des rats qui se risquent tremblants hors de leurs tanières - les compagnons du blessé, ceux qui auraient dû venir à son aide; ils le rapportèrent derrière les murailles. Là, des chirurgiens examinèrent ses blessures et les déclarèrent mortelles; l'art humain, dirent-ils, est impuissant, le blessé ne peut être guéri que par le secours du ciel. C'est ce secours que le jeune homme attendait du Seigneur : il savait que sa généreuse Mère avait ramené beaucoup de morts à la vie; il ne doutait pas, puisqu'il vivait encore, qu'elle ne pût le ramener à la santé. Que dirai-je de plus? La foi qui était en lui comme un grain de sénevé s'exerçait et agissait, et les mérites de la Reine du Ciel, grâce à la santé de ce jeune homme recouvrée contre les prévisions humaines, allaient être loués et célébrés de plus en plus. En effet, il est guéri; il se rend au sanctuaire de la Vierge, il montre ses cicatrices, il rend les actions de grâces qu'il devait pour un bienfait aussi extraordinaire ».

Les Basques dont parle le début du récit étaient des soldats d'aventure à la disposition de qui les payait, ou faisant la guerre pour leur propre compte. Peut-être ceux-ci étaient-ils à la solde du roi d'Angleterre qui, en 1163, désola le Rouergue comme il avait désolé une partie du Quercy; peut-être à la solde du comte de Toulouse contre lequel Hugues, comte de Rodez, s'était allié avec le roi d'Aragon qui lui avait donné partie de la vicomté de Carlat.

C'est sûrement au « roc de Gerle », à mi-chemin du Port d'Agrès à Livinhac; près du port de Lacombe, que s'est déroulée la scène ci-dessus. Un énorme rocher présente une large plate-forme sur laquelle se dressait le château de Gerle qui gardait le passage du Lot et ses environs. Un peu plus en aval, penché sur une butte, le château de Marcenac qui dominait la rivière, en défendait l'accès du côté du sud.

Le château de Gerle est mentionné au XIe siècle; sa chapelle au commencement du XIIe, d'après un compois (cadastre) aux Archives départementales. Un registre d'un moratoire de Capdenac-le-Haut de l'an 1278, qui est à la Bibliothèque Nationale, donne les noms de la famille de Gerla.

Voici quelques nominations de titulaires du prieuré de Gerle. Le 30 janvier 1405, Gérai d'Espiamont, clerc du diocèse de Rodez, étudiant en Droit civil à Toulouse. La même année, permutation avec Gaucelin du Bousquet, docteur ès-lois, chanoine de l'église collégiale de l'Isle-Jourdain, diocèse de Toulouse. Le 2 janvier 1409, Durand Seyrac, clerc du bourg de Rodez, étudiant en grammaire à Toulouse, remplace Raymond de Teulat démissionnaire; le lendemain 3 janvier 1409, permutation pour le canoni­cat à prébende au chapitre des Aix -d'Angillon, diocèse de Bourges avec Bérenger Guilhot, licencié ès-décrets (Arch. dép. G. 151, pp. 62, 67 et 92).

Le 13 décembre 1786, le prieuré simple sans résidence de Notre-Dame de Gerle, paroisse de Saint-Pierre de Saint-Santin, vacant par décès, est conféré à Jean Bouges, clerc (Arch. dép. G. 297 p. 205).

Les fouilles effectuées au roc de Gerle, en 1880, firent découvrir l'emplacement de la chapelle et du cimetière où on trouva douze squelettes dont un aux proportions énormes et une épée (1).

 

(1) Livre de paroisse de Flagnac.

 

Sur le chemin de Compostelle

 

Le Moyen Age fut par excellence le temps des pèlerinages; les hommes du XIIe siècle ont aimé les grands déplacements : que de voyages en l'honneur des saints. Nos pères étaient tentés par l'inconnu; le danger même souvent les attirait, et le désir d'être dans le village celui qui raconterait de merveilleuses aventures. Dans ces siècles, où les livres étaient rares, on faisait asseoir au foyer le voyageur pauvre, hébergé pour l'amour de Dieu, et dont les récits, à la veillée, exaltaient les esprits. L'hôte, c'était le livre nouveau.

Ces pieux voyageurs vivaient sur les routes, dans les abris de pèlerins, avec des gens d'autres provinces qui avaient d'autres coutumes et vêtements, un langage différent, mais la même foi qui fait que l'on s'entend.

Qui étaient-ils? Émile Mâle a dit très joliment qu'on rencontrait sur les voies de pèlerinages « des riches, des puissants, et ceux qui n'avaient que leur âme à sauver ».

Compostelle, en Espagne, était, après Rome et Jérusalem, le plus grand  pèlerinage où des foules allaient vénérer les restes de l'apôtre saint Jacques le Majeur.

Quatre routes conduisaient en Galice. L'une, la route de Provence, partait d'Arles et passait par Saint-Gilles, Saint-Guilhem, Toulouse. La route des Cévennes longeait Clermont, Le Puy, Conques, Moissac. Sur la troisième voie, celle de Bourgogne, étaient situés Vézelay, Autun, Limoges, Périgueux. Saint-Denis était le point de départ de la quatrième route qui passait par Orléans, Tours, Poitiers, Saintes et Bordeaux.

De toutes les routes pèlerines qui sillonnaient le Rouergue au Moyen Age, la plus fréquentée fut cette via Podiensis ou du Puy, la seconde des quatre voies jacobites, celle-là même qui drainait « Bourguignons et Teu­tons » vers Compostelle. Héritière de l'ancienne chaussée romaine, son point de départ n'était pas le sanctuaire marial du Puy, mais la cité de Lyon, importante tête de ligne où aboutissaient des voies venant des pays du Rhin et de la Meuse, des terres d'Empire : Lorraine et Franche-Comté, de Bourgogne aussi, et par-delà ces régions, de Bavière, d'Autriche, de Suisse et d'Italie.

Les pèlerins qui n'avaient ni le temps ni les ressources pour aller à Saint-Jacques de Compostelle se contentaient de pèlerinages partiels.

A côté de l'église il y avait l'abbaye et l'hospice. Quels refuges rêvés pour les voyageurs assurés de trouver un sanctuaire pour prier, un dortoir pour se reposer, un réfectoire pour y prendre quelque nourriture.

Parmi les étapes des « Saintjacaïres » en Rouergue, il faut noter la commanderie d'Aubrac, où se dressent encore les vestiges du grand monastère-hôpital que construisit au XIe siècle, le comte des Flandres Adalard pour l'accueil des pèlerins; puis, passant par l'église de Perse à Espalion, autre étape à Conques. Beaucoup de compatriotes ont suivi cette voie; les moines de Conques étaient les premiers à les y engager, car sainte Foy leur patronne, martyrisée à Agen le 6 octobre 303, avait une chapelle dans la basilique de saint Jacques.

De Conques les pèlerins se dirigeaient sur Figeac. D'après ses notes sur les chemins de Saint-Jacques en Bas-Rouergue (Archives des Amis de Villefranche), l'abbé Mayran parle d'une voie Conques, Noalhac, La Besse-Noits, puis vers Aubin avec son hôpital pour les pèlerins, ou vers le bac de Bouillac. Nos recherches apportent une donnée qui n'est pas sans valeur; en 1678 existait un grand chemin et estrade de Conques à Figeac appelé « estrade Conquese et Figeaguese », passant par Almont, Flagnac et Agrès. De toute manière, nous étions sur une voie de pèlerinage ou dans son rayonnement.

 

CHAPITRE II

 

Le Château de Gironde

 

La Féodalité

 

Le régime féodal fut une nécessité de salut national, le régime de protection du faible par le fort, réclamé par le peuple lui-même qui y trouva un secours contre l'ennemi, l'assurance de sa subsistance, la sécurité de son foyer. Sans doute, faut-il regretter la fréquence des guerres privées et les excès de certains seigneurs. Quelle est l'institution humaine qui n'a pas ses inconvénients? Nos régimes politiques les plus modernes sont-ils entièrement à l'abri des abus? Un établissement féodal est toujours justifié à l'origine par les services que seul il peut rendre; la déchéance de son droit commence au jour où les abus passent ses pouvoirs.

Les châteaux féodaux caractérisent assez bien le régime social des Xe, XIe et XIIe siècles. Pour se défendre, il faut d'abord se fortifier. Du haut de sa montagne rocheuse aux pentes escarpées et parfois inaccessibles, presque isolé des hauteurs voisines, le château de Gironde donne une idée de ces nids d'aigle, d'où les seigneurs de jadis étendaient leur autorité sur les contrées d'alentour, dans ces temps de luttes fréquentes où l'on avait à se garantir contre des attaques souvent imprévues. L'expression castrum que lui donnent les vieux documents, désigne Le domaine relevant du château et englobe les demeures groupées sous sa protection. Le guetteur découvrait-il au loin une invasion de brigands ou d'ennemis, au son de la cloche il donnait l'alarme, et chacun de se réfugier dans l'enceinte murée du château.

« II paroist qu'en ce mesme temps, on avoit basti diverses loges aux environs du chasteau qui confrontent avec la chapelle... comme ne pouvant tout le monde se loger dans ledit chasteau ».

 

Sous la dépendance de la Baronnie de Saint-Santin.

 

A l'extrême limite sud-ouest du département du Cantal, se trouve une petite localité composée de deux paroisses dont les églises ne sont séparées que de quelques pas. Saint-Santin, nom de cette localité, est dit Saint-Santin-de-Maurs pour la partie du territoire auvergnat, et Saint –Santin -d'Aveyron pour la partie dépendant du Rouergue. Le premier représente ce qui constitue la paroisse Notre-Dame, et le second ce qui constitue la paroisse Saint-Pierre.

Avant la Révolution, il y avait à Saint-Santin une baronnie qui englobait les deux villages. Son siège, au XVIIIe siècle, était au château de Lafon, sur la paroisse Saint-Pierre, c'est-à-dire en Rouergue. Mais précédemment, il avait été à Saint-Santin même. Un acte de 1284 passé devant Raymond Bernard, notaire, situe le château sur la paroisse Notre-Dame. D'après la tradition, il se trouvait en face de l'église actuelle du Rouergue. Il n'en subsisterait qu'une cave sur laquelle & été construite une maison particulière. A la place du chœur de l'église d'Auvergne, il y aurait eu un cellier dépendant du château.

 

En 1656, le château de Saint-Santin existait encore car, le 18 juin de cette même année, un paysan des environs, Jacques Najac, du Teyrac, y fit son testament devant Ramondies, notaire.

La baronnie de Saint-Santin s'était principalement développée vers le nord. Au sud, le Lot avait dû être un obstacle à son extension au-delà de la rivière. Elle a appartenu au XIIIe siècle, à la famille de Calmont d'Olt; au XVe, à la famille de Castelnau; au XVIe, à la famille de Clermont-Lodève ; au XVIIe, aux familles d'Apcher et de Crussol d'Uzès; au XVIIIe à la famille Dufau.

Le plus ancien seigneur de Saint-Santin connu est de la famille des Calmont d'Olt, originaire du château de ce nom qui domine Espalion. II s'appelait Guillaume de Calmont. C'était un personnage important, à en juger par ses titres et le nombre de ses possessions. En 1226, il fit hommage au roi Louis VIII pour ses terres et châteaux de Calmont, Saint-Santin, Montpeyroux, Castelnau de Mandailles, Saint-Côme, Sévérac, Cruéjols, Roquelaure, Belvezet, Saint-Chély, La Roque, Méallet, Parlan et Sousceyrac.

La châtellenie de Gironde était également sous la dépendance de la seigneurie de Saint-Santin, sa plus proche voisine. Le lecteur trouvera plus loin quelques hommages ou promesses de fidélité du vassal au suzerain rendus aux seigneurs de Saint-Santin par les seigneurs de Gironde.

 

Les seigneurs de Gironde.

 

 

1° Arnauld de Gironde. Le nom de Gironde se lit dans une charte sans date du Cartulaire de Conques (1), mais dont la teneur lui assigne la fin du XIe siècle ou le début du XIIe. Un certain Hugues Bérenger y fait au moine Gaucelme et à Bégon abbé de Conques (élu en 1087 et remplacé par Boniface en 1107) un emprunt de 422 « sous melgoriens » dont il se porte garant et dont se portent caution Hugues, Bernard et Rigaud de Moret, Arnauld de Gironde, Dieudé Pierre et son fils,

Dans les actes antérieurs au XIe siècle, les membres des familles les plus distinguées, connues depuis sous le titre de familles nobles, prennent un nom simple, sans aucune qualité. Au début du XIIe siècle, l'usage des familles nobles de prendre le nom de leur château ou de quelque fief était généralement établi, et c'est dans les actes de ce siècle ou de la fin du précédent, qu'on commence à trouver les noms des maisons qui jouirent, dans la suite, des prérogatives de la noblesse.

La famille de Moret mentionnée dès 962 et 990 dans diverses chartes de l'abbaye de Conques faisait sa résidence au château de Pagas, paroisse de Flagnac, ou au château de Montarnal, sur le Lot, autre terre de leur domaine, et dont la chapelle était annexe de Notre-Dame d'Aynès.

Les Pierre (Petri), en langue occitane Peyre, ou de Peyre le plus souvent, étaient seigneurs du château de La Salle (Decazeville).

Ainsi les noms d'Hugues Bérenger, de Moret et de Peyre ont été très anciennement portés par des familles nobles du Rouergue. Mentionné au même rang, le nom d'Arnauld de Gironde permet d'avancer qu'il y eut à Gironde, à une époque lointaine, une famille noble qui en était originaire et qui en prit le nom. Elle ne s'y maintint pas longtemps, et au XIIIe siècle, elle avait disparu. Notons qu'en 1243, le château de Murat, près Maurs, appartenait à une famille de Gironde.

            .

2° La famille Escaffre. - Un inventaire détaillé des archives du château de La Roque rédigé au XVIe siècle par Jean Héliès, notaire de Bouillac, mentionne un acte de 1332 par lequel Huc La Carrière, habitant de Maurs, reconnait avoir acheté à Guiral Escaffre, damoiseau de Gironde, diocèse de Rodez, des cens ou revenus levables sur Saint -Constans (Arch. dép. E 255, 1e  section, Z 4).

 

La famille dont il s'agit était, semble-t-il, établie à Gironde à une époque plus reculée. Un accord conclu en 1275 entre le comte de Rodez et quelques seigneurs de la région d'Aubin (1) signale Bertrand d'Aldoin, Pierre de Vasillac, Pierre de Seguy que d'autres textes permettent de rattacher à Pagas, Boisse et Flagnac, Guibert de Montmurat dont la famille dominait sur une partie de Livinhac, et enfin un Escafre qualifié de damoiseau, établi d'après le contexte, dans la même région, et qu'on peut situer très probablement à Gironde, puisque, cinquante ans plus tard, on y trouve un seigneur du même nom.

Mentionnée à Gironde fin XIIIe siècle et une bonne partie du XIVe, la famille Escafre signalée plus tard au Trioulou, diocèse de Saint-Flour, et au château du Peyrou entre Flagnac et Agrès fut remplacée au château de Gironde par la famille Bertrandi.

 

3° La famille de Bertrand. Bégon de Bertrand était, en 1363, seigneur du château de Murat-la-Rabe (Murato ­lo Rabo), paroisse de Saint-Etienne de Maurs. Il fit hommage à Jean de Castelnau baron de Saint-Santin en 1370. Un acte du 29 août 1375 mentionne noble Bec (ou Bégon) de Bertrand du lieu de Maurs, et un autre du 3 juin 1386 le nomme seigneur du château et de la châtellenie de Gironde c'est donc entre ces deux dates qu'il a dû acquérir la seigneurie de ce nom.

 

(1) Bosc, Mémoires... p. 403-404.

 

C'était un personnage considérable; il est, en effet, qualifié à plusieurs reprises de « bailli de Rodez ». Or, un bailli exerçait tous les pouvoirs politiques, administratifs, financiers, judiciaires, militaires que le roi lui-même possédait dans son royaume. En 1349, le Rouergue comptait 16 bailliages. Par sa situation et avec les troubles de cette époque, celui de Rodez devait être le plus important.

Le seigneur de Gironde exerça les fonctions de bailli de Rodez en 1386, 1387, 1388 et 1389 (1).

Plusieurs de ses jugements ont été conservés. En voici un, digne de la sagesse de Salomon. Le 29 août 1386, comparaissent à son tribunal deux femmes dont l'une avait insulté le fils de l'autre, et celle-ci froissée l'avait provoqué en duel en lui jetant sa coiffure ou « chaperon ». Bégon de Bertrand décida que l'insulte de la première et la provocation de la seconde étaient sans importance, et il renvoya les deux parties en les condamnant solidairement aux dépens (Arch. dép. G. 485).

La gestion financière était alors particulièrement lourde à cause des invasions incessantes des Routiers ou bandits armés qui pillaient le pays et des subsides qu'il fallait lever pour les repousser. Au cours de l'année 1387, il traite, pour des règlements de comptes avec Guillaume Cocural, receveur des contributions votées par les trois états (Arch.dép. G 1526).

Deux documents nous le présentent dans l'exercice de ses fonctions militaires. Il était ordonné de tenir sur pied, en Rouergue pour la défense du pays 220 hommes d'armes en sus de ceux que devait fournir pour ses terres le comte de Rodez; ce nombre fut ensuite réduit à 190.

 

(1) On voit la signature et le sceau de noble Bégon de Bertrand sur un acte sur parchemin du 22 novembre 1387 (Arch. dép. C 1526).

 

 

La revue de ces hommes d'armes dont 4 chevaliers et 186 écuyers fut passée devant noble Bec Bertrand, écuyer, seigneur de Gironde et bailli de Rodez délégué par les trois gouverneurs remplaçant le comte d'Armagnac les 2, 3 et 4 décembre 1386 à Espalion, Bozouls, Marcillac, Villeneuve et Parisot. Autre revue de 4 chevaliers et 186 écuyers passée à Clairvaux, Villeneuve, Peyrusse et Maleville devant Bec Bertrand, le 4 février 1387.

Le 26 mars 1390, il est témoin à l'évêché (in camera paramenti) de l'hommage rendu à l'évêque par jean Vigouroux, marchand de la Cité, pour lui et comme procureur de Dorde Vigoureux son cousin au sujet de redevances (Arch. dép. G 573).

Bégon de Bertrand est simplement qualifié de « damoi­seau, seigneur de Gironde » dans un acte de 1391 où conjointement avec sa sœur Delphine, veuve de Guillaume de Lévi, chevalier, seigneur de Salles-Comtaux (Salles ­la Source), il achète à un certain Castel de Vassal, le mas de Recoules, près de Rodelle (1).

Le 13 décembre 1393, hommage de fidélité de Bégon I de Bertrand à Jean I de Castelnau de Calmont. Il reparaît une dernière fois dans une reconnaissance du 11 mars 1407 avec noble Aygline de Ceyrac, sa femme, fille de Pierre et de Barésie de Cornac. Devenue veuve en 1408, elle fit hommage à l'évêque de Clermont pour le château de Murat-la-Rabe. En 1428, elle habitait le château, de Brandalac, paroisse de Saint-Santin de Rouergue.

Pierre de Bertrand, son fils, est présent, le 5 novembre 1399, au compromis passé entre l'abbé de Conques et l'évêque de Rodez (Arch. dép. G 411, folio 12). Le 31 mars 1419, il cède à perpétuité à noble dame Delphine Oth ou Otha dame du château de Camboulit, tous ses droits sur Miers, Camboulit, Roquefort, etc., en considération des bienfaits ou services qu'il en a reçu (Arch. du Lot, F 450). Ce Pierre de Bertrond avait épousé noble Jeanne de Cornac, seigneuresse du château de Murat-­la-Rabe. Il eut d'elle plusieurs fils dont deux sont simultanément mentionnés dans un acte du 15 août 1427; peut-être faut-il en voir un troisième dans un certain « Jean de Bertrand, moine du monastère de Figeac », présent à un acte passé le 18 avril 1440 par Bégon son frère.

 

 

(1) DE BARRAU, Documents historiques et généalogiques, III, p. 197.

 

 

 

Bégon II, fils de Pierre et de Jeanne de Cornac devait, à leur mort, posséder la seigneurie de Gironde, tandis que celle de Murat-la-Rabe était destinée à son frère Guillaume; mais il ne put jouir réellement de son fief, qu'après beaucoup de difficultés.

Dans l'acte de fondation de la chapellenie de Gironde, le 5 mai 1428, Bégon dit qu'il fut « expulsé de son château de Gironde pendant huit ans, au cours desquels il combattit dans les guerres funestes et sanglantes d'Italie ». C'est par un acte du 15 août 1427 qu'il fut mis en possession du manoir paternel et, d'après ce document, il en avait été dépossédé par « noble et puissant Antoine de Castelnau » qui avait fait occuper et retenir le dit château à sa place, par crainte des ennemis, pour que le pays n'eût pas à souffrir de son jeune âge. II fut donc expulsé en 1419, probablement parce que son père Pierre venait de mourir.

Les mœurs de l'époque expliquent cette expulsion. Les seigneurs de Gironde étaient vassaux des barons de Saint-Santin à qui ils rendaient hommage et juraient fidélité. « Tout suzerain avait originairement le droit de reprendre le fief à la mort du vassal, et on conçoit facilement que dans les premiers temps de la féodalité, plusieurs suzerains aient usé de leur droit à la rigueur, et en présence d'un héritier mineur soient rentrés en possession de leur fief. Ce droit absolu disparut peu à peu... Il fut admis qu'en cas de minorité, le seigneur reprendrait le fief que provisoirement et qu'il le détiendrait jusqu'à la majorité du mineur » (1)

Le Rouergue était alors extrêmement troublé par suite de la longue division des Armagnacs et des Bourguignons. Profitant de ces luttes intestines, les Anglais renouvelaient leur attaque. En 1418, ils avaient envahi notre province. Le château de Gironde risquait de tomber entre les mains de quelque bande audacieuse.

Expulsé de son château, Bégon II de Bertrand partit en Italie. Certains comtes du Rouergue portèrent leurs armes à Florence et à Gènes en Italie et embrassèrent avec chaleur les querelles des ducs de Milan et des rois de Naples. Chaque parti confiait ses intérêts à des bandes de mercenaires, conduites par des capitaines de fortune, et qui se mettaient au service du plus offrant. C'était une bonne occasion pour tous les nobles ruinés qui ne voulaient pas déchoir. Bégon mena en Italie une vie d'aventures pendant huit ans.

Revenu chez lui à vingt-cinq ans, il demanda la restitution de son château à Antoine de Castelnau. Il fallut l'intervention de la nièce du baron de Saint-Santin Bour­guine Guillem de Clermont-Lodève pour obtenir gain de cause. Bégon dut fournir des garanties pour l'avenir.    « Sur sa demande », dit l'acte du 15 août 1427, son frère Guillaume s'engagea « à fortifier et à défendre pendant trois ans contre tous les ennemis le château de Gironde ».

 Le nouveau seigneur promet de payer au baron de Saint-Santin, pour le dédommager des dépenses que lui a nécessitées la garde de son château « cent moutons d'or de la marque du roi de France »; à cette époque, le mouton d'or équivalait à trente sols.

 

 

(1) Paul VIOLLET, Précis de l'histoire du droit français, I, droit privé, p. 454.

 

Le 3 juin 1433, Bégon Il de Bertrand « bailhe à nouveau cens à maître Ramond de Murassons prêtre et Jean de Romégous du village del Vinhal » un cazal et un patus joignant, assis aux faubourgs de Gironde... confronte avec la rue publique par laquelle on va de la chapelle vers le fossé, moyennant 10 deniers tournois ».

Bégon II de Bertrand eut pour fils Jean, Nicolas et Bégon. Les deux derniers reçurent les ordres sacrés en 1461 (Arch. dép. G 104, folio 63°°) ; ils sont mentionnés prêtres l'un en 1492 et l'autre en 1499. En 1475, Jean seigneur de Gironde rend hommage au baron de Saint-Santin. Le 27 novembre 1479, il fait hommage de sa châtellenie de Gironde et de diverses possessions dans les paroisses de Saint-Santin, Fournoulès, Saint-Constats, Saint-Julien-de-Piganiol, Flagnac et Agrès à Jean H de Caylus de Castelnau de Calmont.

Jean de Bertrand vendit une partie de ses droits, lesquels furent rachetés par son frère Nicolas. Celui-ci, en 1508, céda l'entière terre de Gironde à Guyon de Castelnau-Bretenoux qui la vendit à Gaucelin de Marcilhac seigneur de Boisse. Ce dernier la céda, le 26 octobre 1509, à son neveu Gailhard de Marcilhac seigneur de La Bastide-Capdenac qui testa le 8 mars 1564 et dont la veuve Anne d'Arpajon représentait les droits au nom de ses enfants.

Celle-ci, d'une part, avait à se défendre contre François et Antoine de Bertrand, fils de Jean de Bertrand, appuyés par leur frère Denys (acte du 18 décembre 1565) qui réclamaient les droits en vertu de l'origine primitive. Mais elle-même réclamait, d'autre part, contre Guyon de Castelnau et contre Jean de Bouisson seigneur de Mirabel qui avait été le lieutenant de Gaucelin de Marcilhac, et Antoinette fille du dit Gaucelin, et avaient dû tous deux conserver des droits ou des prétentions sur ces droits.

« Les fils de Jean de Bertrand avoient été desjettés de leur chasteau et de leurs terres par le seigneur de Clermont de Châteauneuf qui leur enleva tous les meilleurs tiltres soubs préteste d'un acte extorqué par vim et metum (par la force et la crainte) par le dit seigneur de Clermont en 1512 ». Au cours de toute cette affaire, il s'agit d'emprunts déguisés, d'engagements partiels, autant d'actes alors très courants.

Un arrêt du Parlement de Toulouse du 17 mars 1567 casse les actes de 1508 et de 1512 de tout ce qui a été fait pendant le temps que les de Bertrand furent hors de Gironde, et condamne Anne d'Arpajon veuve de Gailhard de Marcilhac à délaisser la place et seigneurie de Gironde à François et Antoine de Bertrand, moyennant remboursement de 2.750 livres du prix d'achat de 1509 (Arch. dép. de la Haute-Garonne, B 60, folio 333v°-334).

Antoine de Bertrand, par testament du 8 décembre 1575, lègue à son frère François une rente annuelle de produits en nature, et fait héritière son épouse Claude de Colon.

 

4° La famille de Felzins. - Devenue veuve, Claude de Colon se marie avec Gaspard de Felzins, seigneur de Gironde, fils de Ponce de Felzins seigneur de Montmurat, en Auvergne, lequel avait épousé, le 15 décembre 1591, Jeanne de Salhians.

A, la mort de Claude de Colon, Gaspard s'allie, le 10 septembre 1623, avec Marguerite de Monthanar dont il eut notamment Gaspard, 2e  du nom et Christophe.

Gaspard II épouse Catherine de Gausserand, et Chris­tophe Marie de Masbou fille de Guillaume, secrétaire de la chambre du roi et son conseiller au siège présidial de Villefranche.

Christophe eut avec Pierre Boyer prieur d'Agrès de longs démêlés au sujet de la chapelle de Gironde; peu de chose, en comparaison de l'incendie du château.

Le 28 novembre 1676, Jean Calmette, procureur du seigneur de Gironde, comparait devant Jean Delestournel, conseiller du roi et juge de la ville et juridiction de Fons près Figeac. Il déclare que Christophe de Felzins « estant au moys d'aoust dernier à la ville de Tholoze pour la poursuite des procès qu'il a en la souveraine Cour de parlement de lad. ville, ses ennemis, en haine desd. procès, auroient taché de luy faire plusieurs injures et se seroint jactés dans divers lieux de le ruyner et le réduire lui et sa famille à la mandicité, et des parolles seroinct veneus aux effetz, ayant led. 12 du moys d'aoust, sur les 9 heures du soir, mis ou ayant fait mettre le feu a son chateau de Gironde ». On pense communément qu'il devait remon­ter au XIe siècle. L'incendie, d'après le déposant, fut si grand, que deux corps de logis, une grosse tour servant de donjon, une autre tour se sont embrasés avec tous les meubles, titres, documents, denrées, ainsi que les meubles et papiers appartenant à Guyon-François, frère de Christophe, parti en Lorraine au ban convoqué l'année 1674.

Le 28 janvier 1677, à la réquisition du seigneur de Gironde, une commissaire vient faire l'enquête. Des cinq étages du château il ne reste que des murs « gâtés », les chambres et la toiture ont disparu, le pavé de la grande salle a été enfoncé, pas de trace du donjon à cinq étages, un amas de pierres et de tuiles. Seuls, ont échappé au désastre, « la cuysine, les fours, et une petite chambre appelée communément la chambre des prêtres, à cause qu'elle servoit du temps de la guerre des religionnaires pour la retraite du curé et prêtres de la paroisse d'Agrès et pour le prêtre qui faisoit le service dans la chapelle qui est dans la cour du chatteau ».

Les travaux de remise en état furent activement poussés, et fin mai, on « accommodoit la tuile et les croisières et demy-croisières ». Le château actuel, en grande partie, ne date guère donc que de cette époque, indépendamment des modifications apportées à l'intérieur.

Christophe de Felzins eut de Marie de Masbou six enfants, notamment Antoinette, François et Antoine.

Antoinette entra au couvent de Saint-Projet, Ordre de Saint-Augustin, diocèse de Saint-Flour, d'où elle adressa à son père la lettre qui suit :

« De St-Projet ce 10 may 1680. Monsieur mon très honnoré papa. Jay voleu me donner lhonneur vous escrire pour vous offrir la continuation de mes très humbles respects et pour vous dire que le desir que je vous temoinia de vouloir quiter le monde aumente tousjours et me donne un desir tres pasioné de prendre bientost labit de religiese. Cela ne tient qua vous monsieur de faire que bien tot je mete en exécution mon desir : ma tente ma tesmoynié le désirer; je vous demande donc cete grace et cele de croire que je seré toute ma vie avec un profont respet Monsieur mon tres honnoré papa avec vostre permission vostre tres heumble et tres obéissante fille et servante; jasure de mes respects mademoiselle ma tente ».

Le 20 juin 1681, Gabrielle de Gausserand, supérieure du couvent de St-Projet reçut de Christophe de Felzins seigneur de Gironde son neveu mille cinq cent livres en louis d'or

 « et autre bonne monnoye » pour l'entrée en religion d'Antoinette fille de Christophe.

Son frère François fut prêtre le 19 septembre 1699(Arch. dép. G 255, folio 44v°).

Antoine, se marie à Aurillac le 7 septembre1694, avec Marguerite de Mirabeau qui lui donna Marie-Eulalie et Catherine.

5°  La famille Delolm. - Le 17 novembre 1720, Jean-Baptiste Delolm, fils de Pierre viguier d'Aurillac et d'Eulalie de Béraud, épouse à la chapelle de Gironde Marie-Eulalie, fille de Christophe de Felzins, dont il eut :

Pierre, comte de Gironde, baptisé le 24 février 1722, capitaine au régiment royal - dragons, chevalier de Saint‑Louis, marié à Antoinette-Cécile-Marie d'Arberg de Vallengin, comtesse du Saint-Empire qui le rendit père de :

Maximilien-Nicolas de Felzins, comte de Gironde, né au château de Gironde le 12 juillet 1757, marié à Eléonore-Maximilienne-Dieudonnée de Fusco de Matalorry.

Maximilien-Nicolas eut d'un second mariage avec Marguerite Cluses :

Auguste, habitant à Gironde,

Maximilien-Nicolas-Michel, lieutenant au 2' régiment de dragons,

Joséphine, mariée à Maurs.

Auguste, épouse Françoise Delor, dont il eut Théodore-Clément, baptisé le 10 avril 1837, marié le 6 février 1872 avec Clara Maurs dont une fille :

Praxède-Marie-Antoinette, baptisée le 15 juin 1873.

Le 11 juin 1907, devant Me Joseph Rigals, notaire à Saint-Constans (Cantal), Clara Maurs, veuve du vicomte Théodore de Felzins de Gironde et Praxède sa fille ont vendu le château et la propriété de Gironde à Louis Panassié. Né à Decazeville le 26 juin 1860, ingénieur civil des Mines, Conseiller Général de l'Aveyron, maire de Livinhac-le-Haut, chevalier de la Légion d'Honneur, wdécédé à Paris le 12 décembre 1928; a été, selon son désir, inhumé à Gironde.

Son fils, Hugues, bien connu dans la musique de jazz, a revendu aux « Œuvres sociales des Administrations financières du département de Constantine » représentées par leur Président, M. Riva Stéphane, Inspecteur des Contributions diverses à Constantine.

Ce chapitre « Le Château de Gironde » devait prendre place ici. La chapelle de Notre-Dame a été propriété de ses seigneurs depuis les origines jusqu'en 1948 : il nous a paru tout indiqué de faire une mention particulière des anciens propriétaires qui, de temps immémorial, ont vécus dans le voisinage de la Madone de Gironde et légués leur piété mariale à toute la région.

 

 

 

 

 

CHAPITRE III

 

La Chapelle de Gironde

 

Le Moyen Age a fait jaillir, du Rhin à l'Océan, et de la Flandre à la Provence, une incomparable floraison de sanctuaires dédiés à la Mère de Dieu qui sont comme l'Ave Maria permanent de la terre française. Cette magnifique parure de cathédrales et basiliques, vaisseaux de haut-bord aux vitraux flamboyants et aux flèches élancées, et d'humbles sanctuaires blottis dans les bois ou dressés sur les montagnes, élevés en si grand nombre à Notre-Dame, constitue un « acte de foi à la Vierge traduit en pierre », comme s'exprime l'historien Michelet. Marie, chez nous, est partout chez elle. Les vocables sous lesquels nous l'invoquons composent une interminable et filiale litanie ; mais un seul les résume et les englobe tous :

« Notre-Dame de France, dit Mistral, un nom que nous t'avons fait ». Notre patrie, de Chartres à Lourdes, du Puy à la rue du Bac, de Rocamadour à La Salette, est un véritable Rosaire vivant.

Parmi les cinquante endroits et plus du Rouergue où Marie reçoit d'antiques hommages, Gironde peut revendiquer des origines lointaines. Le pieux seigneur qui l'érigea en chapellenie en 1428 semble lui-même en ignorer la date quand il dit « in capella olim instituta », c'est-à-dire dans la chapelle anciennement érigée à la Mère de Dieu. Sa fondation parait donc bien antérieure au quinzième siècle.

A quelques mètres du château dont elle porte le nom, sur le même gigantesque rocher qui surplombe la vallée que le Lot sillonne de ses méandres, la chapelle de Gironde était le joyau sacré de la demeure seigneuriale.

« Ceste chappelle estoit sy petite que sept ou huit personnes la remplisoit... » Un autre document donne sensiblement la même étendue : « Il paroist de l'acte de fondation de l'année 1428, il ni avait dans la chapelle qu'un petit autel et qu'elle pouvait à peine contenir dix personnes; marque assurée et indubitable que ce n'estoit qu'un simple oratoire qui avait esté construict que pour le seul usage du seigneur de Gironde et de ses domestiques ».

Cet oratoire privé serait donc contemporain de l'ancien château de Gironde dont il garde le nom. Un vieux manuscrit nous apprend, en effet, qu'il était situé dans son enceinte « intra aut juxta castrum de Girunda... au milieu de la cour du chatteau et à une cane de la muralhe et porte de service du dit chatteau ».

Le chœur était tourné vers l'orient : lui faisait face l'unique entrée surmontée d'un cocher-arcade ou simple pan de mur percé à jour, dans lequel les cloches étaient ainsi à découvert. On voit encore ce genre de campanile à la chapelle Notre-Dame de Pitié au cimetière de Fla­gnac, et sur le chevet de l'église de Saint-Parthem.

La vétusté de certaines parties de l'édifice, les besoins du culte, l'affluence des pèlerins, la générosité des bienfaiteurs amenèrent, au cours des siècles, divers agrandissements et restaurations, comme d'ailleurs à la plupart de nos églises rurales.

En 1550, « l'ancien oratoire feust augmanté d'une petite chappelle , et ce feust pour lhors qu'on releva un second autel à l'honeur de saincte Anne ».

Le dimanche 22 août 1649, à l'issue de la messe paroissiale, Jean Vesac et Amans Boyssière marguilliers, à la requête de Pierre Boyer, prieur d'Agrès, exposent à la communauté que « les esglises d'Agrès et de Gironde ont besoing de réparations, et qu'il y a de l'argent entre les mains des vieux marguliers ; la Communauté leur donne pouvoir de les convenir en justice pour employer ledit argent aux séparations nécessaires des dites esglises ». Cette délibération à laquelle prenait part Jean Serres, chapelain de Gironde, fut exécutée sans délai, comme il résulte de « sept quittances en quatre pièces » faites en 1649 par Jean Griffeuille, Bernard Alran, marguilliers et autres. Nous ne connaissons que la quittance de 12 livres 5 sols délivrée, le 12 septembre par les marguilliers d'Agrès et de Gironde à Antoine Serres, précédent marguillier.

 

En 1650, Gaspard de Felzins fit « adjuster à la dicte chappelle une autre chappelle latéralle dans sa basse-cour, bastie des démolitions de la muraille de la susdite cour qu'il falut abatre et autres matériaux qu'il fourny ». Le seigneur de Gironde ne semble pas avoir apporté de contribution pécuniaire.

Les travaux de construction et quelques réparations furent effectués par Hugues Mazac, maçon, en collaboration des nommés Mas et Altasserre. D'après la quittance du 19 mai 1650, le montant s'éleva à 33 livres, remises au maitre-maçon par Antoine Serres et Antoine Frons, marguilliers. Au cours du différend qui s'élèvera plus tard entre Christophe de Felzins et Pierre Boyer prieur d'Agrès, Hugues Mazac reconnaitra devant Ramondies, notaire, l'exactitude des faits ci-dessus.

Cette dernière chapelle reçut, en 1657, un autel dédié à saint Joachim. Une ordonnance de l'autorité diocésaine en date du 10 octobre 1659 autorisait Pierre Boyer à bénir la chapelle nouvellement construite, mais au dire de Christophe de Felzins, cette bénédiction n'eut pas lieu.

En 1666, Antoine Rous, vicaire d'Agrès, employa Antoine Ginoulac « carpentier » à la construction de deux armoires dans le « cœur » de la chapelle de Gironde, et lui donna deux livres, d'après le témoignage de l'intéressé lui-même du 10 juin 1676.

Le 1er  octobre 1739, Mgr Jean d'Ize de Saléon, en cours de visite pastorale prescrivit la démolition des autels latéraux et le nivellement du pavage de la nef et des chapelles.

L'oratoire de Gironde ne subira plus de modifications notables pendant cent-cinquante ans : ses vieux murs ne connaitront d'autre écho que les pas du pèlerin renouvelant les gestes chrétiens des aïeux, mais le temps amènera un tel délabrement à ce vénéré sanctuaire qu'il menacera de tomber en ruines.

Le 14 mai 1884, le chanoine Tournemire, promoteur, au nom de Mgr Bourret, adressait à Auguste Antérieu, curé d'Agrès, ce qui suit :

« Monseigneur l'Evêque a été informé que diverses réparations sont nécessaires à la chapelle de Gironde, surtout que la reconstruction de la toiture est d'une extrême urgence... Il serait fort à désirer, dans l'intérêt commun, que M. le Curé d'Agrès fut autorisé à faire construire au-dessus de la porte d'entrée un petit clocheton pour abriter les deux cloches qui ne sont suspendues que par un pan de mur ».

Le premier dimanche de juillet suivant, le Conseil de Fabrique fut réuni : voici l'essentiel de la délibération : « Depuis longtemps, les habitants d'Agrès, ainsi que les pèlerins étrangers se plaignent de ce que ni la Fabrique, ni le curé d'Agrès ne font jamais rien pour la chapelle de Gironde qui, faute d'entretien, menace de tomber en ruines... Le Conseil décide que M. le Curé, après avoir consulté l'autorité diocésaine et pris conseil d'un homme compétent se chargera lui-même de traiter avec les ouvriers et de diriger les travaux, et d'en acquitter le montant ».

Le 31 août, le paroisse d'Agrès, pour combattre le phylloxera des vignes, faisait vœu d'accomplir un pèlerinage à Gironde pendant neuf ans, et promettait de donner une généreuse offrande pour la restauration de la chapelle.

 

Dès lors, l'abbé Antérieu ouvrit une souscription paroissiale et s'occupa des réparations les plus urgentes. Qu'il nous soit permis de rappeler ici sa mémoire à ses anciens paroissiens. Ceux qui l'ont vu à l'œuvre savent qu'il fut l'inlassable restaurateur de l'antique pèlerinage.

Le château s'opposa d'abord au projet de restauration, puis retira sa défense. En octobre 1884, la toiture neuve était terminée. Mais à la vue de l'intérêt que chacun portait à cette entreprise, on envisagea l'agrandissement et la restauration de la chapelle. Le 9 février 1885, M. de Gironde interdit les réparations, mais cédant aux conseils d'un de ses parents, il revint sur sa décision.

M. Antérieu se remit, à l'œuvre le 28 avril. Grâce au concours de ses paroissiens et d'un groupe d'hommes de Saint-Julien-de-Piganiol, Saint-Santin et Almont, la contre-chapelle du couchant fut démolie, le rocher aplani pour les fondations. L'entreprise des bâtisses fut donnée à  Justin Bladviel, entrepreneur à Saint-Santin de Maurs. On construisit d'abord le mur de soutènement de la terrasse du côté du Lot, puis la nouvelle chapelle qui mesure 17 mètres de long sur 6 de large, et au-dessus de la façade le clocher.

La charpente de la chapelle, celle du clocher et son plancher furent posés par Baptiste Bos, du Vialenq, et François Mas, de Puechlascases, tous deux du Port d'Agrès. Le couvreur Pierre Roux, de Saint-Parthem, posa la dernière ardoise et hissa la croix au clocher le 24 octobre 1885. Fin juillet eut lieu la pose des vitraux de sainte Anne et de saint Pierre, œuvre de

L. Lachaize, maitre-verrier à Rodez. Le 7 octobre, l'entrepreneur Justin Bladviel fut chargé de construire la sacristie, y compris le pilier qui la soutient.

Les fouilles pratiquées pour abaisser le niveau du sol de la chapelle amenèrent la découverte d'ossements devant l'ancien autel, recouverts d'une solide maçonnerie. Les uns, pêle-mêle dans la poussière, semblaient être ceux d'un homme : la mâchoire inférieure portait six dents fortes et longues comme celles d'un vieillard. Les autres retenus dans trois planches assez bonnes, mais mal travaillées, parurent les restes d'une femme : le crâne était intact, la mâchoire portait cinq dents. Tous ces restes furent recueillis dans une bière neuve et remis à la place où ils furent trouvés. Une telle déférence s'imposait aux restes de Bégon de Bertrand, fondateur de la chapellenie de Gironde le 5 mai 1428, dont nous parlons longuement dans la suite.

Les rosaces des deux chapelles latérales et celle du chœur reçurent, le 21 mai 1887, les vitraux de saint Joseph, du Sacré-Cœur et de Notre-Dame de Gironde. Ce dernier au-dessus du maitre-autel, particulièrement réussi, est la reproduction de la statue de Notre-Dame. Ces trois vitraux, fournis par la maison Victor Gesta, de Toulouse, coûtèrent ensemble deux cents francs.

Le 8 mai 1888, fut installé l'autel principal en chêne, œuvre de J. Boulouis, menuisier-sculpteur à Trémouilles, canton de Pont-de-Salars.

Le 2 juillet, eut lieu l'érection canonique du Chemin de la Croix par M. Austruy, curé-doyen de Livinhac. La souscription avait été rapidement couverte par quatorze bienfaiteurs.

Le chœur de la chapelle a été décoré, en janvier 1890, par Fidèle Ondolo, peintre italien, demeurant à Rodez.

En juillet 1891, crépissage extérieur de la chapelle par Cayron père, de Flagnac.

Le 18 juillet 1893, l'autel du Sacré-Cœur fait par J. Boulouis fut mis en place, ainsi que la statue qui le domine.

La remarquable décoration de la nef et du transept fut effectuée par M. Petit, domicilié à Verfeil (Tarn-et-Garonne). La coupole du transept est ornée des portraits du pape Léon XIII et du cardinal Bourret, de tableaux représentant l'un le cavalier miraculeusement sauvé des eaux, et l'autre des pèlerins portant leurs enfants et montant la colline de Gironde.

La nef reproduit l'Assomption de Marie et quelques médaillons symbolisant les vertus de foi, d'espérance, de charité et de pureté.

Le 17 novembre 1894, M. Aldebert, archiprêtre de la cathédrale de Rodez, donna la bénédiction canonique à la chapelle de Gironde, entouré d'un grand nombre de fidèles.

M. Bourdoncle, curé d'Agrès, a fait restaurer trois vitraux abîmés par le vent, repeindre le chœur et la nef défraichis par l'humidité (1) et réviser la toiture.

Telle est la chapelle de Gironde, tellement incarnée dans le roc qu'on dirait qu'elle est née du sol. Son intérieur est simple et joli comme un écrin : une châsse en maçonnerie.

« Le silence, a dit Ernest Psichari, est un peu du ciel qui descend vers l'homme ». Cette solitude aimée des pèlerins leur permet d'accomplir un acte de foi dans la présence permanente de Notre-Dame dans ce haut-lieu de prière du Rouergue.

 

(1) Peintures exécutées avec goût par Antoine. et Garcia, peintres-décorateurs à Viviez.

 

La statue en bois de la Madone placée sur le tabernacle du maitre-autel mesure 50 centimètres, non compris le socle de 7 centimètres qui parait postérieur. Elle représente la Vierge Mère assise dans un siège carré de forme antique, tenant l'Enfant-Jésus sur le genou gauche. Le sommet de la tête semble avoir été arasé légèrement pour permettre le maintien du diadème en argent au XVIIe siècle, restauré pour l'Ostension des Madones en 1951. La robe est en grande partie recouverte d'un manteau; le voile couvre la tête et retombe sur les épaules. La chaussure pointue dite à la poulaine représente le modèle courant aux XIIIe et XIVe siècles. Particulièrement curieuse la position du globe symbolisant le monde placé sous la main droite de la Vierge (1). La main gauche maintient l'Enfant jusqu'au-dessus du talon.

L'Enfant-Jésus dont la tête est couronnée, bénit de la main droite, et de la gauche tient le Livre de Vie, comme le Christ de l'Apocalypse du portail de Conques où on lit ces mots :

 « Signatur liber vitae », c'est-à-dire : le Livre de Vie est scellé. Ce trait correspond à une iconographie assez archaïque, tandis que la position désaxée de l'Enfant marque une évolution par rapport au schéma de Vierge du XIe ou XIIe siècle rigoureusement symétrique caractérisant le plan de la frontalité où l'Enfant assis au milieu de la Mère se trouve sur le même axe, telles Notre-Dame d'Estables et Notre-Dame de Lenne, du XIIe siècle, si appréciées des archéologues et des connaisseurs.

La plupart des Madones antiques sont généralement des œuvres d'artisans locaux dont les noms restent inconnus, mais qui, proches du peuple, pour lequel ils travaillaient, vivant au milieu de lui, ont réussi à faire passer l'âme d'une race croyante dans leur âme, pour l'exprimer à leur simple et belle manière : l'art est le rayonnement de la vérité.

 

(l) Certaines Vierges espagnoles de Montserrat, de Puycerda, et d'Ujue notamment, présentent le globe sur la main ouverte.

 

En 1883, le dos un peu vermoulu de la statue de Notre-Dame de Gironde nécessita un léger plâtrage général; il fut effectué à Rodez par M. Galouze, doreur, pour le prix de 45 francs. La statue fut rapportée à la chapelle le 8 décembre, cinq jours avant la mort d'Antoine Jarny, curé d'Agrès.

Quelle époque fixer à notre Madone, signalée pour la première fois dans le procès-verbal de visite pastorale du 1er octobre 1739 de Mgr Jean d'Ize de Saléon. Tous les connaisseurs s'accordent pour dire que la Vierge de Gironde présente tous les caractères d'une œuvre du XIIIe siècle, parmi lesquels le chanoine Touzery (1), M. de Gauléjac, archiviste à Nevers. D'après M. Jacques Bous­quet, archiviste de l'Aveyron, elle remonterait à la deuxième moitié du XIIIe siècle.

En vertu du droit d'asile si respecté au Moyen Age, il était défendu de commettre aucune violence dans les églises, cimetières et autres lieux sacrés, sous peine d'être jugé comme sacrilège. Les édifices religieux devenaient ainsi le refuge inviolable du faible et de l'opprimé. Les cloches pouvaient, à toute heure, donner aux citoyens le signal de se mettre en garde en cas de surprise. Ainsi s'explique la mention des cloches de Gironde par Christophe de Felzins; « Il ny en avait qune dans la chapelle, et l'autre estait dans une cour du chasteau pour avertir le peuple de se rettirer lhors qu'on voyait paroistre du hault de la tour les ennemis dont elle a esté déffendue dans la chapelle ».

Le procès-verbal de visite pastorale de juillet 1519 mentionne deux cloches (campanae duae) à la chapelle de Gironde. Signalées encore en 1675, elles survécurent à la tourmente révolutionnaire, tandis que la journée du 13 au 14 frimaire (3-4 décembre 1793) voyait l'embarquement au Port de La Combe, pour la fonderie de canons de Montauban, des cloches des églises suivantes, avec le nombre et le poids : Agrès, 3, poids 423 livres, fer 41 l.

- Flagnac : 3, 329 l, fer 150 L; - Pagaz : 2, appartenant à Brunet, du dit Pagaz, portant gravés les noms de ses prédécesseurs et données volontiers à la nation, 355 L, fer 25 L ; - Agnac : 1, 45. L, fer 41 l; - Saint-.Santin : 1, 568 l, fer 83 L; - Saint-Julien : 4, 288 l, fer 42 l; - Saint-Parthem 3, 348 l, fer 170 1. Furent embarquées au passage : Livinhac : 1, 670.1., fer 121 l.-La Roque-Bouillac : 2, 771 L, fer 100 l. (1).

 

 

(1) Chanoine TOUZERY, Les Bénéfices du diocèse de Rodez. Rodez, Imprimerie Catholique, 1906, p. 284.

 

Voici le relevé des inscriptions des cloches de Gironde effectué par M. Bernard de Gauléjac, archiviste : celle du côté sud porte : IHS - MRA - INRI - 1582; une guirlande renaissance en fait le tour. Celle du côté nord porte, en belles onciales, l'inscription suivante : Santa Maria ora pro nobis de Girunda. Au-dessous, trois figurines romanes représentent la Vierge-Mère, saint Michel terrassant le dragon, la Crucifixion ; au fond, autre inscription : Virgo Maria -- O mater Dei - Memento mei- IHS. Elle ne porte pas de date, mais d'après les connaisseurs, elle serait plus ancienne que l'autre cloche et remonterait au début du XVIe siècle, contemporaine de la grosse cloche encore en service à Saint-Parthem et qui porte la date de 1514.

Bien des grands de la terre avaient la préoccupation de vaincre la mort en laissant après eux des monuments de survivance capables de conserver dignement leur mémoire aux générations à venir. Ils désiraient ayant tout qu'autour de leur tombeau régnât, sans relâche, dans la suite des temps, une atmosphère de prière pour le repos de leur âme et de celle de leurs descendants. Un repos, une prière, c'est ainsi que le monde chrétien comprenait la mort au Moyen Age.

 

 (1) P. A. VERLAGUET, Vente des Biens nationaux du département de l'Aveyron. Millau, Artières et Maury, II, pp. 705-706.

Voici une liste certainement incomplète des morts inhumés dans la chapelle de Gironde, confondus dans l'égalité fraternelle du tombeau.

Bégon de Bertrand, fondateur de la chapellenie le 5 mai 1428, décédé à une date inconnue : 1er février 1442, il est encore présent à un acte passé devant Ramond de Trayssac, notaire, à Flagnac. Durant deux siècles eut lieu chaque année un service anniversaire pour le fondateur auquel étaient appelés les prêtres d'Agrès et des environs : « Le jour de Nostre-Dame des Avants, les prestres disant la messe dans la chapelle estoient revestus de chapes noires qui faisoient après la messe les prières et cérémonies ordinaires des morts sur la bière et sépulcre du Fondateur ». Le seigneur de Gironde leur donnait à dîner dans son château, et « l'un desquels faisait la distribution de l'aumosne généralle (1) à 7 ou 800 pauvres qui y viennent... et que le seigneur donne annuellement ce jour ».

Vers 1675, Christophe de Felzins dira « Il n’y a que peu de temps que les prestres ont reffusé de continuer, disant qu'il leur avoit esté déffandu ».

 

 (1) L'Aumône générale ou Charité était imposée aux héritiers par le Testateur. Les motifs qui l'inspiraient étaient partout les mêmes : pour l'amour de Dieu et le rachat de mon âme et de celle de mes parents. Elle consistait en une distritution de pains appelés communément pièces qu'on donnait devant la porte de la maison du défunt. Dans certaines paroisses on y ajoutait le vin.

 

Par testament du 8 décembre 1575, Antoine de Bertrand veut « estre ensevelly en la sainte chapelle de Gironde et au devant l'autel de saincte Anne ». Le 18 octobre 1590, Claude de Colon, épouse de Gaspard de Felzins, ordonne « que son corps soit ensevelly dans l'église de Gironde, dans le tombeau de son second mary ».

Le 3 janvier 1649, Catherine de Gausseran, comtesse de Gironde, veut « qu'après que son ame sera déséparée de son corps, son dict corps estre inhumé et ensevelly dans lesglize chapelle de Gironde ». Elle meurt le 17 du même mois.

Y furent encore inhumés : Gaspard de Felzins, décédé le 5 septembre 1618; Marguerite de Monthanar, décédée le 5 septembre 1636; Guillaume de Felzins, fils de     Christophe, inhumé le 2 juillet 1663.

 

La sacristie de la chapelle de Gironde possède trois objets d'orfèvrerie : calice, ciboire, reliquaire.

Le procès-verbal de visite pastorale de 1519 signale un calice d'argent et un calice de cuivre, calix unus argenti et unus letonis. Tous deux ont disparu. Le calice actuel en argent, style Louis XIV, date de la première moitié du XVIIe siècle. Les poinçons TOL et B. La Cère indiquent le lieu d'origine Toulouse et le nom de l'orfèvre. De cet atelier sont sortis notamment la custode des malades de l'église d'Agrès, le calice de l'église de Camboulazet, le ciboire de la chapelle de Vernhettes, commune de Goli­nhac, la petite croix processionnelle du Piboul (1).

Le ciboire en argent porte le poinçon PIN. Il est du XVIIe siècle, et antérieur à la déclaration royale du 31 mars1672 qui ordonnait de contremarquer les objets d'orfèvrerie.

 

 

(1) Charles PORTAL, Dictionnaire des Artistes et Ouvriers d'art da Tarn du XIIIe au XXe siècle. Albi, 1925, pp. 181 et 182. Il mentionne des travaux d'art exécutés par Bernard Lasserre orfèvre à Toulouse pour Rabastens en 1555 et 1565 : Saint-michel de Gaillac en 1558. Son fils et successeur fournit des objets d'orfèvrerie à l'église de Gaillac en 1694 et à la cathédrale de Castres en 1722.

 

Les reliques étaient, au Moyen Age, l'objet d'un culte très populaire, et les fidèles se montraient jaloux d'en enrichir les autels. Ils faisaient de longs voyages pour s'en procurer, les portaient solennellement en procession, les touchaient pour obtenir une guérison ou prêtaient serment en leur présence, et il n'y avait pas de serment plus redouté. Par contre, cette dévotion ne fut pas toujours suffisamment éclairée. Des exploiteurs firent un commerce sans scrupule de ces souvenirs religieux, parfois acquis par la ruse, la violence et le vol.

 

A égale distance d'une défiance injurieuse pour de vénérables traditions et d'une excessive crédulité pour des légendes sans autorité, tel sera notre exposé.

La chapelle de Gironde fut enrichie de reliques provenant d'une double origine : la Terre Sainte et l'Italie.

La maison de Gironde prit part aux Croisades à une date inconnue. Dans un écrit du 27 juillet 1676, Christophe de Felzins rappelle le « zelle à luy transmis par la pietté des encestres desquels le Ciel a tellement bény la religion et les voyages d'oultre mer dans la terre sainte qu'en ayant transporté de prétieuses reliques dans un oratoire ou chappelle privée de leur chasteau servi par leur chappelain soubz l'invocation de la Vierge, ceste illustre et débonnaire patronne a attiré au secours de ces pieux seigneurs la dévotion de toute la province, ayant fait cognoistre qu'elle prenoit plaisir d'astre honnorée en ce lieu ».

De plus, dans un Factum du 25 février 1676, le même seigneur de Gironde mentionne les

 « reliques qu'ils (ses devanciers) y ont apporté du voyage de la Terre Sainte, au hasart de leurs biens et péril de leur vies ». D'après un vieux Mémoire, il s'agirait d'une parcelle de vêtement de la Vierge Marie.

La tradition cède la place à l'histoire quand il s'agit de la seconde catégorie de reliques. Dans l'acte de fondation de la chapellenie de Gironde, le 5 mai 1428, Bégon de Bertrand assigne à la chapelle du château une croix ou reliquaire, ornée de cristal et munie de diverses reliques de saints, apportée par lui-même d'Italie « unam crucem seu reliquiarium de christallo ornatam et diverses reliques sanctorum munitam, quam crucem seu reliquiarium et Italia apportaverat dictus nobilis Bertrandi ». En 1675, Christophe de FeIzins rappelle ce fait :

« Despuis plusieurs siècles, ses autheurs firent construire une chapelle ou oratoire dans la Basse cour du chasteau de Gironde qui l'ornèrent de reliques de divers saints qu'ils portèrent d'Italie et qui ont despuis peu attiré la dévotion des fidèles en ce lieu ».

Les ravages des Protestants, dans la seconde moitié du XVIe siècle, firent prendre pour les reliques conservées à Gironde, des mesures analogues à celles dont le trésor de sainte Foy fut l'objet. L'église et le Chapitre de Conques avaient été incendiés par les religionnaires le 9 octobre 1568. Afin de mettre à l'abri de leurs nouvelles entreprises les reliques de sainte Foy, on les enfouit dans la construction du mur de l'entrecolonnement de l'abside. C'est là qu'elles furent retrouvées le 21 avril 1875, en pratiquant sa démolition. Un double tournois de 1590 trouvé dans le coffret des reliques permit de déterminer approximativement l'époque de leur enfouissement.

Une tradition constante assurait que les reliques de, Gironde étaient cachées dans la chapelle; mais les recherches étaient demeurées vaines. Ce fut en 1649 qu'elles furent mises à jour à la suite de circonstances dont fut témoin Christophe de Felzins. « Un sein d'abeilles » plusieurs fois dissipé et qui venait se reformer au même endroit fit découvrir le précieux dépôt. Le hasard n'est que l'incognito de Dieu. Le procès-verbal du 5 août 1649 mentionne « l'ouverture d'un petit coffre et de deux boètes treuvées dans le milieu d'un hostel de pierre... qu'il faleut démolir pour les avoir.., où il y avoit quantité de reliques ».Ce procès-verbal fut rédigé par Desnoets, curé de Livinhac et vicaire forain, commissaire délégué par un vicaire général de Rodez, à la requête de Jean Julien, ancien curé d'Agrès, grand ami du seigneur de Gironde, présent à la translation, ainsi que Jean Serres, chapelain, Gaspard de Felzins et son fils Christophe.

Le 20 septembre suivant, « en présence de plusieurs nobles personnages.», le vicaire général dresse le procès-verbal de « veriffication des reliques » remises à Jean Julien, ex-curé d'Agrès, et rend une ordonnance qui prescrit de les mettre en lieu décent…en attendant la faction d'un reliquaire que l'ancien prieur avait promis de faire ».

D'abord déposées dans le, tabernacle, les reliques furent transférées dans une des deux armoires qu'Antoine Rous, vicaire d'Agrès, fit construire, en 1666, dans le chœur de la chapelle par Antoine Ginolhac « carpentier et tysseran » du lieu d'Agrès, pour le montant de deux livres. C'est là qu'elles étaient encore lorsque le château de Gironde prit feu, au soir du 12 août 1676. Le procès-verbal d'enquête de l'incendie mentionne « deux armoires qui sont près de l'autel de la dite chapelle, qui furent enfoncées par les gens qui estoient veneus au secours pour arrester l'incendie, afin de sortir les reliques et ornemens de ladite chapelle, sur lapréhension que le feu ne s'y print ».

C'est dire que l'offre d'un reliquaire par Jean Julien décédé le 25 août 1658, renouvelée probablement par Pierre Boyer, prieur d'Agrès, n'était pas réalisée ; aussi est-elle qualifiée de « pure chimère » par Christophe de Felzins. D'autre part, celui que Bégon de Bertrand avait affecté à la chapelle en 1428 avait disparu.

Le reliquaire actuel est ainsi décrit par M. Bernard de Gauléjac (1) : « Le reliquaire de Notre-Dame de Gironde est un joli objet d'intérêt secondaire, type du reliquaire paroissial courant. Le pied à six lobes et la tige hexagonale à nœud côtelé sont en cuivre argenté, seule la partie supérieure est en argent. Le reliquaire en cristal, placé horizontalement, est supporté à chacune des extrémités par une plaque d'argent surmontée d'un arc en accolade avec crochets et fleurons, entre deux contreforts à pinacles : chaque plaque est décorée au repoussé d'un symbole évangélique, le Lion et l'Aigle. Un gâble ajouré, dont les rampants sont garnis d'un rang de crochets, s'élève au-dessus du cylindre et réunit les supports de celui-ci ; il est orné d'un gros cristal en son milieu et amorti par une boule côtelée, surmontée d'une petite croix dont l'extrémité des bras s'épanouit en feuillages. Le poinçon d'orfèvre a été insculpé deux fois sur cet ouvrage, sans qu'il y ait trace d'un poinçon de garantie ».

Le reliquaire de Gironde est sorti de l'atelier d'Hector et Jean Rayronie, surnommés tous deux Chiro. Le père est déjà établi à Rodez en 1449; le fils est mentionné pour la première fois en 1477. On peut encore attribuer aux Rayronie, orfèvres de grande classe, un retable d'argent jadis à la cathédrale, la croix processionnelle de Flagnac et une petite croix pédiculée de Salles-Curan(2).
Nous ne sommes pas éloigné de penser que le reliquaire de Gironde ait été commandé à Hector Rayronie par Bégon de Bertrand. Ils étaient contemporains : le seigneur de Gironde est mentionné en 1442, et l'orfèvre de Rodez en 1449.

 

 

 

(1) B. de GAULEJAC, Histoire de l'Orfèvrerie du Rouergue. Rodez, Carrère, 193SS, pp. 45-16.

(2) Le reliquaire de Gironde a figuré en juin 1937 à l'Exposition rétrospective d'Orfèvrerie religieuse, au musée Fouaille à Rodez.

 

 

De la « quantité de reliques » découvertes à la chapelle de Gironde en 1649, le reliquaire actuel ne contient plus que les suivantes : Beatae Mariae Virginis (parcelle de tissu oriental), un minuscule paquet d'étoffe sans indication; saint Amans, saint Eustache, sainte Foy, sainte Pazzie (Madeleine), saint Parthem, saint Hugues et saint Artémon. Parmi ces souvenirs religieux, quelques-uns touchent de si près à notre histoire locale que ce, ne sera pas, croyons-nous, s'éloigner du cadre de notre travail en donnant les renseignements qui suivent.

Saint Parthem ou Arthem serait mort évêque de Cler­mont en 394, sensiblement à la même époque que saint Martin de Tours. Avant l'érection du diocèse de Saint - Flour en 1317, la paroisse de Saint-Parthem servait de limite au diocèse de Clermont. Les reliques du saint évêque furent éloignées de la ville épiscopale et une partie fut cachée dans notre région, probablement afin de les soustraire au vandalisme de quelque invasion. Dès lors, cette localité qui s'appelait La Gravière prit le nom de Saint-Arthem, devenu plus tard Saint-Parthem. L'authenticité des reliques de l'évêque de Clermont conservées chez nos voisins a été constatée les 6 et 26 mai 1549 par Mgr Nico­las Mangris, évêque de Salonne, vicaire général du cardinal d'Armagnac; le 25 octobre 1672, par Thomas Regnoust, vicaire général de Mgr de Voyer de Paulmy; le 21 avril 1882, par Mgr Bourret.

La paroisse de Saint-Parthem a l'insigne honneur de garder les ossements d'un de ses fils, le Bienheureux Hugues ou Hugon, originaire du village de Puechagut. Ce religieux aurait vécu au XIIe siècle, menant une vie érémitique dans une grotte qu'on voit encore. Les vicaires généraux du cardinal d’Armagnac. (1530-1562) et de Mgr de Voyer de Paulmy (1667-1682) le jugèrent digne d'un culte public.

Le 28 mai 1673, on vit à Saint-Parthem une affluence l'environ deux cents prêtres et vingt mille fidèles prendre part à une splendide procession où furent portées les lasses du saint évêque de Clermont et du Bienheureux Hugues (1).

Le vandalisme révolutionnaire avait pillé le trésor des reliques de la cathédrale de Rodez. Mgr Pierre Giraud voulut réparer une perte si sensible. A sa demande, le pape Grégoire XVI lui envoya les restes d'un martyr : tiré des Catacombes, saint Artémon. Sur le marbre qui scellait son tombeau, et envoyé avec le saint corps, figuraient le nom en caractères grecs et une ancre surmontée de la Croix. Le temps qui a respecté cette inscription n'a laissé arriver jusqu'à nous, touchant le saint martyr, aucune de ces circonstances que nous aurions aimées à connaître. Tout ce qu'il est permis de conjecturer, d'après ces indices assez probables, c'est que la Grèce lui aurait donné le jour vers le commencement du IIIe siècle. Les traces de feu que présentent quelques-uns de ces ossements semblent indiquer qu'un bûcher fût le char de triomphe d'où son âme prit son vol vers le ciel. Afin de célébrer la translation de ces reliques avec une pompe digne du présent et du donateur, Mgr Giraud adressa un appel au diocèse et convoqua, le 7 août 1839, les paroisses à Rodez. Des fêtes inoubliables furent célébrées en cette circonstance auxquelles prirent part quatre-vingt mille fidèles (2).

 

(1} GRIMALDI, Les Bénéfices... pp. 747-748. - Revue Historique du Rouergue (1914), pp. 27-29.

(2) Abbé SERVIERES, Histoire de l'Eglise du Rouergue, p. 619.

 

 

CHAPITRE IV

 

La Chapellenie

Et  Les Chapelains

 

 

Par chapellenie on entendait un service régulier et perpétuel de messes de Requiem établi pour le repos de l'âme du fondateur et de celle de ses parents. Ce service avait lieu ordinairement dans les églises paroissiales et à un autel déterminé, ou dans les chapelles privées érigées dans les châteaux. Dans ces sortes de fondations, le plus souvent testamentaires, le fondateur faisait connaître le nombre de messes à dire annuellement, les jours de leur célébration, le nom du « collateur » ou personne chargée de nommer le chapelain, les revenus attribués au titulaire. Au XVe siècle, les seigneurs se mirent à fonder des chapelles ou chapellenies, comme aux XIIe et XIIIe siècles, ils avaient fondé ou doté des monastères.

La chapellenie de Gironde fut fondée en 1428, année mémorable! On gagnait à Rocamadour le jubilé accordé par le pape Martin V aux foules qui priaient pour le salut de la France agonisante sous le joug anglais : Jeanne d'Arc, suscitée de Dieu, commençait à Chinon sa glorieuse mission : les registres municipaux de Cahors, contemporains de ces événements, font eux-mêmes le rapprochement.

Voici l'essentiel de l'acte de fondation de la chapellenie établie dans la chapelle de Gironde, d'après une copie de la deuxième moitié du. XVIIe siècle :

Le 5 mai 1428, sous l'épiscopat de Vital de Mauléon, évêque de Rodez, par devant notaire et témoins, noble Bégon de Bertrand, seigneur du château de Gironde, paroisse d'Agrès, en reconnaissance de nombreuses grâces ou faveurs ou protections au milieu des périls et des maladies, par l'intercession de la Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, au temps où, chassé de son château de Gironde et spolié de tous ses biens, il combattait dans les funestes et sanglantes guerres d'Italie, pendant huit ans, attendu que sa patronne, la sainte Mère de miséricorde, le ramena sain et sauf sans sa patrie où il recouvra son château de Gironde ainsi que tous ses biens, et que, touché par ses faveurs; il désire remercier sa bienfaitrice et protectrice; pour ces causes, en l'honneur du Créateur, de la Vierge Marie et de tous les saints, pour la rédemption de son âme, de celle de ses père et mère, de ses frères, des autres membres de sa famille et de ceux envers qui il peut avoir une obligation, librement et en pleine connaissance, il institue et fonde une chapellenie desserviable à perpétuité dans la chapelle qu'il possède au-dessous et à côté de son château de Gironde,: anciennement dédiée à la Vierge Marie.

Cette chapellenie sera desservie à perpétuité par un chapelain de bonne vie et mœurs. A la dite chapellenie et à son desservant Bégon de Bertrand fait don des objets suivants : une croix-reliquaire ornée d'un cristal, rapportée d'Italie et renfermant plusieurs reliques de saints, un calice d'argent avec sa patène du poids de deux marcs, acheté également en Italie, divers ornements, soit une chasuble de satin blanc, une autre violette, une noire, avec leurs étoles et manipules, la première galonnée d'argent, les autres de drap, deux devants d'autel, l'un de satin, l'autre de toile noire, trois aubes de toile de lin avec leurs cordons et amicts, six nappes, trois bourses avec leurs corporaux et voiles, vingt-quatre serviettes et trois manuterges, deux canettes (1) en argent, deux candélabres de fer et deux de bois, un missel neuf, le tout affecté à la chapelle et à son desservant.

 

 

(1) Le texte complet en latin est: renvoyé aux Pièces justificatives, est conservé aux Archives paroissiales d'Agrès.

 

De plus, sire Bégon de Bertrand, pour le service de la chapelle et subsistance du chapelain, fait don des rentes suivantes : neuf quartons et demi de froment, cinq setiers de seigle et cinq quartons et demi d'avoine, mesure de Figeac, que Bégon de Bertrand avait coutume de lever et que dorénavant le chapelain lèvera sur le mas de La Serre et ses dépendances, paroisse de Bagnac; de même quatre setiers de seigle et cinq quarties moitié seigle et avoine sur le mas du Trier : deux setiers de seigle sur le mas de Renolenc; un setier de seigle et un setier d'avoine sur le mas du Clos ; un setier de seigle et un setier d'avoine sur le mas de Lancunet; de même le blé et les poules que levait le seigneur de Gironde sur le mas susdit (2) et qu'à l'avenir lèvera le chapelain, le tout exempt de tous droits; le dit Bégon de Bertrand se réservant seulement toute juridiction ou justice haute, moyenne et basse, et la protection de la chapellenie et de son desservant.

 

(1) On appelait canettes les burettes pour le vin et l'eau de la messe. Mentionnées en 1428 à la chapelle de Gironde, elles sont bien antérieures aux canettes que signale, en 1518, l'acte de prise de possession de la cure de Saint-Dalmazy. Cf. A.AFFRE, Dictionnaire..., p. 63.

(2) Tous ces mas n'ont pu être identifiés,

 

Le chapelain, ainsi doté, sera tenu à perpétuité de célébrer les messes suivantes dans le cours de l'année : tous les dimanches et jours de fêtes de l’Eglise, avec l'oraison de la Bienheureuse Vierge Marie, patronne du fondateur, chaque lundi pour les défunts, et chaque samedi en l'honneur de la Vierge. Les chapelains qui se succèderont seront chargés de tenir ladite chapelle munie des habits, vêtements, ornements et vases sacrés nécessaires, de les refaire ou de les réparer, sous la surveillance du patron qui devra veiller à l'exacte célébration des messes.

Noble Bégon de Bertrand confère pour la première fois la charge de chapelain à son très cher cousin noble Pierre de Bertrand, prêtre, pour desservir la chapellenie sa vie durant; les patrons de la chapellenie seront les seigneurs du château de Gironde. Chaque fois que la chapellenie viendra à vaquer, elle devra être donnée à un chapelain de bonnes vie et mœurs. Noble Pierre de Bertrand, premier chapelain, promet d'assurer fidèlement la fondation, et de n'en pas dissiper les biens.

Témoins : Pierre d'Aubin, Arnaud de Ruau (1), damoiseaux, maître Pierre Ratié, prêtre, maître Pierre de Fraux (2), prêtre, Jean Colombiès, notaire, Pierre Leblanc, Guillaume Benoît et Pierre Roussel, notaire épiscopal, qui a rédigé l'acte.

Par testament du 27 avril 1640, Marguerite de Felzins, « après avoir fait énumération des anciennes fondations y adjouste de son chef celle d'une messe chasque semaine dans la chapelle du château ». Un différend s'éleva dans la suite à ce sujet entre l'évêché de Rodez et le seigneur de Gironde. Antoine Carcenac, promoteur, fait savoir que Jean François Solemnet, ci-devant promoteur, avait formé instance en la cour présidiale de Villefranche contre Christophe de Felzins, héritier des biens de Marguerite de Felzins sa tante, au sujet du revenu de la somme de cent livres léguée par testament au prêtre qui desservira la chapelle de Gironde. Un jugement du 13 février 1680 demande au promoteur de remettre le testament en bonne et due forme et de vérifier que Christophe de Felzins est en possession des biens de sa tante; la suite de cette affaire ne nous est pas connue.

 

(1) Un hameau de ce nom se trouve dans les communes d'Aubin et de Viviez.

(2) Paroisse d'Agrès

 

 

Le Chapelain était le prêtre résidant ou non, chargé d'une chapellenie. Le plus souvent, le fondateur s'en réservait la nomination pour lui et ses successeurs. Le nouveau titulaire devait se faire introduire dans la chapelle où il était appelé à faire son service de la même manière que les curés dans leur église. Le chapelain était rétribué en espèces ou plus souvent en nature. On a vu dans l'acte de fondation de la chapellenie de Gironde que les revenus affectés au chapelain comprenaient blé, seigle, avoine et poules. Au XVIIe siècle, la chapelle « est dotée de 40 setiers seigle et chargée de trois messes par semaine » (1).

Le premier chapelain fut Pierre de Bertrand, choisi par Bégon de Bertrand et qui l'appelle mon très cher cousin, es consobrino mea carissimo ». On lit dans un document du XVIIe siècle      « Cette fondation ayt jamais estée exécutée et il c'est passé plus de deux cents ans sans qu'il y ait ni preuve ni vestige que les successeurs de ce fondateur ayent jamais nommé aucun chapelain ny fait jouir aucun prestre des biens assignés par le dit acte de fondation ». Nous ne sommes pas éloigné de penser que le service religieux de la chapelle fut assuré dans la deuxième moitié du XVe siècle par des prêtres nés au château de Gironde; deux, en effet, en étaient originaires à cette époque.

Le 29 avril 1461, en visite pastorale à Agrès (1), Mgr Bertrand de Chalancon accorde des lettres dimissoires à Bégon de Bertrand, acolyte, pour recevoir les ordres sacrés s'il est trouvé digne. II a pour titre celui que lui a constitué son frère, le seigneur de Gironde, en divers biens qui donnent tous les ans une rente de 15 livres. Bégon s'est déclaré content de ce titre et a donné à l'évêque quittance entière de ce qu'il pourrait exiger plus tard.

Un acte du 7 juin 1483 qualifie de chapelain Bec (Bégon) de Bertrand de Gironde.

Le même jour, à Saint-Julien de Piganiol, l'évêque accorde des lettres dimissoires (2) pour tous les ordres sacrés à Nicolas de Bertrand, acolyte. Jean de Bertrand son frère, seigneur de Gironde lui assigne un titre clérical de 15 livres.

Le 9 mars 1499, par devant Guillaume Lessal, notaire de Saint-Constant, « le noble Bégon de Bertrand, prêtre, vendit à Jean Murat un bois assis ez appartenances du chasteau de Gironde et au fief appelé lou bosc del Pes­quier, lequel avait esté assensé cy devant à Jean Murat fustier de Puechlascazes parroice d'Agrès par noble Nicolas de Bertrand sieur de Gironde et par la noble Angeline del Peyrou sa mère au cens d'un denier tournois…  »

Dorénavant, une centaine d'années vont s'écouler sans aucune mention de prêtre à Gironde : l'Histoire même a ses mystères. Mais à partir de la fin du siècle, nous avons pu établir sans lacune la liste des chapelains. Ceux ci étaient toujours choisis par le seigneur de Gironde, en vertu du droit de collation que le fondateur s'était réservé pour lui et ses descendants. Parfois logés et entretenus au château, ils confessaient et communiaient les pèlerins, prenaient les offrandes et autres émoluments.

 

(1) Arch. dép. G 104, folio 63v.

(2) Lettres par lesquelles un évêque autorise un clerc de son diocèse à se faire ordonner par un autre évêque.

 

Antoine Serres del Molinié, paroisse d'Agrès, servit la chapelle durant trente-cinq à quarante ans jusqu'en 1631. Il fut remplacé par Jean Serres de Brayes, « à mil pas de Gironde », paroisse de Saint-Santin du Rouergue, lequel fut chapelain jusqu'en 1638. Antoine Lacombe, originaire de Noalhac, lui succéda et fut en même temps précepteur de Christophe de Felzins et de ses frères. En 1648, il fut pourvu de la cure d'Arjac et de son annexe d'alors, Saint-Julien de Malmont. Jean Serres, de Brayes, redevint chapelain jusqu'en 1659. « De Gironde a tenu ces deux prettres dans le chatteau 28 ou 29 années, confessant et communiant tous les pèlerins et prenant toutes les offrandes qui venait dans la chapelle despuis 1632 jusqu'en 1658 ou 1659 ».

Un jour de l'année 1659, Pierre Boyer, prieur d'Agrès, « estant à table-en bonne compaignie dans le château de Gironde, auroit prié le père du produisant (Gaspard de Felzins) de luy bailler à servir la dite chapelle en qualitté de chapellain, luy promettant de la faire fort bien réparer, lui représentant audit seigneur de Gironde qu'en luy baillant la dite chapelle à servir, il esparnieroit 50 escus que l'entretien du pretre par luy institué luy coustoit, et que mesures il ne luy demandoit pas de diurne de son bien ».

« Le sieur de Gironde luy, dict qu'il voudroit, que sa chapelle valoist mille escus, quil la luy donneroit dausy bon coeur comme il faisoit et congédia d'abort le dict Serres (1) qui la luy servoit, et dès lors ledict prieur heust un vicquaire qui servit la dicte chapelle et la paroisse, et le dict sieur de Gironde le faisoit dinné tous les dimanches et fettes au chatteau quand il avoit dict la messe ».

 

 

(1) Décédé le 19 novembre 1663.

 

 « En 1668, monsieur de Gironde osta la chapelle au sieur Boyer, prieur, parce qu'il ny avoit pas faict aucunne réparation comme il luy avoit promis et tombait déjà ». En réalité, le curé d'Agrès n'avait dépensé pour la chapelle que 14 livres 5 sols.

Le 2 octobre 1668, « le dit sieur la donna a metre Maynard... qui la servie et faictte servir du despuis ayant tousjours demeuré dans le chatteau, ayant pris touttes les offrandes et confessé tous les pèlerins qui venoit dans la chapelle ». Le seigneur de Gironde confia également l'éducation de ses enfants à Géraud Maynard. Celui-ci garda le titre de chapelain jusqu'à sa mort, en 1709, à Saint-Jean de Mirabel ou le Froid (1) (lou Fretz), diocèse de Cahors, dont il était prieur.

Mais depuis longtemps, Géraud Maynard n'était plus chapelain effectif. Le 19 avril 1692, « Noble Antoine de Felzins, écuyer, seigneur de Gironde, confère à maître Jean Catugier, prêtre, curé de Saint-Avit, diocèse de Sarlat, et aumônier au château-Trompette, la chapellenie fondée dans le château et chapelle Notre-Dame de Gironde, avec tous les droits en dépendant, pour, par le dit sieur chapelain, jouir des revenus de la dotation de la dite chapellenie et de toutes autres fondations faites à l'occasion d'icelle dans la dite chapelle par les auteurs dudit sieur de Gironde, à la charge par ledit sieur chapelain de faire ou faire faire le service porté par la fondation de       la dite chapellenie et autres portés par les fondations et dons pieux faites par ses auteurs » (2).

 

(1) Au XVIe siècle, l’abbaye de Conques ne possédait plus en Quercy que ce prieuré.

(2)Arch.dép.3E 3381, N°75.

 

Le 4 août 1709, Antoine de Felzins fixe son choix sur Simon Boyer, prieur d'Agrès, par acte retenu par J. Delort, notaire royal apostolique, en présence d'Antoine Bessière, vicaire d'Agrès, et de François Fauvel, laboureur, du village de La Borie d'Arnis peu éloigné du château de Gironde. « Afin que le service ne soit pas plus long temps discontinué et que le fondateur ne soit pas privé des suffrages qu'il a attendeus pour luy et ses successeurs, de gré, pure et franche volonté, bien informé de la bonne vie, mœurs et piété de maître Simon Bayer, prêtre et prieur du présent lieu, y habitant, a donné, collé et conféré la dicte chapelainie vacquante par le décès dudict sieur Maynard, au dict sieur Boyer, avec tous les fruits, profits et revenus en dépendants, à la charge par le digit sieur Boyer de faire le service porté à la dicte fondation et augmentation d'icelle et entretenir en bon estat la dicte chapelle et ornements d'icelle; ce que le dict sieur Boyer présent et acceptant a promis de faire, et le dict seigneur de Gironde a donné pouvoir à moy ou autre premier Notaire Royal Apostolique requis, de metre le dict sieur Boyer en la réele, actuelle et corporelle possession de la dicte chapelainie, fruits, profits et reveneus en dépendants.. »

L'installation du nouveau titulaire eut lieu le surlendemain, vers sept heures du matin, par le notaire susnommé, « ...Pour à ce procéder, ayant veu, leu et examiné le dict acte de collation, et ce fait, avons introduit ledict sieur Boyer, prêtre, dans la dicte présente chapelle de Gironde, pris de l'eau bénite, sonné la cloche, fait prières à Dieu et à la Sainte Vierge Marie, et alles ensuite au pié du Maître-autel, lequel le dict sieur Boyer prêtre auroit baisé, et observé les autres formalités, en ce case requises et nécessaires... » Furent témoins Antoine Bessière, vicaire, et Antoine Guibert, praticien, du village de Puechlascases, paroisse d'Agrès.

 

Simon Boyer résigna les fonctions de chapelain par acte passé le 14 août 1733 devant Delort, notaire royal apostolique, dont furent témoins Antoine Vernet, prêtre, demeurant à Flagnac, et Antoine Laroumiguière, maître-chirurgien, à Livinhac. « Parce que maintenant, le dit sieur Boyer, à cause de sa vieillesse et incommodités de son corps, n'est plus en état de faire le service porté par la fondation de la dite chapelainie; c'est pourquoy, de son bon gré, c'est démis et départi, démet et départ par ses présentes en faveur et au proffit des héritiers du dit deffunct Noble Antoine de Felsinc, seigneur dudit Gironde, de ladite collation, et de tous autres actes en verteu desquels il jouissoit la dite chapelainie de Gironde et de tous de fruits et revenus d'icelle sans soy rien réserver que seulement les arrérages qui peuvent luy estre deus... de tout le passé; et ce, afin que lesdits heretiers dudit deffun et Seigneur de Gironde collent cy après ladite chapelainie de Gironde à tel autre qu'ils treuveront à propos ».

Simon Boyer fut remplacé par son neveu, prieur d'Agrès, nommé et prénommé comme lui Simon Boyer, lequel demeura chapelain jusqu'à sa mort le 22 avril1742.

Le surlendemain, 24 avril, « Jean-Baptiste Delolm et dame Marie de Felsinc mariés, seigneurs dudit Gironde, demeurant au dit chateau... bien informés de la bonne vie, mœurs et piété de maître Guillaume Delort, pretre et curé du lieu Notre-Dame de Saint-Santin, y habitant, ont donné, collé et conféré la dite chapelainie vacante par le décès du dit sieur Boyer au dit sieur Delort... en présences de maitre Jean-Baptiste Baduel, prêtre, de la ville d'Au­rillac, demeurant présentement au dit lieu de Saint-Santin, d'Antoine Dorssal sieur de la Jonquière, demeurant au chateau de la Soulière, parroisse d'Aubin, et d'Antoine Vezié, travailleur du village de La Vignale, parroisse dudit Agrès ».

Guillaume Delort fut mis en possession de la chapellenie de Gironde le 25 avril 1742, vers quatre heures du soir, par Delort, notaire royal apostolique, en présence de Jean François Labarthe, praticien, du village de Carègues, et d'Antoine Vezié, travailleur, du village de La Vignale ; il conserva le titre de chapelain jusqu'à sa mort en 1774.

« Adverti du décès de maitre Delort, curé de Notre-Dame de Saint-Santin d'Auvergne, diocèse de Saint-Flour », Pierre de Felzins, seigneur de Gironde, capitaine au régiment royal dragons, Chevalier de l'Ordre royal et militaire de St-Louis, habitant en son château de Gironde, par acte passé chez lui le 31 août 1774, confère la chapellenie vacante « à Joseph Garrigou pretre, natif de Vialarels, parroice de Firmy, résidant actuellement du lieu de la Besse-Noits » Acte reçu par Delort, notaire royal apostolique, en présence de maître Félix Ferrieu, bachelier de la Faculté de théologie de Paris, prieur d'Agrès, et du sieur Pierre Delholm, habitant dudit château de Gironde. L'installation eut lieu le même jour, par le même notaire et en présence des témoins susnommés.

Les chapellenies ayant pris fin à la Révolution, le service de la chapelle de Gironde incomba dès lors aux curés d'Agrès, autres serviteurs de Notre-Dame, auxquels nous consacrons les dernières pages de notre travail.

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE V

 

 

Différends entre les seigneurs de Gironde et les prieurs d'Agrès

 

 

 

Entre Christophe de Felzins et Pierre Boyer.

 

Le prieur d'Agrès Pierre Boyer avait été congédié de Gironde en 1668 pour n'avoir pas fait à la chapelle les réparations auxquelles il s'était engagé. Par contre, il prétendait que Christophe de Felzins lui était redevable de plusieurs années de dîme du carnelage (1) et du vin. Telle fut l'origine d'un conflit qui dura neuf ans, et à la solution duquel les juridictions ecclésiastique et civile furent amenées à prendre part. Tout le litige  se  ramène à cette question : à qui appartient la chapelle de Gironde? Pour Christophe de Felzins, elle est l'oratoire privé du château d'après l'acte de fondation de la chapellenie du 5 mai 1428. Au dire de Pierre Boyer, elle est annexe de l'église d'Agrès et reconnue comme telle par le procès-verbal de 1519 de François d'Estaing, par un Bref du pape Innocent X du 31 août 1652 et le verbal de visite faite par Thomas Regnoust, vicaire général, du 3 juin 1670.

 

(1) Le carnelage, du latin cars, carras « chair », était une forme spéciale de la dime prélevé: sur les animaux domestiques nouvellement nés.

 

A cette époque, les lenteurs de la procédure étaient invraisemblables. Les différends soumis aux juges duraient des années sans recevoir de solution. Les parties déposaient appels et contre-appels; les questions de compétence naissaient à chaque instant de la multiplicité des juges et de l'enchevêtrement des règles concernant la juridiction, II fallait tout reprendre; de nouvelles enquêtes étaient ordonnées avec déplacement des magistrats qui prolongeaient à plaisir leur séjour bien rétribué. Les pièces s'entassaient en nombre considérable; elles étaient mises dans différents sacs désignés chacun par une lettre de l'alphabet, et il fallait, à grands frais de transport, faire suivre ces énormes dossiers dans les diverses Cours. On devine les conséquences : les pauvres s'abstenaient de revendiquer leur droit, tant il était difficile de le prouver; les riches se ruinaient, ou bien corrompaient les juges pour les presser, ou parfois découragés, acceptaient un compromis désavantageux.

A en juger par les quelques pièces en notre possession, le dossier du procès de Gironde dut être volumineux, avec ses multiples allégations et répliques, protestations et contre-protestations, appels et contre-appels, sentences interlocutoires ou définitives, enquêtes et contre-enquêtes. Au prix de laborieuses recherches, nous avons pu établir approximativement les étapes du différend. Nous sommes loin d'être complet : le lecteur voudra bien se souvenir que furent entendues les dépositions de 87 témoins, dont 50 pour le seigneur de Gironde, et 37 pour le prieur d'Agrès.

Le 30 août 1668, Pierre Boyer obtient du sénéchal de Rodez un décret de prise de corps du chapelain Géraud Maynard, signé Franques, greffier. Le même jour, Thomas Regnoust, vicaire général et official, « grand amy » du curé d'Agrès, confirme cette mesure :

 « Mandons et commandons prendre et saisir au corps maître Maynard, soi-disant chapellain de l'esglize Nostre Dame de, Gironde, et icelluy conduire et emmener en seure garde, avec la dessance requise deub à son caractère, en prisons de Cal­degousse (1) dans la présente ville, pour y estre detteneu jusques avoir respondeu sur la plainte et inquisitions contre luy faictes et remises devant le greffe ».

Le 4 janvier 1669, Pierre Boyer intente un procès à Christophe de Felzins qui lui doit comme prémice un grand pain bis pour chasque paire de bœufs », et les arrérages de la dîme depuis 29 ans sur les biens que le seigneur de Gironde possède dans la paroisse.

Le 6 juillet, le prieur d'Agrès comparaît devant Pierre Durieu de Tarrou, juge-mage et lieutenant principal en la sénéchaussée de Rouergue à Villefranche. « La main sur    sa poitrine », il jure que le seigneur de Gironde ne lui a offert ni payé la dîme du carnelage. Quant à la dîme du vin, il reconnaît qu'au temps des vendanges, Maynard « prêtre et domestique » de Christophe de Felzins est venu le prier de la part du seigneur de la lui laisser et qu'on lui en paierait la valeur; mais ici encore, rien n'a été payé ou offert.

Christophe de Felzins « estant à Paris, poursuivant le renvoy en la Cour d'un procès qu'il avoit contre monsieur le duc d'Uzès », Thomas Regnoust, à la demande de Pierre Boyer, délivre, le 3 juin 1670, un procès-verbal de visite de la chapelle de Gironde    qu'il     qualifie « annexe ».

 

(l) Le château de Caldegouse, Guardegose d'après quelques titres, fut acheté en 1222 à Gaillarde de Caldegouse et à Pierre de Cahusac son mari, par l'évêque Pierre Henri de la Treille. Situé dans la cité de Rodez, à côté du couvent des Annonciades, au fond de la cour de l'ancien séminaire de philosophie, joignant le boulevard, il devint une prison où on enfermait laïques et ecclésiastiques condamnés par l'Officialité diocésaine, principalement ces derniers.

 

Le 31 juillet 1672, Antoine Rarson, sergent de la Cour royale de La Vinzelle, résidant à Saint-Santin, à la requête du prieur d'Agrès, donne assignation à Maynard, au huitième jour, en la ville de Rodez, par devant l'Offi­cial, pour répondre catégoriquement en quelle qualité il s'est ingéré de servir la chapelle de Gironde et de jouir de ses émoluments, et qu'il soit condamné à lui rendre compte de l'argent reçu des quêtes qu'il a fait faire pendant quatre ans.

Le 19 août, Thomas Regnoust en appelle au bras séculier pour exécuter le décret de prise de corps contre Maynard donné à Rodez quatre ans auparavant.

Le 22 août, Antoine Vivent, huissier en la cour royale et bailliage de Peyrusse, résidant à Villefranche, se rend à la chapelle de Gironde, accompagné des témoins François Coste, prêtre, et Jean Coste, « sarger » ou peigneur de laine. A la réquisition de Pierre Boyer et en vertu du décret de prise de corps par lui obtenu du sénéchal de Rouergue, le 30 août 1668, et  ordonnance de son exécution du 19 courant, il requiert   Géraud    Maynard   de    le « suivre pied à pied, pour iceluy estre conduict et emmené dans les prisons de Caldegouse à Rodès; ce qu'il auroit refusé faire; veu son refus, l'ay pris au corps et iceluy conduict dans les dictes prisons, et y estant, l'ay bailhé en garde à Jacques Roquemières, concierge des dictes prisons ». Le  seigneur de Gironde l'en fit sortir après une détention qui paraît avoir été assez courte. Il convient de noter que le prieur d'Agrès fut lui aussi, au cours du procès, l'hôte du château de Caldegouse. Christophe de Felzins mentionne, en effet, que « l'adversaire » n'en sortit que par son « intercession ».

Le 17 septembre, la cour de Toulouse reçoit une supplication de Maynard « lequel nous a faict exposer qu'il y a déjà longtemps qu'il a esté pourveu de la dicte chapellenie par Christophe de Felzins, seigneur du dit Gironde et jouy d'icelle quatre ou cinq ans sans aucun trouble jusqu'à présent que maître Pierre Boyer, curé d'Agrès, luy a vouleu donner du trouble... » Maynard demande l'assignation de Boyer devant le sénéchal de Villefranche, le maintien pour lui-même de son titre de chapelain, et que « très expresses inhibitions et distances soint faictes au dict sieur Boyer de le troubler en la possession et jouissance de la susdite chapelle de Gironde à peyne de mil livres et tous dépans, domages et intéréts ». La Cour de Toulouse mande au premier huissier ou sergent requis, de faire tous exploits nécessaires.

Le 27 septembre, Jean Farguettes, sergent royal d'Auzits, résidant à Flanhac, à la requête de Pierre Boyer assigne au lendemain Jean Lalande, travailleur, et Antoine Couly, cordonnier, demeurant à Livinhac par devant Géraud Catugier, notaire royal, demeurant à Anglars, pour dire la vérité sur la plainte portée par Boyer contre Maynard.

Le lendemain, Antoine Hermet, sergent de la Cour royale de La Vinzelle, résidant à Saint-Parthem, à la requête de Géraud Maynard, s'achemine « au devant la porte de la caminade du dict Agrès ou faict sa résidence maître Pierre Boyer prieur curé dudict Agrès, distant de ma demeure de ung lieue ou estant, parlant à Pierre Massip, luy ay bien et duement intimé et signifié les susdites lettres royales ». Il assigne Boyer au huitième jour en la cour du sénéchal de Villefranche.

Le 16 janvier 1673, le prieur d'Agrès fait assigner le seigneur de Gironde devant le sénéchal de Quercy à Cahors, pour lui payer la rente de trois setiers de seigle et d'un setier d'avoine d'une pièce de terre appelée Coustals, sise à Roumégoux, en vertu d'une «recognoissance »de 1661.

 

Christophe de Felzins répond qu'il en a autrefois joui, mais qu'il n'en est plus présentement possesseur. « Ayant offert de balhier de l'avoyne ou trente sols en argent pour la valleur de la dite rente de quatorze années, il supplie la Cour de ne voir dans cette assignation que quelque caprisse ou opression du prieur d'Agrès ».

Le 23 janvier, Pierre de Molinery, lieutenant principal civil et criminel en la sénéchaussée de Rouergue à Villefranche, à la requête de Pierre Boyer, assigne le seigneur de Gironde à venir procéder à l'estimation du carnelage de l'année 1668 et arrérages depuis cinq ans. Jean Farguettes bailhe royal d'Auzits, immatriculé en la cour ordinaire de Pagas, résidant à Flanhac, donne assignation de cette ordonnance à Christophe de Felzins pour le samedi 4 février à Villefranche.

Le 1er  février 1674, dans son « dire par écrit » devant le sénéchal, Pierre Boyer prétend que Maynard le trouble dans ses fonctions et que son titre de chapelain est nul.

Le 26 mai, le seigneur de Gironde obtient du sénéchal de Cahors une sentence qui lui maintient le droit de Patronat de la chapelle et ordonne que sa nomination de Maynard chapelain sortirait son plein et entier effet avec défense au curé d'Agrès de leur donner aucun trouble ni empêchement, à peine de 500 livres avec dépens.

Pierre Boyer se pourvoit de cette sentence par son « dire par écrit » et par sa « requête démonstrative » des 1er et 23 novembre. « Pour se déffendre de ce que la chapelle de Gironde n'est pas dans aucun poulié (1), pancarte ou légende du diocèse, dit que dans les pouliez n'estoit fait mention que des églises matrices et des annexes, et que de celle dont est question n'estoit ny matrice ny annexe, mais seulement succursalle ».

 

(1) Les pouillés ou états des anciens Bénéfices du diocèse de Rodez comprenaient tes paroisses, les monastères les couvents et autres établissements de ce diocèse.

 

Le 3 novembre, devant Malbert, notaire royal à Saint-Santin de Rouergue, se présente Pierre Maspour­quet demeurant à La Vinhale, agissant au nom de Chris­tophe de Felzins. Il déclare que le seigneur de Gironde a offert à Pierre Boyer « de lui payer le dixme du bled, vin, carnelage et prémisse » conformément à la sentence du sénéchal de Rouergue du 27 novembre dernier: « Sur le reffus de Boyer de recevoir, Christophe de Felzins ayant donné requête au sénéchal de Quercy portant provision de consigner la dite dîme en date du 16 octobre, le dit Mas­pourquet en exécution de la dite ordonnance et pour remettre cette dernière en mains de Jean Labarthe, praticien à Careigues, la quantité de 24 setiers bled seigle mesure de Maurs qui est 6 setiers pour chaque année, il a remis à Labarthe 27 comportes de vin et ce pour le droit de dixme du bled et du vin des années 1664, 1665, 1666 et 1667; et les trois comportes de plus remises sont pour l'année 1668, en laquelle année le sieur de Gironde grella, qui est cause que le dit Boyer ne fast pas la levée de la dixme du vin ». Mais si Maspourquet augmente la dite consignation, « c'est pour fayre voir à la Cour que le sieur de Gironde a grand dézir de contempter un homme quy est très difficille, en luy payant le double de ce quit luy est deub et luy oster tout prétexte et motif de plaider, et pour ce quy est du dixme de la chanbre luy consigne 3 livres 9 deniers en louys d'argent... et dix livres en troys louys d'argent, une piesse de quinze souls et quatre souls marqués, et cinq pennes pour le droit de prémisse desdites cinq années, et pour les frais en cas il en seroit deub consigne autres dix livres en troys louys d'argent, une piesse de quinze soulz et quatre soulz marqués ».

Le 4 novembre, Antoine Ranson sergent royal de La Vinzelle, à la requête de Christophe de Felzins, signifie l'acte de consignation à Pierre Boyer, neveu du prieur d'Agrès.

Le 26 novembre, est rendue une sentence par laquelle le sénéchal de Cahors déclare n'avoir pas entendu priver Boyer de faire à Gironde les fonctions curiales, le maintenir dans le droit d'y créer des marguilliers et d'y percevoir les offrandes; il ordonne que la sentence du 26 mai sortirait son plein effet, à la charge par Maynard de ne donner, en desservant la chapelle, aucun trouble ni empêchement au curé d'Agrès, lors des fonctions curiales, à peine de tous dépens, dommages et intérêts.

Le 10 mai 1675, Christophe de Felzins, devant la Cour du Parlement de Toulouse, fait appel de cette sentence rendue par le sénéchal de Cahors, et « conclut qu'il doibt estre le bon plaisir de la Cour déclarer qu'il a esté mal jugé, bien apellé, réformant sans avoir esgard à la requeste de l'adversaire, ordonner que la première sen­tence du sénéchal » du 26 mai 1674 « sortira son plein et entier effet avec despans, et autres pertinances ».

Le 24 mai, le Parlement de Toulouse, par un arrêt signifié à Besson Procureur de Boyer, ordonne à celui-ci de justifier ses droits sur la chapelle de Gironde, dans le délai d'un mois, devant maître Daymar, conseiller au Sénéchalat de Rodez.

Le 7 juin, une requête démonstrative dressée par D'Hauteserre, avocat de Boyer, est signifiée à François Paris, Procureur de Christophe de Felzins. Le curé d'Agrès ne conteste pas la situation de la chapelle dans la basse-cour du château, mais il prétend que lui et ses prédécesseurs y ont fait de temps immémorial toutes les fonctions curiales.

La justice de la Cour s'explique par deux arrêts interlocutoires des 18 juin et Il septembre 1675, et juge que « la chapelle du chasteau de Gironde... n'estoit ni annexe ny succursale », et que l'adversaire n'y a point le droit s'il n'a été prescrit par la possession de quarante années. Cependant à l'instante réquisition de Boyer, la Cour ordonne « qu'il preuveroit toutes les fonctions curialles avoir esté faictes dans la chapelle de Gironde, et le curé y avoir créé des marguillers et   perceu toutes les offrandes et oblations despuis 40 années ». Ce sont les propres termes de l'arrêt du 18 juin, duquel celui du 1 l septembre ordonne l'exécution.

L'enquête de Boyer contient 37 témoins. Le seigneur de Gironde signale que parmi eux, Antoine Armain, Jean Masac, Pierre Bessière, François Denoits, Antoine Ginoul­lac, autre Jean Masac, Jean Marsilhac et Jean Grefeilhe ont été, par une sentence du 18 février 1660, condamnés au bannissement pour 18 ans, et que leur déposition étant encore dans le délai de la condamnation, ils ne peuvent porter aucun témoignage en justice.

Le prieur d'Agrès, à son tour, fait des réserves au sujet de quatre témoins en faveur de Christophe de Felzins ce sont Jean Fraust, Antoine Balaisac, Guillaume Malla­ret pour cause de parenté spirituelle, et François Lintillac, domestique du seigneur de Gironde.

« Pas un seul des 37 témoins porte sa déposition à 30 années, au lieu que la possession qu'il convenoit prouver doibt estre quarantenaire, à commencer en retrogradant de l'année1668 jour de l'introduction de l'instance qui avait duré 8 années lors de la faction de l'enqueste. Quelques témoins ont vu le prieur d'Agrès dire quelquefois la messe dans la chapelle le jour de Notre-Dame d'août, à la Purification et à la Pentecôte, donnant à baiser les reliques et recevant les offrandes, confessant et communiant les pèlerins, mais pas le dimanche : « pas une de ces fonctions n'est curialle, car tous les prestres en faisoient autant ».

 

D'après Christophe de Felzins, « les fonctions curiales consistent principalement à faire le prosne le jour du dimanche, comander les festes, recevoir les accouchées, et à donner la communion aux fidelles à Pâques ». Le curé reconnaît qu'il ne percevait pas les offrandes et qu'elles étaient perçues par le chapelain : il affirme que les marguilliers d'Agrès servaient aussi la chapelle de Gironde. Mais le seigneur prétend que pour établir cette preuve, on a fait dans les registres paroissiaux « des additions grossières dans les blancs qui s'y trouvoient »; il en mentionne les caractères récents, lignes inégales, plus larges ou plus serrées ». Ni témoins, ni écriture, dit-il, ne mentionnent que le curé ait établi aucun marguillier dans la chapelle, ni qu'ils y eussent fait des réparations.

Le 19 février 1676, la Cour renouvelle à Boyer le délai d'un mois pour apporter ses preuves. Le 14 avril, Christophe de Felzins demande le même délai pour recueillir les siennes. Le 9 juin, François Paris, procureur du seigneur de Gironde, somme Besson, procureur de Pierre Boyer, de remettre « tout ce bon luy semblera au procès pendant à la Cour entre les parties ». Le 27 juillet, Christophe de Felzins réplique contre le curé d'Agrès devant le Parlement de Toulouse. Le 4 août, « continuation de production » de Boyer. Le 10 du même mois, réponse du seigneur, dans laquelle il prétend que trois devanciers du curé d'Agrès, Pierre Faubel, Jean Faubel et autre Jean Faubel ont reconnu, le 8 juin 1461, le 11mars 1509 et le 4 avril 1573, que la chapelle en question est appelée chapelle du château, et qu'ils n'auraient pas signé ces « recognois­sances » si elle avait été annexe ou succursale.

Dans un Factum imprimé de huit pages, dont la date manuscrite est du 25 février 1677, intitulé Factum pour Christophe de Felzins Escuyer Seigneur de Gironde contre Me Pierre Boyer Prieur Curé d'Agrez, le seigneur rappelle qu'un de ses ancêtres fit une Fondation, le 5 mai 1428, dans la chapelle qu'il possédait au-dessous ou à côté de son château, lequel acte, longtemps égaré dans la famille ne fut retrouvé qu'en 1668.

Pierre Boyer met tout en œuvre pour éviter le jugement du procès et finit par gagner le Parlement. Christo­phe de Felzins quitte Toulouse « sans pouvoir avoir arrest ». La poursuite du conflit et surtout l'incendie du château l'ont, dit-il, entièrement ruiné. Le curé d'Agrès pense alors que son adversaire « ne trouveroit plus d'argent pour revenir continuer la poursuite du dict affaire et demander justice à la Cour ». Cependant le seigneur de Gironde trouve des ressources parmi ses amis et revient à Toulouse où, après un séjour de plus d'un mois, il fait « donner ses conclusions à messieurs les gens du roy ». Mais Pierre Boyer « estant arrivé en ceste ville et s'estant caché quelques jours, il se seroit montré et auroict faict faire de grandes escriptures » afin d'embarrasser le procès, obliger Christophe de Felzins à faire contredire et à employer le peu d'argent qui lui reste. Le seigneur de Gironde fait dresser par Me, de Lavernhe, son avocat, une requête « remonstrative » demandant la « réjection de tous les papelars et actes » de Boyer.

« Le litige, n'était pas encore tranché, malgré plusieurs appels interjetés, lorsqu'une terrible épidémie décima les troupeaux de la famille de Gironde (1).

Ce long et dispendieux procès, commencé d'une façon tragique et poursuivi avec tant d'âpreté, allait s'apaiser brusquement. Une transaction passée en 1677, laquelle ne prononça rien sur le fond des contestations, laissa les parties dans tous leurs droits. « Le prieur pourrait, comme par le passé, célébrer les saints mystères, percevoir les offrandes des pèlerins, prêcher, mais non baptiser et enterrer » (Arch. dép. G 117, p. 92).

 

(1) Abbé Fuzier, Culte et pèlerinages de la Saisie Vierge dans le Rouergue (Rodez, Espalion, Villefranche) -Rodez, Carrère, 1893, p. 383

 

Pierre Boyer, démissionnaire en 1691, eut encore des démêlés avec Antoine de Felzins, fils de Christophe. L'ancien curé d'Agrès prétend que le seigneur de Gironde lui doit une obligation de 36 livres 9 sols consentie le 18 mars 1691; il le fait assigner le 22 octobre. Antoine prétend qu'elle a été « extorquée de luy pendant sa minoritté ». Et « après diverses chicanes et interromptions pratiquées par ledit sieur de Gironde... il aurait esté randeu jugement le 6 may 1692, par lequel le dit sieur de Gironde est démis desd. requestes avec despans, la taxe réservée ».

La chapelle de Gironde eut à subir la répercussion de cette querelle. Le seigneur prétend que l'ancien curé d'Agrès a enlevé et fait emporter les vitres et une grande partie « d'aix » de la chapelle et qu'il l'a plusieurs fois requis de les remettre. Pierre Boyer, à son tour, l'accuse « d'avoir empesché le service divin dans la chapelle, fait enfoncer le tabernacle, enlevé les ornemens et meubles de la dite chapelle, fait effacer le nom dudit sieur Boyer escrit sur la murailhe ». Le seigneur de Gironde demande que l'ancien prieur soit condamné à payer une amende de cinq livres et à la remise des vitres et aix.

Le manque de documents nous oblige à laisser cet autre différend sans conclusion.

 

Entre Jean-Baptiste Delolm de Felzins et Joseph Joulia

 

Guillaume Delort, curé de Saint-Santin d'Auvergne, avait pris possession de la chapellenie de Gironde le 25 avril 1742. Des contestations ne tardèrent pas à s'élever au sujet du service de la chapelle entre le curé d'Agrès et le seigneur de Gironde. Accompagnées de Guillaume Delort, les parties se rendirent à Rodez, le 7 novembre 1743, pour solliciter la médiation de l'évêque. Le prélat « n'ayant peu vaquer » les renvoya devant Monsieur de Solanet, vicaire général et official. « Lequel, ayant ouy les dites parties, leur a dit et représenté que ladite chapelle n'estant dotée que de dix livres de reveneu, et ledit sieur prieur de Saint-Xentin ne se trouvant pas en estat d'en faire le service, il convenoit que le dit sieur prieur priat Monsieur le prieur du dit Agrès d'en faire le service et d'en percevoir le reveneu et que celuy-ci se chargeai pour ledit reveneu d'y dire douze fois l'année la sainte messe pour la famille dudit sieur de Gironde, et ce aux jours de festes ou dimanche à son choix, y compris les messes qu'il pourra y dire les festes de Notre-Dame ».

Les parties acquiescèrent à cette décision : et « ont conveneu scavoir que ledit sieur prieur de Saint-Xentin se départ et se démet de ladite chapelle et consent que ledit sieur prieur d'Agrès en fasse le service... Renoncent à toutes les contestations mues et à mouvoir avec promesse de n'en faire aucunes poursuites directement ny indirectement, à peine de tous dépens, dommages et intérêts.»: De cette convention signée par Delort, J. Joulia, Delolm de Gironde et Solanet, il fut fait trois copies: l'une pour l'évêché, l'autre pour le curé d'Agrès, la troisième pour le seigneur de Gironde. Malgré cette transaction, Guil­laume Delort n'en conserva pas moins le titre de chapelain jusqu'à sa mort en 1774.

 

Entre ces héritiers de Pierre Delom de Feizins et Félix Ferrieu

 

Depuis son arrivée dans la paroisse en 1762, le curé, d’Agrès faisait à Gironde les fonctions curiales, lorsqu'en 1777 survint entre lui et la maison seigneuriale un différend pour un motif inconnu.

Le 21 août 1779, le prieur d'Agrès « s'étant trans­porté au dit lieu de Gironde et dans la chapelle qui est près du château, pour y célébrer la sainte messe, comme il est de droit et usage immémorial, et ayant demandé les clefs des amenions qu'on est dans l'usage de remettre dans ledit chatau, avec ledit calice, pour plus grande commo­dité, et pour en éviter le vol, il auroit été répondu au requérant qu'on ne trouvoit point les clefs dites ni calice, qui avoint été prises probablement par ledit sieur Delom... Refus affecté... »

Le 2 septembre, ils s'obligent à les fournir, jusqu'à ce qu'il ait été décidé d'autorité de justice ou par deux arbitres dont chacune des parties en choisira un, si le prieur a droit de se servir du calice et des ornements. Le 5 novembre, l'huissier susnommé requiert la famille de Gironde de dire si elle maintient ses déclarations.

Le 6 décembre, M Cardonet, procureur de Félix Ferrieu, somme M Mazenc, procureur des héritiers de Pierre Delolm, d’en venir au premier jour d'audience du siège qui se tiendra pour la plaidoirie de la cause pendant entre les parties ». Assignés à Villefranche, les opposants déclarent qu'ils veulent bien fournir les ornements pour les douze messes à dire pour la famille de Gironde, mais que le prieur d'Agrès devra s'en procurer toutes les fois qu'il célèbrera d'autres messes.

En 1780, de Villaret et de Fajole, vicaires généraux, jettent l'interdit sur la chapelle. Le 31 octobre, ce dernier fait savoir au curé d'Agrès qu'il écrit à M. Darses, prieur de Murat et chanoine de Montsalvy, parent de la famille de Gironde, pour engager Jean François Delolm à révoquer la défense qu'il a faite au prieur d'Agrès. Le 3 mai 1781, nouvelle lettre de M. de Fajole à M. Darses l'invitant à terminer la discussion entre le seigneur et le curé, et lui, permettant, durant son séjour au château, de dire la messe à la chapelle. Le même vicaire général avait également demandé la médiation de Jean Destruels, ancien vicaire d'Agrès, et ancien curé de Grandvabre, retiré dans sa maison natale à La Griffoulière, paroisse de Flagnac.

Finalement, les choses rentrèrent en l'état antérieur aux contestations. « Il n'est pas douteux qu'il (le curé) n'ait le droit de célébrer dans la chapelle de Gironde, comme ayant juridiction sur toute l'étendue de sa paroisse, et qu'il ne puisse, pour cet effet, se servir des ornements et vases sacrés qui y sont de tems immémorial et que la tradition dit avoir été fournis par ses prédécesseurs, et l'inventaire qu'il produit en est une preuve autantique ».

 

Entre Marguerite Cluses, veuve de Nicolas, Michel, Maximilien de Felzins et Michel Delclaux

 

Le 19 septembre 1826, le curé d'Agrès expose au Conseil de Fabrique que Dame Cluses, veuve du sieur de Gironde, au nom des successeurs de ce dernier, lui a fermé la porte de la chapelle, « prétendant que l'un de leurs auteurs en a été le fondateur, que le droit de patronage leur appartient, que par conséquent, le service ne peut être fait que par un chapelain de leur choix, et que les prélats qui ont gouverné le diocèse, et leurs vicaires généraux l'ont cru ainsi, lorsqu'ils ont donné des permissions pour y célébrer la messe, puisqu'ils désignent la dite chapelle comme domestique. Ils ajoutent que de tous temps ils en ont gardé la clef, qu'elle a toujours été appelée chapelle du château, que les ornements et autres objets qui y ont été employés ont été fournis et réparés par eux ou leurs auteurs, et enfin qu'ils ont fourni aux frais des réparations des murs et du couvert toutes les fois qu'il y a eu lieu ».

Michel Delclaux fait observer aux membres de la Fabrique que ses prédécesseurs et lui-même ont fait à Gironde, de temps immémorial, les fonctions curiales, reçu les offrandes, donné à baiser les reliques, marié, confessé et communié les fidèles, que la paroisse a fait agrandir la chapelle à ses frais et contribué à son entretien. « Il invite le Conseil, si les successeurs de feu M. de Gironde persistent dans leurs prétentions, à prendre les mesures voulues par les lois ».

Le Conseil « est d'avis qu'un double de la présente délibération soit dressé à Monsieur le Préfet pour qu'il la transmette au Conseil municipal et l'autorise à se réunir extraordinairement, afin qu'il puisse donner son avis et aviser aux moyens de fournir aux frais des poursuites devant les tribunaux s'il y a lieu; il a chargé, en outre, le sieur Lissorgues, son trésorier, de produire, le cas échéant, devant le Conseil de Préfecture, tous les titres et autres pièces qui peuvent contribuer à établir la légitimité de la demande dont il s'agit et de faire enfin toutes les diligences voulues par la loi jusqu'à l'obtention d'un jugement définitif ».

Le château fournissait le vin d'autel et entretenait la chapelle, mais mal. A la prétention de Dame Cluses de vouloir s'approprier les offrandes, M. Delclaux répondit « Pour moi, je m'avance dans ma carrière, mais il faut que je travaille pour mes successeurs, et je ne puis pas céder ce qui ne m'appartient pas ». Madame de Gironde répliqua par la défense au pasteur de la paroisse de dire la messe à la chapelle. Le curé d'Agrès, à son tour, l'interdit à tout prêtre. Elle resta fermée trois ans. La paroisse mécontente attaqua la famille de Gironde. Les papiers de cette affaire furent remis à un avocat de Rodez dont le nom est resté en blanc..« La maison de Gironde voyant qu'elle dégringolait tous les jours rouvrit la chapelle, et le pasteur y exerça comme à l'ordinaire ses fonctions curiales : ce fut principalement à l’instigation de M. Chauchard, vicaire d’Agrès ».

 

 

Entre Auguste de Felzins et Auguste Antérieu

 

Les contestations qui s ‘élèvent, lors de l’agrandissement de la chapelle, prirent fin par une transaction du 18 mars 1885 signée par les parties.

Le curé d’Agrès délégué par Mgr Bourret et agissant d’après ses conseils reconnaît que la chapelle en question a été bâtie par un ancêtre de la famille de Gironde et renonce à toute entreprise qui aurait pour but de la déposséder de ses titres de propriété.

M. de Gironde prend les engagements suivants : les curés d’Agrès ne seront point troublés dans les droits et les fonctions qu’ils exercent dans la chapelle : dire la messe, prêcher, percevoir sels les offrandes, avoir les clés des troncs, à la charge de faire les réparations d’entretien et avec la stipulation formelle que leurs droits prendront fin à la nomination d’un chapelain. La clé de la chapelle sera à la disposition des curés d’Agrès, sans qu’elle puisse être refusée. Avec l’agrément de la famille de Gironde, la chapelle pourra être restaurée ou agrandie sans cesser d’être la propriété du Château.

 

CHAPITRE VI

 

 

Dévotions et Légendes

 

Quand le chrétien se prosterne devant une statue antique de la Vierge, il songe à la multitude des pèlerins qui l’invoquèrent avant lui. Il éprouve le besoin de communier avec les morts et de faire de sa vie »le petit moment d’une chose éternelle ». il lui semble qu’autour de la Madone flottent encore quelques atomes des émotions qu’elle a créées ; que les supplications et les prières sont restées accrochées aux voûtes comme les flottantes bannières ; que les actions de grâces tapissent les murs d’invisibles ex-voto et qu’il est entouré, soutenu, encouragé par les milliers d’âmes qu’elle a consolées, exaucées au cours des siècles.

Si la France est le royaume de Marie, ce n’est pas seulement par la blanche parure des cathédrales qui lui sont dédiées, par la constellation de ses pèlerinages, par les Apparitions qui l’illustrent ? C’est avant tout, parce que de génération en génération, nos pères ont installé au cœur de la maison la dévotion à Notre-Dame et bâti sur elle leur intimité de chrétien. « Combien vivent sans le savoir, à écrit René Bazin, de l’Ave Maria des grands mère inconnues ».

La Confrérie de Notre-Dame de Gironde est mentionnée en 1571 et 1572 : « Dans l’esglise parrochelle D’Agrès feust fait une confrérie de Nostre-Dame de Gironde, et les ouvriers (marguilliers) de l’esglise d'Agrès ont esté de part et d'autre dans le voisinage quester pour la dite confrérie de Nostre-Dame de Gironde affin d'y attirer la dévotion qui estoit dans la dite chapelle du chasteau et qu'ils soint allés quelquefois quester dans la dite chappelle ».

Au milieu du XVIIe siècle, le curé d'Agrès « y fait les fonctions curiales le cas requérant et mesmes en certains jours de l'année comme sont Toussaint, Pentecoste, l'As­cension et les festes de sainte Anne et de saint Hiérosme et de toutes celles de Nostre-Dame, quitte et ferme l'esglise matrice pour aller faire les offices dans ladite esglise de Gironde ».

 D'après un témoin du procès entre le curé d'Agrès et le seigneur de Gironde « le prieur ou son vicaire avoit fait la bénédiction des eaux le jour de la Pentecoste, béni les chandelles le jour de la Puriffication... commandé les festes chomables et pronné d'annonces de mariage et receu les accouchées, et avoit veu créer par le prieur les marguilliers tant pour l'esglise de Gironde que pour celle d'Agrès, et que s'estoict le dict prieur ou son vicaire quy marquoit sur un papier les messes qu'on laissoit à la dite chapelle et qu'enfin les marguilliers, lhors que l'huille manquoit dans l'esglise d'Agrès pour le luminaire, se servoint de cellui de l'esglise de Gironde, et lhors qu'il en manquait à Gironde, ils se servoint de mesmes de cellui de l'esglise d'Agrès ».

Le prieur Pierre Boyer, trois ou quatre fois par an, « comme le jour de Nostre Dame d'aoust, y va avec son peuple en dévotion, et d'autres curés voisins qui scavent les privilèges et advantages de ceste chapelle ». Le même prieur est mentionné « estre venu le jour de I'Assension en procession » en 1676. Cette manifestation de piété est encore en usage de nos jours : la tradition, c'est la mémoire de la race.

D'après le procès-verbal de visite pastorale du 1er  octobre 1739, « le curé d'Agrez... vient y dire la messe paroissiale le jour de l'Ascension, celui de la Pentecôte, celui de Toussaints, et toutes les fetes de la Vierge, et il y a administre les sacremens de Pénitence et d'Eucharistie » (Arch. dép. G 117, pp. 90-93).

Répondant au questionnaire de 1771, Félix Ferrieu, curé d'Agrès, dit ceci : « Apprès un procès de plusieurs années, il est resté indécis si elle (la chapelle de Gironde) est succursale ou domestique. Autrefois on y faisoit une grande partie des fonctions de la paroisse; aujourd'hui on y dit la messe de paroisse, pendant douze dimanches ou fetes » (1).

Citons enfin quelques dispositions testamentaires qui mentionnent Notre-Dame de Gironde. Le 3 janvier 1649, Catherine de Gausseran, comtesse de Gironde, épouse de Gaspard de Felzins, « veust que son heretier luy fasse dire à la dicte esglyze de Gironde tous les jours après sa mort une messe de Requiem pour le salut de son âme jusques à l'annuel complet ». Le 27 avril 1705, Laurence Fauvel, de La Borie d'Amis, lègue 3 livres aux prêtres d'Agrès « pour luy estre dites des messes pour le repos de son âme à concurrance de ladite somme dans la chapele de Gironde ». La même année, Jean Fraux, de Fraux, lègue 4 livres pour messes à la chapelle. Par testament du 10 janvier 1719, Antoine de Felzins veut que « me soint dites cent messes basses dans ma chapelle de Gironde ».

Le 7 septembre 1736, Jean François Labarthe, de Carè­gues, « lègue à Messieurs les pretres de l'église d'Agrès, la somme de cinq livres pour estre employées en messes à l'honeur de Nostre Dame de Gironde pour le repos de mon âme ».

 

(1)LEMPEREUR, Etat du diocèse de Rodez en 1771, pp.614 – 615.

 

Le 26 décembre 1777, Pierre Lissorgues, de La Bastayrie, « lègue 24 cierges pesant un quart chacun, poids de Maurs, à la charge d'employer les dits 24 cierges pour le luminaire de l'hotel de Notre-Dame de Gironde pendant 12 années, savoir deux chaque année à commencer dans l'an de son décès ».

Le pèlerinage de Gironde fut « de tout temps très célèbre par la dévottion des fidèles et la quantité du Puble (peuple) quy avoist accostumé d'y venir durant le cours de l'année et particulièrement toutes les festes de la Vierge ». En 1668, 1671 et 1672, l'évêque donne à Géraud Maynard chapelain le pouvoir de confesser dans le diocèse « et in capella Nostra Domina de Gironde ».

Christophe de FeIzins rapporte que le prieur d'Agrès a été invité par les seigneurs de Gironde « à venir aux festes solemnelles de Nostre-Dame d'aoust, de la Purif­fication, de tous les saints et de la Pentecoste donner son concours à la solempnité extraordinaire et assistance au chapellain du dit chasteau pour confesser et communier les pellerains dont il y avoit grand concours ».

Le 9 août 1737, la permission est accordée à maître Simon Boyer « procureur forain du district de Saint-Parthem » d'employer pour les confessions dans son église d'Agrès et de Gironde les vicaires et autres prêtres approuvés du diocèse (Ara. dép. G 276).

En outre des curés et « prettres du voisinaige », le seigneur de Gironde « faisoit venir des religieux pour confesser et prescher... et il les nourrissait tous dans son chatteau... les jours en quels le concours des pèlerins ont accoustumé de faire foulle dans leur chapelle ».

Actuellement, les paroisses de Saint-Cyprien, Saint-Julien de Piganiol, Saint-Santin d'Aveyron, Saint-Santin de Maurs, Montmurat, Livinhac, Almont font tous les ans le pèlerinage de Gironde. La communauté (commune) de Saint-Parthem s'imposait annuellement de 3 livres de 1718 à 1733, et de 4 livres de 1736 à 1761 « pour la procession de Gironde qui se fait par veu ancien aux pretres qui y assistent » (Arch. dép. C 710. Communauté de Saint-Parthem). Depuis au moins trois cents ans, la paroisse d'Agrès fait son pèlerinage à la chapelle le jour de l'Ascension.

Des communautés religieuses, des patronages, des groupes de jeunesse catholique vont implorer la Vierge de Gironde. Après leur Communion solennelle, les enfants lui demandent la persévérance.

La fête de l'Assomption attire une foule considérable de pèlerins de l'Aveyron, du Lot et du Cantal. Les messes ont lieu à toutes les heures, de 6 heures à midi. A chacune, prédication, quête pour la chapelle et vénération des reliques : deux confesseurs sont à la disposition des pèlerins; on distribue environ 500 communions. La multiplication des moyens de transport amenant à Gironde un nombre de plus en plus élevé de pèlerins que la chapelle ne peut contenir, on est dans la nécessité de célébrer quelques messes en plein air, face au château.

Le 8 septembre, quatre messes attirent encore un nombre imposant de fidèles. A ces deux grands pèlerinages, deux jeunes filles vendent des objets de piété, et deux jeunes gens reçoivent les messes données par les pèlerins à la foi chrétienne chevillée depuis des siècles dans les profondeurs de notre race.

A signaler aussi les nombreux cierges allumés dans la chapelle, autant de témoins d'âmes en prière. Si étincelantes que soient aujourd'hui les couronnes et les guirlandes au néon, Notre-Dame ne préfère-t-elle pas toujours les humbles cierges votifs, dont la flamme tremblote et dont la cire pleure, symbole des pauvres vies qui les allument à ses pieds.

Tous les jeudis, le curé d'Agrès va célébrer la messe à Gironde, à 8 heures de Pâques à la Toussaint, à 9 heures de Toussaint à Pâques.

Rome a daigné doter la chapelle de certains privilèges spirituels et consacrer ainsi la dévotion à Notre-Dame de Gironde. Le 31 août 1652, le pape Innocent X accordait une bulle portant concession de diverses indulgences « in ecclesia Beatae Mariae de Gironda, annexa parrochiae sancti Saturnini d'Agrès, Ruthenensis dioecesis ». Cette concession fut obtenue à la demande de Gaspard de Fel­zins seigneur de Gironde, mais dans la supplique Pierre Boyer, prieur, avait fait insérer que la chapelle est annexe de sa paroisse : le titre confié à sa garde est perdu.

Le 4 août 1744, Benoit XIV donna un Bref (1) dont voici l'essentiel. Pour favoriser la religion des Fidèles et le salut des âmes par les trésors célestes de l'Eglise et l'abondance de la sainte charité, le pape accorde ,miséricordieusement dans le Seigneur l'indulgence plénière et la rémission de leurs péchés à tous les fidèles contrits et confessés, et fortifiés par la sainte Communion, qui visiteront la chapelle publique de Notre-Dame du lieu de Gironde, diocèse de Rodez, et prieront pour la concorde des princes chrétiens, l'extirpation des hérésies et l'exaltation de la Sainte Mère l'Eglise. Le Bref reçut, le 12 janvier 1745, le visa de l'évêché, donné par de Prunières vicaire général.

(1) Le parchemin original nous a été gracieusement donné par Mademoiselle Praxède de Gironde.

 

Le 22 juin 1888, sur la proposition du cardinal Vannutelli, préfet de la Congrégation des indulgences et des saintes reliques, Léon XIII accordait ce qui suit :

Indulgence plénière à l'Ascension, l'Assomption, la Nativité de Marie, et un jour choisi par les pèlerins, pourvu que vraiment contrits, s'étant confessé et ayant communié, ils visitent dévotement le sanctuaire et y récitent avec piété quelques prières aux intentions du Souverain Pontife.

Indulgence de 7 ans et de 7 quarantaines à gagner une fois par jour par les fidèles qui, étant au moins contrits de cœur, réciteront dans le sanctuaire de. Gironde un chapelet avec 5 Pater et 5 Ave.

Indulgence de cent jours à gagner une fois par jour par les fidèles qui prieront dévotement devant les saintes reliques conservées dans la chapelle.

Le 12 août 1891, sur la proposition du cardinal Monaco, Léon XIII a daigné accorder en faveur du sanctuaire de Gironde le privilège de la messe De Beata, excepté les fêtes de 1re  et 2e classe, les fêtes de la Vierge, les dimanches; les féries, vigiles et octaves privilégiées.

Deux auteurs (1) dont la piété paraît s'être exercée aux dépens de la critique, ont avancé que le Bienheureux François d'Estaing honora de sa visite le sanctuaire de Gironde en 1519. Cette donnée est inexacte les documents paroissiaux sont précis à ce sujet « Le saint evesque fist diversses ordonnances de visitte... de la dite esglise parrochelle St Saturnin, mais rien du tout concernant la chapelle Nostre Dame de Gironde, qui est sur la croupe d'une montaigne, dans le chasteau de Gironde, ou le saint Evesque ne monta pas... Le sieur Evesque de Rodez estant dans l'église parroichielle d'Agrès, en visite, l'on luy a suggéré » que dans cette même paroisse, il y a une chapelle au château de Gironde, en l'honneur de la Bienheureuse Marie, où il y a un autel, un calice d'argent et un de cuivre et deux cloches, laquelle chapelle est annexe de l'église saint Saturnin d'Agrès. (Infra ejusmodi parrochiam est una capella in castro videlicet de Girunda, in honorem beatae Mariae, in qua est altare unum, qualix unus argenti et unus letonis et campanae duae, quae est anexa eccle­siae Sancti Saturnini d'Agrès). Cet extrait du procès-verbal de l'évêque fut tiré « Ex registro episcopali rute­nenci in arshibis episcopalibus Rutenae existente per Secre­tarium episcopi custodem clictorum arshiborum ».

 

(1) Abbé A. ANTERIEU, Notre Dame de Gironde, Carrère, 1888, p. 2. Abbé L. FUZIER, Culte et Pèlerinages de 1 Sainte Vierge dans le Rouergue. Rodez, Carrère, 1893, p. 382.

 

Le 3 juin 1670, Thomas Regnoust, vicaire général, après avoir visité l'église d'Agrès, se rendit au sanctuaire de Gironde. « Nous aurions visité ensuite la chapelle N.-Dame de Gironde que nous avons trouvé en assès bon estat : elle est annexe du dit Agrets et assès proche du chasteau, sur la croupe de la montagne. Il y a deux cloches et trois autels y compris le grand autel; on y fait l'office à certains jours comme on nous a rapporté » (Arch. dép. G 108, folio 384°0).

Le jeudi 1er octobre 1739, Mgr Jean d'Ize de Saléon, ayant inspecté l'église d'Agrès, alla faire la visite de la chapelle de Gironde. Elle donna lieu au procès-verbal qui suit : « Au château de Gironde qui est situé sur un rocher escarpé, le long de la rivière du Lot, à un quart d'heure de chemin de l'église paroissiale, il y a une chapelle dédiée à Notre Dame, laquelle nous avons été visiter, et après y avoir fait notre prière, nous avons vérifié que l'autel est fort mal orné. Il y a un vieux tabernacle et au-dessus une statue de la Vierge, six mauvais chandeliers de trois espèces différentes, un crucifix peu décent, un Te Igitur usé et un parement de cuir doré; la pierre sacrée est bonne, elle est couverte de trois vapes. Le sanctuaire de cette chapelle est voûté et peint; la nef est lambrissée, le lambris qui est dans le fond a besoin d'être réparé. Elle n'est point pavée, non plus que les deux chapelles latérales dans chacune desquelles il y a un autel entièrement dépouillé ; dans celle qui est du côté de l'Epître, il y a un confessionnal assés bon, il y manque pourtant des volets, et un armoire ou l'on tient le calice, lequel est d'argent doré en dedans, et les ornemens qui consistent en trois chasubles de soye bonnes, une aube fort usée, deux corporaux, quelques purificatoires et un missel. Il y a une fenêtre qui n'est point vitrée; la porte est bonne : il y a au-dessus deux petites cloches. Le tout paroit avoir besoin de quelque réparation ».

Ce procès-verbal fut suivi de l'ordonnance ci-après : « Nous ordonnons que le Tabernacle sera réparé et doublé, que les gradins seront peints, que les chandeliers seront changés par d'autres de laiton, qu'il sera fourni un petit crucifix, un Te igitur, un Propre pour la messe et une aube avec son amict et ceinture, qu'il 'sera mis des volets au confessionnal, que le toict et le lambris seront réparés, que la fenêtre qui n'est pas vitrée le sera, que les autels des chapelles latérales seront démolis, et que les dittes chapelles et nef seront pavées et unies sur le même niveau; le tout aux dépens de qui il appartiendra, dans l'espace de six mois; enjoignons au vicaire forain et à notre promoteur de tenir la main à l'exécution de notre ordonnance et de nous en certifier après le dit temps. Donné à Saint-Julien où nous nous sommes retirés, après avoir visité la chapelle de Gironde, dans le cours de notre visite, le premier octobre mil sept cens trente neuf. - Jean, évêque et comte de Rodès » (Arch. dép. G117, pp. 91-93).

Le 20 avril 1882, après avoir donné le sacrement de Confirmation en l'église d'Agrès, Mgr Bourret alla faire la visite canonique de la chapelle de Gironde. Elle donna lieu à l'ordonnance suivante : «  Il existe dans la paroisse une chapelle fort en renom dédiée à la Sainte Vierge, sous le nom de N.-D. de Gironde, du nom du château qui l'avoisine. Cette chapelle que nous avons visitée est en mauvais état. Nous prescrivons à la Fabrique qu'on nous a dit en avoir l'usufruit de prélever sur ses ressources ce qui sera possible pour la mettre dans un état de décence et favoriser les pèlerinages qui s'y font ».

Le 15 août 1908, Mgr de Ligonnès vint présider le pèlerinage, se mettant à la disposition des pèlerins pour un certain nombre de confessions, les communiant et leur adressant la parole.

Le 4 mai 1936, après la visite pastorale et la Confirmation à Agrès, Mgr Challiol est allé à la chapelle de Gironde. Ce sanctuaire lui a beaucoup plu, ainsi que le remarquable panorama qui l'entoure.

La grâce divine est souveraine et indépendante dans le choix qu'elle fait des lieux, comme dans celui qu'elle fait des temps et des personnes. Que de chrétiens viennent implorer le secours de Marie à la chapelle de Gironde où tant de générations ont reçu des gages sensibles de sa protection.

C'est surtout aux petits enfants que cette bonne Mère semble prodiguer ses attentions. Les grâces de guérison ou de protection obtenues en leur faveur ne se comptent pas. On l'invoque aussi contre les épidémies qui déciment les troupeaux et les fléaux qui ravagent les récoltes. Il y a dans beaucoup de familles ce qu'on appelle « le vœu de Gironde » qui se transmet comme un héritage sacré, et, tous les ans, plus particulièrement le 15 août et le 8 septembre, un membre de la famille est délégué pour, accomplir le pèlerinage.

Les inscriptions et ex-voto témoignent de la gratitude des chrétiens envers leur divine bienfaitrice. Un registre spécial garde le souvenir de grâces plus particulièrement éclatantes. Devant l'impossibilité de tout citer, bornons-nous à détacher quelques récits.

« Flagnac, février 1905. Monsieur le Curé. Je viens vous faire part d'une grâce que j'ai obtenue étant soldat au Mexique par l'intermédiaire de N.-D. de Gironde.

Me trouvant aux environs de Mexico, je fus atteint du typhus, maladie qui m'avait tellement miné que j'ai passé onze jours à dormir sans pouvoir revenir à moi-même. On me croyait déjà mort, si on n'avait eu l'assurance que je respirais. Le médecin n'avait aucun espoir de ma guérison, vu que les remèdes ne pouvaient en aucune manière améliorer mon état.

Un jour, me trouvant seul dans ma chambre, j'essayai mais en vain de me lever et je retombai sur ma couche, tant j'étais faible. Je me souviens alors de N.-D. de Gironde et je lui demande ma guérison. J'offre en même temps l'honoraire de cinq messes que j'envoie à mes parents pour être donné à Monsieur l'abbé Chresteil alors vicaire à Flagnac. Et c'est lui-même qui est allé à Gironde dire ces cinq messes.

Au moment même où j'offre ces messes, je me sens guéri; on n'avait pas encore reçu au pays l'honoraire de ces messes. Lorsque le médecin entra dans la chambre, je m'étais levé et je me promenais dans le dortoir. On me demande ce que j'avais fait pour être si subitement guéri. On fut très étonné d'apprendre la manière que j'avais employée. Ce fait s'est passé au mois de mai 1863. Antoine Griffoulière.

Autre témoignage. « Aubin, 16 mars 1930. Je vous envoie dix francs pour l'entretien de la chapelle de N.-D. de Gironde, pour la remercier de là guérison de mon petit qui a 3 ans. Il a eu la fièvre aphteuse comme les animaux; il a passé huit jours, sans rien manger avec une bouche affreuse. Aussitôt vous avoir adressé un mot pour me dire une messe, mon petit a changé et le docteur a trouvé du mieux dans son état... A. G., à Aubin ».

Touchante reconnaissance. « Fermement convaincu que je dois à la protection de Notre-Dame de Gironde la grâce de mon retour de captivité, je me fais un devoir de joindre aux nombreuses preuves de sa toute-puissance le récit des circonstances dans lesquelles je sentis son intercession :

Fin mars 1943, j'étais un matin pris à Vienne (Autriche) d'un violent malaise, qui ne fit que s'accentuer jusqu'à l'heure du départ des chantiers. Arrivé à la Baraque du Kommando, le thermomètre accusait 40 degrés et cinq dixièmes: Après une nuit très pénible, j'étais emmené sur une civière jusqu'à la voiture ambulance qui m'évacua jusqu'à l'hôpital militaire. Là, le docteur pronostiqua une pneumonie. Pendant neuf jours, tous les soirs, 40 degrés de fièvre. Au bout du 9e jour, j'étais à bout, divaguais, sentais la vie me quitter peu à peu, j'étouffais, mon cœur semblait dans un étau qui me serrait peu à peu.

Pourtant j'eus encore la force d'implorer qu'on appelle l'Aumônier français, un prisonnier aussi. Il vint vers 8 heures du soir, je lui remis ce que j'avais encore de plus précieux, et que je ne voulais pas laisser tomber entre les mains des Allemands. II me confessa, et m'administra les derniers sacrements. Alors, dans un moment de lucidité, conscient de mon état de grâce, j'implorais de toutes les forces qui me restaient Notre-Dame de Gironde et Notre-Dame de Lourdes de m'obtenir la grâce de ne pas mourir loin des miens et loin de la France. L'Aumônier m'embrassa et partit. Le lendemain, la fièvre avait tombé. J'étais sauvé ».

Et ce petit billet déposé sur l'autel : « Notre-Dame de Gironde, gardez-moi la vue jusqu'à la fin de ma vie, la vue que vous m'avez rendue ».

Presque tous les pèlerinages ont leurs légendes; seul, les plus récents ne possèdent pas encore cette auréole dons l'antiquité couronne les autres. Que ces récits soient en partie vrais, en partie défigurés, nul ne saurait le contester. L'histoire regarde de haut en souriant complaisamment ce tissu de légendes, telle une aïeule, sûre de ses souvenirs, prête une oreille indulgente aux contes de ses petits-enfants. C'est avec la même bienveillance et une égale sérénité que nous jugeons les faits surprenants colportés depuis longtemps à la gloire de Notre-Dame de Gironde.

La tradition populaire raconte qu'un voyageur tombé au Lot avec sa monture,tenant un enfant dans les bras, s'en allait à la dérive emporté par le courant. Arrivé à l'endroit où la chapelle surplombe la rivière, il pousse vers Marie un cri de détresse et de confiance. Le cheval avec son cavalier sort aussitôt du Lot, et escalade un rocher où il laisse la trace de ses pieds, disparue lors de l'établissement de la route, au dire des anciens. C'est en souvenir de ce fait merveilleux qu'on voit encore un fer de mulet cloué sur la porte latérale de la chapelle. C'est aussi pour perpétuer le témoignage de ce prodige qu'a été érigée au-dessous du sanctuaire, au milieu des rochers, une croix connue dans la région sous le nom de Croix du Pater. Le passant la salue et récite parfois le Pater traditionnel. Le souvenir de ce sauvetage a contribué à la splendeur du pèlerinage, mais sans aucune précision sur la date, le nom et qualité de ce rescapé des flots. La légende est une fée brodeuse qui tisse sur une trame légère de vérité.

Une domestique du château de Gironde, chargée par sa maîtresse de balayer la chapelle, se trouvant seule, succomba à la tentation de s'emparer d'un bijou qui ornait la statue de la Madone. Elle subit à l'instant la punition de son larcin. Lorsqu'elle voulut quitter le sanctuaire, une force invisible paralysa ses mouvements, et elle resta clouée sur le théâtre du vol sacrilège. Ne la voyant pas revenir, la châtelaine se dirige vers la chapelle : « Tu as commis, ici, dit-elle, quelque méfait qui a mécontenté la Sainte Vierge; fais la confession de ta faute ». La domestique demanda pardon à la bonne Mère et lui rend le bijou. Alors seulement elle peut s'en aller.

Une dernière légende rapporte qu'à la Révolution, trois paroissiens d'Agrès dont nos archives gardent le nom conçurent le projet de piller et d'incendier la chapelle de Gironde. Or, arrivés à mi-côte, ils furent arrêtés par une main invisible et contraints à renoncer à leur dessein sacrilège.

Enfin, la croyance populaire assure que le corps d'un noyé ne dépasse pas la Croix du Pater quand une messe est dite à cette intention à la chapelle de Gironde.

 

Ostension des Madones du Rouergue

 

D'après M. Louis Brébier, membre de l’ Institut, d'innombrables statues de bois de la Vierge ont été sculptées en France, aux XIe et XIIe siècles, sur le modèle, disparu et dont il ne reste plus qu'un dessin, de la Vierge de Clermont, tenant l'Enfant-Jésus sur ses genoux, commandée, en 946, au clerc Aleaume par Etienne II, en même temps abbé de Conques et évêque de Clermont, pour sa cathédrale.

Les statues du type dit « Vierges de Majesté » qui remontent au XIIe siècle ou plus haut sont rares. Les Normands au nord, les Albigeois au sud, les Huguenots et la Révolution, un peu partout, ont commis, en effet, d'irréparables ravages.

Du 31 mai au 3 juin 1951, eut lieu à Rodez l'Osten­sion des vingt-deux Madones les plus célèbres du diocèse sur près de quatre-vingt qu'il vénère. Ce rassemblement pour notre vieille terre de chrétienté fut l'occasion d'un hommage de masse adressé à Notre-Dame et révéla l'ampleur d'une vénération que les siècles n'ont pas entamée.

Pour sa « montée » à Rodez, Notre-Dame de Gironde, avec son diadème restauré, fut dressée au milieu d'une barque peinte en léger bleu, rappelant ainsi les bords du Lot et le sauvetage du cavalier mentionné plus haut. Quatre porteurs maintenaient ainsi la statue sur leurs épaules. La première halte eut lieu à Flagnac fort bien pavoisé. Au bout de la côte des Estaques, une délégation de la paroisse de Saint-Roch vint saluer la Madone. Decazeville lui fit un accueil chaleureux; l'assistance très nombreuse nécessita deux veillées, à 8 h. 30 et à 10 h. 30, suivies de la messe à minuit; beaucoup d'hommes, nombreuses confessions et communions. Le lendemain, arrêt au calvaire d'Aubin; le soir, à Cransac, accueil empressé avec de nombreux fidèles; veillée à 10 h. 30 et messe de minuit. Après une courte halte à Auzits, non loin de Notre-Dame d'Hauteserre, en route pour Rodez où l'Institution Sainte-Marie eut l'honneur de recevoir la statue de Notre-Darne de Gironde.

Son Excellence Mgr Roncalli, nonce apostolique, qui venait présider l'Ostension des Madones, à son arrivée à Capdenac, se dirigea vers Rodez en empruntant les vallées du Lot et du Dourdou. A son passage au Port d'Agrès, accompagné de Mgr Chevrier, évêque de Cahors, et de Mgr Dubois; évêque de Rodez, le Nonce daigna signer le Livre d'or finement enluminé par l'École Sainte-Foy à Decazeville, et enrichi de délicates poésies mariales, que lui présenta Monsieur Bourdoncle, curé du Port d'Agrès.

Les journées triomphales et surtout la journée d'apothéose du dimanche 3 juin que vécurent à Rodez vingt-deux Madones du Rouergue sont assez connues pour n'être pas reproduites ici.

Auréolée d'une gloire nouvelle, Notre-Dame de Gironde venait d'ajouter une belle page à son histoire.

Nulle conclusion à ce chapitre ne semble plus opportune que la prière suivante indulgenciée, le 17 mai 1931, par Mgr Challiol, évêque de Rodez :

Souvenez-vous, ô Notre-Dame de Gironde, que depuis des siècles, les habitants de nos contrées ne cessent de vous prier et de recourir à vous dans leurs nécessités. En choisissant cet humble sanctuaire où vous aimez à répandre vos bienfaits, vous nous avez donné une preuve particulière de votre amour et vous vous êtes constituée notre gardienne et notre patronne. Malgré la multitude de nos péchés, avec une entière confiance nous élevons vers Vous, nos regards suppliants.

Céleste sentinelle, du haut de ces rochers veillez sur vos enfants. Gardez dans nos familles les traditions de foi et de piété que nous ont léguées nos pères : écartez des récoltes les fléaux qui pourraient les dévaster.

Soyez enfin l'Étoile qui nous conduira un jour au Port de la bienheureuse Eternité. Ainsi soit-il.

 

CHAPITRE VII

 

Les prieurs et curés d’Agrès

 

Sous l'ancien régime, nos paroisses rurales avaient une organisation assez différente de celle d'aujourd'hui; elle tenait surtout à la manière dont étaient établis les revenus temporels destinés à l'entretien du clergé, du culte et des œuvres. Assez souvent, à la suite de donations et d'anciennes conventions, la paroisse était unie à un monastère. L'abbé nommait toujours les religieux de son abbaye aux paroisses qui en dépendaient; l'évêque diocésain donnait l'institution canonique, c'est-à-dire les pouvoirs. Les incidents dramatiques de la visite de François d'Estaing à Conques, en 1516, laissent entrevoir l'âpreté avec laquelle le monastère défendait ses privilèges et son autorité contre les prétentions de l'évêque de Rodez.

L'église d'Agrès fut unie au monastère de Conques le 8 avril 819. Furent mises sous la même dépendance, celles de Flagnac le 23 août 838, et celle de Livinhac en mars 924. Pons d'Etienne, évêque de Rodez, donna au monastère de Montsalvi, en septembre 1081, les églises de Saint-Parthem, Saint-Santin de Rouergue, Aubin, Vialarels (Decazeville), Viviez, Saint-Michel et sa chapelle du Mas-Dieu, etc. (1).

Le prieuré d'Agrès fut longtemps régulier, puisque son union au monastère de Conques en 819, par Louis le Débonnaire, fut encore confirmée en 1245 par une bulle d'Innocent IV. Dans la seconde moitié du siècle XIIIe ou au cours du XIVe, dut avoir lieu quelque transaction entre le monastère et l'évêché, car au début du XVe, le prieuré d'Agrès se trouve en dépendance directe de l'évêque de Rodez lequel, en conséquence, en nomme librement le titulaire.

Nous ne pouvons fournir de longs détails sur les anciens prieurs ou curés de ces temps éloignés. En donner la liste parfois lacuneuse ne manque pas d'intérêt : tant pis si l'énumération parait un peu sèche. A des degrés divers ils ont servi Notre-Dame de Gironde. Quelques-uns ont laissé un nom digne de notre attention, et entre leurs mains, l'héritage à transmettre aux générations futures a notablement prospéré.

Le 24 mai 1405, l'évêque autorise Bernard de Masac prieur d'Agrès à permuter avec Jean de Manso, maître ès-arts, bachelier en droit canon (in decretis), recteur de Sancti Ylarii in Insulis, diocèse de Carcassonne (Arch. dép. G 151, fol. 73).

Le 15 mars 1414, Jean de Manso, détenteur d'un canonicat de l'église de Castellione, supra Lupam, diocèse de Sens, et de la chapellenie perpétuelle à l'autel de Saint-Agnan, dans l'église de Nevers, est autorisé à permuter avec Amblard Beyrinie, détenteur de l'église paroissiale de Vitto ou Vicco (G 151, fol. 172P°).

 

(1) D'après Bosc, l'acte serait daté de 1087. Nous adoptons la date de 1081, donnée par Bonal en toutes lettres, et maintenue par Gallia christiana, édition Palmé 1870, tome 1, colonne 205.

 

Le 14 mars 1415, l'évêque confère à Jean Beauvays, clerc du diocèse de Clermont, l'église d'Agrès vacante par résignation d'Amblard Beyrinie (G 151, fol 182). Le nouveau titulaire était encore chez nous en 1420.

Le 17 mars 1443, Bertrand Richard, prieur d'Agrès, permute avec Pierre Falvel, prieur de Notre-Dame du Château, près Conques (G 152, fol. 20) ; le ministère de celui-ci, originaire de Puechlascases, prend fin en 1476.

Il est remplacé par autre Pierre Falvel, probablement son neveu, qui est encore prieur en 1495. En 1499, le prieur se nomme Pierre Calmette.

La rareté des documents et surtout la similitude des noms et prénoms de nos prieurs pendant tout le XVIe siècle ne permettent pas d'en donner la liste exacte. Nous relevons seulement des Jean Fauvel en 1544, 1552, 1564, 1573 et 1609, époque où mourut le dernier. Vraisemblablement, ils étaient originaires de Puechlascases ou de La Bastayrie, de la paroisse.

D'après un ancien document, « de 1609 à 1627, il n'y eut à Agrès aucun prieur .en ladite esglise, la vérité estant que le bénéfice feust teneu durant tout ce temps là par des personnes laïques et gentilshommes du voisinage qui faisait faire le service par de pretres et vicaires gagés et leur faisoit signer corne ayant charge de prieur sans le nommer ny en désigner la personne... Ledit bénéfice estoit vaquant et entre les mains de personnes laïques. L'église d'Agrès était viduata pastore », c'est-à-dire veuve de pasteur. C'est encore l'époque des guerres de religion, avec la confusion et les compétitions dans le régime paroissial. Ainsi s'expliquent la fréquence des changements et la brièveté du séjour de quelques prieurs dont les noms suivent.

Amans Cabanials, ayant résigné ses fonctions, l'évêque le remplace, le 2 juillet 1614, par Jean de Cat, chanoine de la cathédrale de Rodez (G 205, fol. 44).

Le 6 septembre de la même année, Jean de Cat permute avec Géraud Flory, prieur de Saint-Cyrice et Sainte-Julitte de la Raffinie (G 205, fol. 55).

Le 8 septembre 1622, visa du prieuré, vacant par résignation de Géraud Flory pour Jean Malbert, prêtre du diocèse; la signature en cour de Rome est du 5 des nones de juillet (G 213, fol. 41-42).

Le 29 septembre de la même année, visa du prieuré, vacant par décès de Géraud Flory, pour Pierre Jouery, clerc du diocèse ; signature en cour de Rome du 6 des ides de juillet (G 213, fol. 46).

Le 11 juillet 1623, visa d'une signature en cour de Rome portant provision du prieuré détenu irrégulièrement par Antoine Vinhal et Jean Malbert pour Pierre Arnald, Prêtre du diocèse (G 214, fol. 40).

En 1631, Jean Julien, né au village de Rozières, paroisse de Noalhac, remplace Pierre Jouery. Malgré Jean Blanq, compétiteur, le 4 janvier 1642, Jean Julien demeure prieur jusqu'en 1645 et meurt à Agrès le 25 août 1658.

Le 4 mai 1645, visa du prieuré, vacant par résignation de Jean Julien, pour Antoine Gourdes. Signature en cour de Rome du 6 des calendes de mars (G 234, fol. 99). Il a pour compétiteur Bertrand Joulia, originaire d'Agnac, qui obtient un visa du 3 juin 1645, d'une signature en cour de Rome du 15 des calendes de décembre 1644 (G 234, fol. 106). Antoine Gourdes, résidant à Crespin, dont il était recteur, le service de notre paroisse est assuré par Jean Julien susnommé.

Le 11 août 1648, Pierre Boyer prend possession du prieuré résigné en sa faveur par Antoine Gourdes. Le nouveau titulaire, originaire de La Sabaterie, paroisse de Lavergne de La Salvetat, était domestique du seigneur de Sanvensa et servait à sa table « et ne print le parti de l'esglise que lhors qu'on luy fist espérer le bénéfice d'Agrès... qu'il auroit heu…par le ministère » de Gaspard de Felzins, seigneur de Gironde. Mais n'étant pas encore prêtre, Jean Julien assura une fois encore pour quelque temps le service paroissial. Pierre Boyer, démissionnaire en 1691, mourut à Agrès le 2 juin 1702, et fut inhumé le lendemain dans l'église.

Simon Boyer, son neveu, originaire lui aussi de La Sabaterie, fils de Mathieu et de Marguerite Landier, prit possession, en 1691, du prieuré résigné en sa faveur Aar son oncle. Le 18 juin 1729, par devant Delors, notaire, il démissionne en faveur d'autre Simon Boyer, son neveu, sous la réserve d'une pension annuelle de deux cents livres. Il le fait son héritier par testament du 21 avril 1736, et meurt le 5 mai, à l'âge de soixante-douze ans. Enseveli le lendemain dans l'église d'Agrès, en présence de Jean Antoine Daldin de Vinnac, curé de Flanhac, Antoine Belard, vicaire de Saint-Julien de Piganhol, Antoine Four­gous, vicaire de Saint-Santin, et Antoine Vernet, chapelain de Pagas.

Le 19 janvier 1730, quoique récusée en cour de Rome, l'Ordinaire accepte la résignation, en faveur d'autre Simon Boyer, parent des précédents, en vertu des privilèges de l'église Gallicane (1) et d'un arrêt du Parlement de Toulouse du 4 janvier (G 269, p. 83). Originaire également de La Sabaterie fils de Pierre et de Jeanne Pelat, docteur en théologie. Par testament du 13 avril 1742, il lègue à sa mère vingt-quatre livres, et institue pour héritier Antoine Vernet, chapelain au château de Pagas. II meurt le 22 avril, à l'âge de quarante-deux ans. Inhumé dans l'église en présence d'Antoine Vernet susnommé, Antoine Fourgous, curé de Saint-Santin, et de Jean de Seguy, vicaire d'Agrès, né à Magerac paroisse d'Almont, d'une famille de très ancienne noblesse originaire de La Séguinie, paroisse de Saint-Parthem.

 

 

 

(1) Doctrine favorisant, en matière ecclésiastique, l autorité du roi et des évêques et réduisant celle du Saint-Siège.

           

 

Le 25 avril 1742, l'évêque nomme Joseph Joulia (G 274, p. 213). Né à Agnac, docteur en théologie, précédemment vicaire à Galgan et à Flagnac. Sa sœur Marguerite épousa Pierre Boscus. De ce mariage furent issus notamment : Jean-Joseph, vicaire à Naussac, et Joseph-André, vicaire à Saint-Julien de Piganiol, guillotinés pour la foi, le 3 juin 1794, sur la place du Bourg, à Rodez. Décédé le 10 janvier 1762, âgé de cinquante-quatre ans.

Le 11 janvier 1762, l'évêque nomme Félix Ferrieu, bachelier en droit canon de la Faculté de Paris (G 282, p. 53). Originaire de Laissac, il s'y retiré après démissionné le 29 septembre 1783. Cette paroisse était desservie, à la Révolution, par Jean-Pierre Tassier, curé, et Pierre Causse, vicaire, qui, le 13 février 1791, prêtèrent le serment constitutionnel (loi du 26 décembre 1790). L'ex-curé d'Agrès n'était pas astreint à ce serment, mais il était soumis à celui de Liberté et Egalité du 15 août 1792, à titre de pensionné d'Etat ; il le prêta le 15 octobre.

Ayant été dénoncé, le 14 janvier 1793, pour cause d'incivisme, il adresse, le 19, aux administrateurs du district de Séverac la pétition suivante : « Félix Ferrieu, 70 ans, né et habitant de la commune de Laissac, expose : Depuis dix ans, il vit retiré dans sa chambre; il ne dit que la messe; quand le curé et le vicaire de Laissac furent partis, la municipalité le pria, sous toute garantie écrite, de faire-quelques sépultures et quelques baptêmes, ce qu'il a fait, croyant que la municipalité pouvait le requérir pour cela. Cependant, il vient d'être dénoncé et, accablé d'années et d'infirmités, il se voit sur le point d'être déporté et périr dans son voyage, si la municipalité n'a pas compassion de lui… En obéissant à la municipalité, il n'a pas cru encourir la haine de ses concitoyens. Vu la réquisition de la municipalité, que le district jette un œil favorable sur le triste sort de l'exposant et rejette la dénonce, œuvre de malice et d'imposture; ils lui conserveront la vie ».

Le même jour, « le conseil général de la municipalité du bourg de Laissac et partie des habitants, réunis au son de la cloche, certifie les raisons exposées en ladite pétition vraies; depuis dix ans, pas de fonction publique; à la prière de la municipalité, quelques sépultures et baptêmes seulement : toujours bon patriote et soumis aux lois, sans propos incendiaires; la dénonce est œuvre de méchanceté, de malice et d'anarchie, ne méritant aucun égard ». Le 24 janvier 1793, « Vu la pétition de Félix Ferrieu prêtre, la rétractation faite par les six citoyens dénonciateurs, la délibération de la commune de Laissac qui atteste son civisme, et qui certifie encore que le pétitionnaire s'est toujours abstenu de toute fonction publique, le directoire est d'avis, que le dit Ferrieu doit être exempté de la peine prononcée par la loi du 26 août 1792 ». Le 20 mai 1793, l'ex-curé d'Agrès renouvelle au bourg de Laissac le deuxième serment « pour donner une nouvelle preuve de sa soumission à la loi du 15 août 1792 ». Le 29 messidor an II (17, juillet 1794), devant la municipalité de Laissac, il déclare vouloir exercer le culte catholique, et requiert acte de sa soumission aux lois, sans exception (Arch. dép Série L, District de Sévérac, Clergé). Félix Ferrieu mourut le 17 thermidor an XIII (5 août I805).

Le 9 janvier 1784, visa du prieuré-cure de Saint Saturnin d'Agrès, vacant par résignation de Félix Ferrieu pour Etienne Martin, prêtre « chorier » de la cathédrale (G 295, p. 199). Fils d'Amans et de Marie Aquié, de la paroisse de Moyrazès : ordonné prêtre à Vabres le 19 décembre 1780 (G 300, fol. 34"). Docteur en théologie.

La Constitution Civile du clergé fut votée le 12 juillet 1790, d'après laquelle les évêques ne devaient plus être nommés parle pape, ni les curés par les évêques, mais les uns et les autres par les électeurs même non catholiques. On eut alors le clergé constitutionnel ou assermenté, et le clergé insermenté ou réfractaire. A la date du 1er mai 1791, le district d'Aubin n'avait rien reçu de la paroisse d'Agrès au sujet de la prestation du serment d'Etienne Martin. On sait toutes les conséquences que pouvait entraîner ce refus : l'incarcération, la déportation ou le martyre. L'effervescence populaire dans notre région donna lieu à la délibération suivante :

« Du 20 septembre 1792. Les administrateurs composant le conseil du district d'Aubin assemblés, un des membres prenant la parole a dit : Messieurs, jusqu'ici nous avons joui des douceurs de la paix, mais l'obstination funeste des prêtres à refuser leur serment, semble avoir préparé à ce district un temps d'orage. Déjà, nous avons vu certaines personnes composées en assemblée, après avoir, à la vérité, prévenu la municipalité, appeler au public par un espèce de tocsin, et devenir la source du désordre. Les esprits malheureusement trop fanatisés, pourroient bien se porter à des excès; il seroit difficile d'arrêter un premier essor pris par des citoyens aux yeux des quels le fanatisme consacrerait toute entreprise contre l'exécution de la loi du 26 août dernier. Je vous prie, Messieurs, de délibérer sur les moyens à prendre dans le moment présent.

Sur quoy, le procureur sindic entendu, il a été unanimement délibéré que le conseil du département seroit prié d'envoyer une compagnie de volontaires, ou du moins cinquante hommes pour y séjourner jusques à ce que le conseil puisse se promettre de maintenir l'ordre et la tranquillité en employant les mesures ordinaires. Délibéré en conseil à Aubin le 22 septembre 1792, l'an IV. De la liberté, Fualdès secrétaire » (Arch. dép. L, District d'Aubin. Délibérations).

Pendant toute la tourmente révolutionnaire, le curé d'Agrès continue l'exercice de son ministère et « empêche qu'aucun prêtre constitutionnel ne vienne élever autel contre autel ». Vivant dans une continuelle angoisse, pratiquant toutes les finesses d'une tactique dont l'enjeu est sa liberté et peut-être sa vie, il se cache le jour, ne se hasarde à sortir que la nuit, change sans cesse de domicile et de déguisement. Il s'entoure de précautions pour baptiser à domicile, administrer un mourant. Pour offrir le Saint-Sacrifice, il organise en discret sanctuaire une chambre ou une grange, et autour d'un autel improvisé, convoque furtivement quelques Fidèles dont aucune cloche ne scande plus les occupations extérieures ni la vie chrétienne.

Le Livre de paroisse qui garde les noms des trois maisons alors hostiles au clergé, conserve aussi ceux de trois familles auprès desquelles le curé d'Agrès trouva un inlassable dévouement: Bouyssou, de Fraux; Delbosc, de La Vinhale ; Laborie, du Noyer.

Le choix du village de Fraux était heureux, par suite de sa situation topographique. Eloigné des grandes routes, le maquis des chemins permettait de dépister les recherches malveillantes. La maison Bouyssou donnait l'hospitalité « non seulement à son pasteur, mais à taus ceux qui y allaient; dans la grange... il y avait un endroit caché, et, dans la surprise, une issue à la dérobée ». Non loin de là, aux flancs sauvages d'une montagne abrupte, une excavation offrait aux proscrits un refuge insoupçonné. C'est là que le curé d'Agrès et son vicaire Hygin Raynal se reposaient des dangers courus et reprenaient des forces avec la nourriture dissimulée dans la blouse d'un berger.

Les descendants de cette admirable famille ont conservé longtemps un surplis et montrent encore une timbale en étain qui aurait servi de calice,

La maison Delbosc, de La Vinhale, avait l'avantage de se trouver à peu de distance de la chapelle de Gironde. Le curé d'Agrès et quelques prêtres insermentés y célébraient, la messe pendant la nuit devant une assistance discrète. La solitude, les ténèbres, l'appréhension  d'être découverts durent leur rappeler maintes fois les persécutions, de l'Eglise naissante et les réunions silencieuses des Catacombes.

Enfin, Etienne Martin célébrait les saints mystères chez la famille Laborie, du Noyer, établie au pied du roc escarpé de Gerle dont les anfractuosités présentaient un refuge assuré. La tradition rapporte qu'une ouverture dissimulée dans le plancher de la cuisine et donnant accès à une grande cuve de la cave aurait permis un jour au curé d'Agrès d'échapper aux perquisitions des sbires révolutionnaires.

Une telle existence, avec la tension constante des forces physiques et de l'énergie morale devait être, à la longue, épuisante. Etienne Martin n'en traversa pas moins la période révolutionnaire, et continua à desservir 1a paroisse, après le Concordat, entouré de la vénération qui s'attache à la dureté de l'épreuve et à l'accomplissement héroïque du devoir. En 1809, il se retire à La Reveyrolie, paroisse de Sénergues, où il meurt l'année suivante.

A Etienne Martin succéda Michel Delclaux, né à Calvance, paroisse de Noalhac, le 26 septembre 1757. Prêtre le 20 décembre 1783.

Vicaire à Montbazens 1790-1795 vicaire régent, puis curé  de La Besse-Noits 1795-1801; curé de Sénergues 1801-1809. Nommé curé d'Agrès en 1809. Il était le frère de trois prêtres : en 1782, Pierre-Jean était curé d'Estables de Rendon, diocèse de Mende; Joseph, curé de Vallon, diocèse de Viviers; Gaspard, vicaire à Rignac. D'après le Livre de paroisse, « c'était un homme à haute taille, figure vénérable et vénérée... à peu près tous les jours non empêchés, il allait célébrer la sainte messe à Notre-Dame de Gironde... »

Retiré à Calvance en 1832, il y meurt le 22 février 1833 à l'âge de soixante-seize ans.

Michel Delclaux fut remplacé par Louis Vayre, originaire de La Cam, paroisse de Livinhac -le-Bas. Vicaire auxiliaire de son prédécesseur en 1831, il signe pour la première fois curé d'Agrès le 20 juin 1832, et meurt le 11 novembre 1837, âgé de trente-cinq ans. « II est mort, dit le Livre de paroisse, de la mort des justes; il était rempli de piété, ayant toutes les vertus sacerdotales au plus haut degré, et ayant laissé à peine de quoi se faire enterrer ».

Le successeur de Louis Vayre fut Jean-Antoine Romi­guière, né à Flagnac vers novembre 1798. Vicaire à Najac 1824-1831 ; curé de-Saint-Martin de Bouillac 1831-1837; ensuite d'Agrès quatorze mois seulement, par suite de la rivalité existant alors entre Flagnac et Agrès, notre population ne voulant pas admettre un curé originaire de Fla­gnac. Prêtre de la Compagnie de Saint- Sulpice à Paris 1839-1840. Revenu dans le diocèse, il est nommé curé de Floirac où il meurt le 22 août 1853.

Et voici, avec, l'abbé Jany, curé d'Agrès quarante quatre ans et neuf mois, le record des pasteurs de la paroisse. Né le 2 septembre 1809 à Fréjamajoux, paroisse de Saint-Hilaire.

Il convient de mentionner que Pierre-Jean Durand, curé de Saint-Hilaire en 1788, ayant refusé de prêter serment, fut arrêté la nuit du 15 décembre 1793 par trois ou quatre révolutionnaires de sa paroisse au village du Bruel dans une étable où il passait la nuit, guillotiné sur la Place du Bourg, à Rodez, le 17 décembre 1793, à l'âge de cinquante-trois ans. Foy Séguret, sa paroissienne, propriétaire de la maison où fut découvert ce généreux martyr, fut exposée sur l'échafaud, déportée et dépouillée de ses biens.

Antoine Jany fut vicaire à Najac de 1834 à 1839. II avait deux frères prêtres : François, vicaire à Firmy, curé de Rulhe, Roussennac, Aubin de janvier 1833 jusqu'à sa mort le 10 mars 1865; Auguste, vicaire à Moyra­zès, curé de Carcenac, d'Auzits de 1843 à son décès le 25 août 1852.

Antoine Jany fut nommé curé d'Agrès le 14 mars 1839. Il fut un bâtisseur. Des deux bâtiments qui forment le presbytère, il fit réparer l'un et démolir l'autre qui servait d'écurie et de grange pour en faire le logement actuel.

Le 1er juillet 1852, le Conseil de Fabrique projette l'agrandissement de l'église insuffisante pour contenir la population dont une partie entend les offices dehors. De plus, les deux chapelles latérales tombent en ruine. On décide d'agrandir l'église en la coupant par le milieu, faisant de la chapelle de gauche le sanctuaire nouveau et de celle de droite la nef de l'église, en l'agrandissant et en l'élargissant. Le 17 novembre 1854, François Jany, curé d'Aubin, bénissait la nouvelle église. Le curé d'Agrès fit aussi effectuer divers travaux à la chapelle de Gironde. Antoine Jany mourut le 13 décembre 1883, âgé de soixante-quatorze ans.

Son successeur fut Auguste Antérieu. Aîné de neuf enfants, né au Soulié paroisse de Montignac, le 10 octobre 1846. Prêtre le 7 juin 1873. Vicaire à Saint-André de Najac, à Najac, à Notre-Dame de Villefranche et à Saint-Amans de Rodez, nommé curé d'Agrès le 19 décembre 1883. L'unique cloche s'étant cassée l'année suivante, l'abbé Antérieu en fait installer deux. Mais c'est surtout la chapelle de Gironde qui sollicite son zèle. Minuscule et délabrée, il la refait à peu près entièrement et l'agrandit notablement. Ses anciens paroissiens qui l'ont vu à l'œuvre savent qu'il fut le restaurateur inlassable du pèlerinage de Notre-Dame.

En février 1895, Auguste Antérieu est nommé curé de Saint-Cyprien, démissionne en septembre 1921, et meurt le 23 novembre 1923, à l'âge de soixante-dix-sept ans.

Il est remplacé par Blaise Pouget, né à La Borie, paroisse de Gramond, le 26 avril 1854. Surveillant au Petit Séminaire de Saint-Pierre 1878-1879; vicaire à Saint-Amans-Salmiech 1879-1881; à Saint-Cyrice de Rodez 1881-1884; à Decazeville 1884-1888. Curé de BéteilIe 1888-1895. Nommé curé d'Agrès le 29 janvier 1895. Il fait exécuter des peintures décoratives à la voûte de la chapelle de Gironde. En 1907, agrandissement du cimetière. A la guerre de 1914-1918, vingt-deux soldats de la paroisse morts pour la Patrie. L'abbé Pouget démissionne le 29 mars 1925, se retire à Gramond où il meurt le 29 août 1929, âgé de soixante-quinze ans.

Le départ de Blaise Pouget et l'arrivée du successeur sont presque simultanés. Auguste Bourdoncle, né à Grais­sessac (Hérault), le 1" juin 1886. Ordonné prêtre le 10 juin 1911. Vicaire-instituteur à Prévinquières de Rieupeyroux et à Sainte-Eulalie du Cernon 1911-1914. Mobilisé décembre 1914 - mars 1919. Vicaire à Saint-Affrique le 31 mai. Nommé curé d'Agrès le 27 mars 1926, prend possession de la paroisse le 31.

Laissée inachevée en 1854, l'église est terminée en 1928, en élevant les murs de la chapelle de la Vierge à la hauteur du reste de l'édifice.

Dans sa séance du 8 juillet 1937, la Société des Lettres, Sciences et Arts de l'Aveyron admet l'abbé Bourdoncle au nombre de ses membres.

Bénédiction d'une cloche, le 30 avril 1939 en remplacement de celle fêlée en 1938. Quelques mois après son installation, elle annonce la mobilisation de la seconde guerre mondiale qui coûte deux victimes à la paroisse.

A la chapelle de Gironde, restauration des vitraux, des peintures murales et de la toiture. Le 1er  novembre 1951, bénédiction du nouvel agrandissement du cimetière.

Un événement d'une particulière importance pour le pèlerinage mérite une mention spéciale; c'est le changement de propriétaire de la chapelle de Gironde :

« Le Conseil d'Administration de la Diocésaine de Rodez, dans sa séance du 20 octobre 1948 a accepté l'offre d'apport que lui a faite Monsieur Panassié demeurant au château de Gironde, près du Port d'Agrès.

De la chapelle du château de Gironde avec tout son contenu, les alentours de la chapelle nécessaires au pèlerinage, les servitudes anciennes et accoutumées, et notamment l'usage des deux chemins d'accès à la chapelle ».

Tel est le résultat des pourparlers discrètement et amicalement échangés entre l'abbé Bourdoncle et Monsieur Hugues Panassié. C'est la fin légale des différends qui ont maintes fois surgi entre les seigneurs de Gironde et les curés d'Agrès. Depuis longtemps vassale du château, Notre-Dame est devenue, par l'insigne générosité du châtelain, la Suzeraine d'une chapelle dont elle est, depuis des siècles, la Madone vénérée et très aimée.

 

CONCLUSION

 

« Le premier lieu, a dit Lacordaire, où l'on rencontre ceux que l'on aime, c'est leur histoire ». Les petits pays en ont une à leur taille. Circonscrite à d'humbles horizons, la monographie d'un sanctuaire rural dédié à Notre-Dame n'offre guère que des événements sans grand écho. Néanmoins, c'est l'un des charmes de notre France qu'en étudiant une de ses chapelles mariales, on évoque des siècles chrétiens; dans une goutté 'd'eau se mirent tous les reflets du ciel, dans une seule cellule s'enferment toutes les richesses et tous les mystères de la vie.

En mettant notre modeste travail sur le chantier, nous nous sommes proposé de satisfaire la pieuse et légitime curiosité des pèlerins dont la foi chrétienne est chevillée depuis tant de siècles dans les profondeurs de notre race.

Œuvre longue et minutieuse que de remonter aux sources, dépouiller et classer des documents, les uns complets, les autres laissant plus ou moins à désirer. Avec ces copies, notes ou analyses ayant paru convenir au cadre de notre étude, nous avons élaboré ces pages, disant avec Montaigne : « J'ay faict seulement icy un amas de fleurs estrangières, n'y ayant fourny du mien que le filet à les lier ».

Nous avons à remplir un devoir de respectueuse gratitude envers ceux qui nous ont aidé efficacement à mener notre œuvre à bonne fin : Monsieur Bernard de Gauléjac, Archiviste à Nevers, auprès duquel nous avons trouvé, au cours de nos recherches, un accueil empressé ; Monsieur Jacques Bousquet, son successeur, qui s'est vivement intéressé à nos pages. La préface dont il a bien voulu honorer « Notre-Dame de Gironde » révèle sa profonde érudition et son attachement à la terre rouergate, à son histoire et à ses traditions.

Nous concluons par les dernières lignes de son remarquable article « La Vierge dans l'Art Rouergat », à l'occasion de l'Ostension des Madones. « Et que continuent à briller dans tous les coins du Rouergue les joyaux, parfois modestes, quelquefois éclatants, toujours émouvants dont Notre-Dame a su orner un des pans de son manteau terrestre ».

 

 

PIECE JUSTIFICATIVE

 

Fondation faicte dans la chappelle de Gironde par Begon Bertrand seigneur du dict Gironde le 5 may 14;

« In nomine Sanctae et Individuae Trinitatis patris filii et spiritus sancti amen. Notum sit cunctis tant prf sentibus quam futuris quod anno Incarnationis dom 142$, die vero quinta mensis madii, reverendo in Chri: patre et domino nostro domine Vitale, miseratione divi] Ruthenensi Episcopo existenti, in praesentia mei autho tati episcopali in tota diocesi Ruthenensi notarii, et testit infrascriptorum ad haec specialiter vocatorum et rogat rum, personaliter constitutus nobilis vir dominus Bel Bertrandi dominus castri de Gironda, parrochiae de Agri diocesis Ruthenensis, attendens et considerans et men revolvens ut dixit favores, protectiones, et multas ex divers periculis et morbis ereptiones sibi adeo per intercessione suae singularis protectricis genitricis domini nostri Je: Christi factas et collatas, â tempore quo ipse doînirii Bego Bertrandi expulsus fuit a suo dicto castro de Girons et ab omnibus bonis suis espoliatus, scilicet per octo anni per quos in funestis et sanguinariis bellis Italicis praelii tus (1)... considerans insuper quod dicta sua patrona

pia(1).., mater misericordiae ilium tandem in patriam salves et incolumem reduxit et in suo castro de Gironda et i omnibus bonis suis restituit, hinc est quod ipse domina Bego Bertrandi, illis et aliis favoribus motus affectat

desiderat secundum suum posse suam benefactricem protectricem regratiare. Ideo ad honorera altissimi Creatoris et eanctae et gloriosae Virginis Mariae matris domini nostri Jesu Christi totiusque collegii omnium supernorum, et pro redemptione animas suae ac patris et matris ac fratrum suorum et aliorum de genere sua et illorum omnium quibus posset in aliquo teneri, Idem nobilis Bego Ber­trandi, in sua bono sensu proposito et memoria ac intellectu existens Dei nomine invocato, cupiens, desiderans et affec­tans suam protectricem regratiare et recognoscere, non inductus, deceptus cohactus aut circumventus ad infra scripta peragenda ab aliquo vi, dolo, metu, fraude nec aliqua alfa machinatione seu calliditate alicujus personae sed gratis et ejus heredibus in posterum et successoribus universis, instituit, ordinavit et fundavit unam capellaniarn perpetuo deserviendam, officiandam et percantandam in sua- capella quam habet infra aut juxta suum castrum de Gironda sub nomine Beatae Mariae olim intitulatam, quam cappellaniam idem nobilis Bego Bertrandi, voluit, jussit, statuit et ordinavit percantari amodo in perpetuum per unum capellanum, bonae vitae et conversationis honestae, quibus quidem capellaniae et cappellano eam­dem praecantanti et desservienti idem nobilis Bego Ber­trandi, dedit, cessit, remisit, concessit et in perpetuum desemparavit ac assignavit bona et res quae sequntur in ordinationibus et statutis et reservationibus infra contentis, me notario publico infra scripto et persona publica prae­missa omnia. et singula in hoc praesenti publico instrumento contenta pro dicta cappellania et cappelano stipulante simul et recipiente videlicet primo; unam crucem sive reli­quiarium de christallo ornatam et diversis reliquiis sans­torum munitam, quam crucem seu reliquiarium ex Italia apportavit dictus nobilis Bertrandi.. Item unum calicem argenti cum sua patena ponderis duarum marcharum quem etiam dictus nobilis Bego Bertrandi emerat etiam in Italia ad opus dictae suae capellae et cappellani, Item vestimenta sacerdotalia, seilicet unam cappam albam de satin, unam albam violetam et unam nigram cura suis stolis et manipulis : primam ornatam de argento, raquas. de drape quas dictus nobilis Bego Bertrandi emerat ad opus dictae suae capellae et capellani, Item duo para­menta altaris, unam de satino et aliud de canicto nigro, Item tres albas de lino cum suis cordeliis et amictis, et sex rnappas pro dicta sua cappella et cappellano, Item tres bursas cum suis corporalibus et velis et viginti quatuor mentilia et tria manutergia ad opus dictae suae cappellae et cappellanii, Item fluas canetas de argento, Item duo candelabra ferrea et duo lignea, Item unum missale novum. quae omnia ante dicta dictus nobilis Bego Bertrandi dat et affectat dictae suae cappellae et cappellano, Item dedit idem nobilis Bego Bertrandi disposuit et assignavit per­petuo et affectavit dictae suae cappellaniae et cappellano ad servitium et pro sustentatione vitae cappellanii tandem... me notario publico infra scripto ut supra stipulante, census et jura quas sequuntur sub reservationibus inferius expres­satis, vidélicet novera cartones cum dimidio frumenti et quinque cestaria siliginis et quinque cartones cum dimidio: avenae totem ad rectam mensuram Figiaci, quo dictus nobilis fundator ut supra levare solebat et amodo dictus cappellanus dictam, cappellam, deserviens levabit super mansum de la Serra et omnes dicti mansi parrochiae de Barriacho pro praedicto manso et suis pertinentiis universis, Item quatuor cestaria siliginis et quinque cartas mediocriter siliginis et avenae quae levare solebat dictus nobilis fun_-dator, et amodo dictus cappellanus levabit super mansum„ del Trier et homines illius pro dicto manso et suis perti­nentiis universis, Item duo cestaria siliginis ad mensuram. Figiaci quae dictus nobilis fundator levare solebat et, amodia dictus cappellanus levabit saper mansum de Reno-lent pro medietate dicti mansi et quibusdam terris adja­centibus, Item unum cestarium siliginis et unam cestarium avenae ad mensuram Figiaci quae dictus nobilis fundator levare solebat et amodo dictus capellanus levabit super mansum vocatum del Clos et homines dicti mansi, a praedicto manso et suis pertinentiis universis. Item unum cestarium siliginis et unum cestarium avenae ad mensuram item Figiaci quae dictus nobilis fundator levare solebat et arnodo dictus cappellanus levabit super mansum de Lan­cunet et homines illius mansi pro eodem, manso et suis pertinentiis universis, Item omnes blados quos dictus nobilis fondator levare solebat et amodo dictus cappellanus levabit pro coquina super supra dictos mansos et super homines illorum pro eisdem mansis praedictis pertinentiis universis, Item omnes gallinas quas dictus nobilis fundator levare solebat et amodo dictus cappellanus levabit super supra dictes mansos et boraines illorum pro eisdem mansis et suis pertinentiis universis quos omnes census super praedictos mansos et illorum pertinentiis dictus nobilis Bego Bertrandi francos et homines cum suis accaptis, laudimiis, divestitio­i ibus, investitionibus et aliis quibuscumque juribus directis {ledit assignavit et cessit dictae cappellaniae et cappellano, sibi tantum reservans dictus nobilis Bego Bertrandi omni­modam jurisdictionem sive justitiam altam, mediam, bassam et protectionem dictae cappellaniae et cappellani illam dèservientis; vult etiam et ordinat dictus nobilis Bego Bertrandi quod dictus cappellanus dictam cappellam per­cantans et deserviens, cum legitime collata fuerit mediante dotatione et donatione ut supra et superius expressata debeat et teneatur per' in perpetuum celebrare missas in dicta cappella de Gironda annis singulis ut sequitur; scilicet in qualibet die dominica et in omnibus diebus fes­tivis a nostra sancta matre Ecclesia mandatis et ordinatis cum collecta de sancta Maria singulari patrona dicti nobilis fundatoris; item in omnibus diebus Iunae pro defunctis et in qualibet die sabbati de sancta Maria amas bile protectrice sua singulari. Vult etiam et ordinat dictusnobilis fundator quod dictas cappellanus qui pro tempore ,fuerit teneatur in posterum dictam suam cappellam munire de panais et aliis vestimentis, ornamentis seu utensillibus necessariis, et omnia data conservare et illa reficere seu resarcire; ad quod invigilabit patronus qui pro tempore erit, sicut ad exactam dictarum missarum celebrationem, in quo dicti cappeIlani conscientiam et patroni qui pro tempore erit onerat dictam, vero cappellaniam superius ut dictum est, institutam, dotatam, fundatam et assignatam cum eorum deveriis, juribus et pertinentiis universis. Item nobilis Bego Bertrandi hac prima vote contulit, donavit et collavit nobili magistro Petro Bertrandi presbytero, conso­brino suo carissimo praesenti, stipulanti et acceptanti ac ipsum de dicta cappellania investivit, certus de sua probi­tate et honestate tenenda, legenda, officienda, et percan­tanda salubriter quamdiu vitam duxerit in humanis cujus quidem cappellaniae patronatum et cappellanii ejusdem institutionem et destitutionem. Item nobilis Bego Bertrandi fundator qui supra voluit, jussit, statuit, et ordinavit ac disposuit perpetuo pertinere postquam fuerit dictus funda­tor ingressus viam universae carnis ad successores silos in praedicto castro suo de Gironda qui pro tempore vaca­tionis dictae cappellaniae erunt, Voluit tamen statuit, dis­posuit et ordinavit item nobilis fundator et institutor qui supra quod dicta sua cappellania quotiescumque casus evenerit vacari, dater cappellano bonae vitae et conver­sationis honestae. Item tandem nobilis Bego Bertrandi, in dictis bonis superius dictis capellaniae assignatis totum eisdern cappellano et cappellaniae tandem percantanti dedit et assignavit et in eumdem transtulit pleno jure ad habendum, tenendum, levandum, utenduni, fovendum, per dictum cappellanum praesentem et futurum, et faciendum superius ordinata per eumdem divestivit se dictus nobilis Bego Bertrandi de dictis bonis, rebus, et censibus dicto suo cappellano datis et assignatis et dictum nobilem Petrum magistrum Bertrandi per ipsum superius bac vice electum. de eisdem investivit ipso et mihi infra scripto notario stipulantibus per traditionem notae hujus praesentis publici instrumenti in perpetuum firmiter valituri in signo posses­sionis seu quasi traditae corporalis faciens et... dicturn, nobilem magistrum Petrum Bertrandi et alio post ipsum instituendos procuratores possessores ac veros dominos ut in rem suam propriam et ipsos posuit super his totaliter loco sui dans in mandatis dictus nobilis Bego Bertrandi tendre hnjus praesentis publici instrumenti vice epistolae contie nentis tenentiariis suis praedietis ut. amodo de praedictis eidem nobili magistro Petro Bertrandi vel de ejus certo mandato et suis successoribus in dicta cappellania respon­deant, obediant et satisfaciant et recognitionis feudorum faciant nulle alio expectato, mandato, quemadmodum eidem nobili Begoni Bertrandi facere tenebantur et ut fecerunt sibi et suis predecessoribus retroactis temporibus ut dixit, promittens se non facere aliquid propter quod aliquod de contentis in hoc praesenti publico instrumente minui aut cassari possit vel in toto vel in parte, mutari, vitari quomolibet vel infringi, imo et omnia et singula in hoc instrumente contenta grata et firma habere promisit perpetuo pariter et accepta promittens dictus nobilis Bego Bertrandi fundator qui supra eidem nobili magistro Petro Bertrandi cappellano sic instituto quod non faciet, nec dicet per se nec per aliquam interpositam personam aliquid in judicio nec extra judicium propter quod praedicta omnia et singula minorem .habeant seu minorem in se obtineant roboris firmifatem, eaque non impugnare aliqua causa aut ingenio, et ibidem dictus nobilis magister Petrus Bertrandi dictam cappellaniam acceptans et assumens, promisit dicta nobili Begoni Bertrandi et mihi notario infrascripto ut publicae personae stipulanti et recipienti dictam cappellaniam ad honorera Dei et sanctae Mariae Virginis et totius curiae coelestis et pro salute dicti nobilis Begonis Bertrandi et praedecessorum ac successorum sui ruai cura Dei adjutorio, et dominus monstrabit ei prai cantate, officiare ei deservire ad ejus vitam ut meiji poterit, cum bona conscientia, et ordinationes supra dicta factas per dictum nobilem fundatorem tenere attenderf servare et complere pro suo posse, et jura et Tes ejus cappel Ianiae pro posse fideliter observare et omnes et singulas re supra dictas per eumdem nobilem Begonern Bertrandi sib datas et assignatas, ordilhas et expletas habuisse recogno vit, et eas post ejus decessum cappellano successori in totc statu relinquere se et omnia bona sua, mobilia et immobilia, praesentia et futura, ipse nobilis magister Petru, Bertrandi, propter hoc aliquando sub juris renonciation( qualibet et cautela de quibus Omnibus dictus nobilis Begc Bertrandi, voluit : petiit, et concessit fieri duo vel plura publica instrumenta cura omnibus clausulis opportunis, facta facultate praedicta reficiendi et emendandi seine vel pluries, per me notarium infra scriptum supra dicta cappellano et nihilominus de clausulis supra dictis voluit ,constari et fieri sub forma publica quod dicta nobili Begoni Bertrandi concessi ego notarius infra scriptus ut de jure et ex meo officia praestare debebam, acta fuerunt haec in dicta castra de Gironda et in aula ejusdem castri anno et die, existenti episcopo Ruthenensi quibus supra testibus praesentibus ad haec yocatis et adhibitis Petro de Albino, Arnaldo de Ruou domicellis, domino Petro Ratié presbi tero, domino Petro du Fraux presbytero, magistro Joanne Colombiès notario, Petto Albi, Guilhelmo Benedicti et mei Rigaldi Rosselli clerico publico, authoritate episcopali in toto Episcopatu notario, qui requisitus de praemissis omnibus et singulis notam sumpsi et in meis libris reposui protocollis et in banc publicain formam redegi, facta prima ailigenti collatione cum originali nota, hic me subscripsi et .signo meo publico quo utor in meis publiais instrurnentis signavi in fade praemissorurn. --- Rosselli.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE (1)

 

 

 

Archives paroissiales.

Archives départementales, Série G principalement.

Archives notariales - Delort, notaire à Agrès, XVIIe et XVIIIe  siècles.

Archives privées - familles de Gironde, docteur Périer, Bouissou, Bony.

Etat civil de 1655 à nos jours.

Revue Historique du Rouergue.

Le Messager de Notre-Dame de Gironde - mensuel, 1908 et 1909.

Abbé A. ANTERIEU, Notre-Dame de Gironde, 8 pages. Rodez, Carrère, 1888.

Abbé FUZIER, Culte et pèlerinages de la Sainte Vierge dans le Rouergue (Rodez, Espalion, Villefranche). Rodez, Carrère, 1893.

Notre-Dame en Rouergue. Rodez, Carrère, 1951.

Abbé B. MASSABIE, Question de prééminence entre les abbayes de Conques et de Figeac. Figeac, veuve Lacroix, 1879.

B. DE GAULEJAC, Histoire de l'Orfèvrerie en Rouergue.. Rodez, Carrère, 1938.

G. DESJARDINS, Cartulaire de l'Abbaye de Conques Rouergue. Paris, Picard, 1879.

 

(1) Pour n'avoir pas à citer fréquemment l'auteur auquel nous avons emprunté, nous indiquons ici les principales sources qui ont fécondé notre travail.

 

Émile VIGARIE, Esquisse générale du département de l'Aveyron. 2 vol. Rodez, Carrère, 1927, 1930.

Bosc, Mémoires pour servir à l'Histoire du Rouergue 3e édition. Rodez, Carrère, 1905.

Félix JALENQUES, La Baronnie de Saint-Santin (près Maurs) et ses Seigneurs. Aurillac, Imprimerie Moderne, 1934.

Camille COUDERC, Bibliographie historique du Rouergue

2 vol., Rodez, Carrère, 1931-1932, 1934.

Henri AFFRE, Dictionnaire des Institutions, Mœurs et Coutumes du Rouergue. Rodez, Carrère, 1903.

Déribier DU CHÂTELET, Dictionnaire statistique du Cantal IV (1856).

H. DE BARRAU, Documents historiques et généalogiques sur les familles du Rouergue. IV (1860).

 

TABLE DES MATIERES

 

Préface de M. Jacques Bousquet, Archiviste départemental                                                    5

Chapitre I. --- Le Port d'Agrès                                                                                              13

Chapitre II. - Le Château de Gironde                                                                                   34

Chapitre III.     La Chapelle de Gironde                                                                                  49

Chapitre IV. -La Chapellenie et les Chapelains                                                                       67

Chapitre V. - Différends entre les Seigneurs de Gironde et les Prieurs d'Agrès                         78

Chapitre VI. - Dévotion et Légendes                                                                                     95

Chapitre VII. --- Les Prieurs et Curés d'Agrès                                                                       11

Conclusion                                                                                                                             125

Pièce justificative                                                                                                                    127

Bibliographie                                                                                                                          134