Communication de l'abbé Pierre Edmond VIVIER du 26 juin 1993 transmise par Mr Maurice Miquel ancien président du CGSA | ||
Saint Geniez de Bertrand | ||
Samedi 26 Juin 1993 à Saint-Geniez de Bertrand
I - Communication de l'Abbé Pierre, Edmond VIVIER, de Millau
NOTES SUR SAINT-GENIEZ de Bertrand
Pour ces simples notes sur Saint-Geniez de Bertrand, j'ai naturellement mis à contribution ceux qui ont touché le sujet, par exemple le chanoine HERMET, dans ces bénéfices du diocèse de Vabres, pour ce qui regarde surtout la paroisse, l'archiviste NOEL, dans ses châteaux de l'Aveyron, et pour le château, les ouvrages de Jacques MIQUEL. J'ai fait aussi appel à l'ami Pierre HERAIL, qui est, sans conteste, le meilleur connaisseur du passé de cette localité. Ajoutons à cela quelques notes personnelles sur les mines principalement, relevées souvent à l'occasion d'autres recherches.
Des origines de Saint-GENIEZ de Bertrand, on ne sait pas grand chose, ni plus ni moins que pour la plupart de nos villages Aveyronnais.
Disons un mot du nom. Son ancienne forme, dans les documents, était "Saint-GENIEZ de Vertenan". Vertenan, appellation qui reste attachée à des terrains situés un peu en amont et sur la rive droite de l'Avencou (renseignements P. Hérail) était, je pense, le nom originaire du lieu. Celui-ci, lorsqu'il devint chef lieu d'une paroisse sous le patronage de Saint-GENIEZ (greffier de profession, martyr d'ARLES dans les premiers siècles de l'église), dut être dénommé St-Geniez de Vertenan, comme d'autres paroisses devinrent St-George de Valserène, St-Amans de Bouysse, St-Amans de Bouffiac, St-Amans de Trousit, St-Martin de Pris etc...
De "Vertenan" on est passé à "Bertrand". D'aucuns ont paru s'insurger contre cette transformation, réclamer le retour à la forme primitive, comme s'il s'agissait d'une déformation abusive, ce serait, je pense, une erreur : de toute façon il est toujours vain de s'ériger arbitrairement contre des usages spontanés et immémoriaux. Mais surtout, cette transformation de "Vertenan" en "Bertrand" n'a rien d'abusif ; elle est le résultat de l'évolution normale. De même que Londinum a donné Londres, diaconum diacre, cophinum coffre, pampinum pampre, tympanum timbre, et ordinem ordre, etc... de même Vertenan a donné normalement Vertran ; d'autre part, on le sait, le V ancien tend, dans notre langue d'oc Rouergate, à devenir un B ; quant au D final, il n'est qu'une lettre parasite, attirée sans doute par l'homophonie avec le prénom Bertrand. J'ai d'ailleurs relevé les formes intermédiaires, les jalons de l'évolution : Verteran (1630), Berteran (1676), Berterant (1694), Berterand (1742, 1776).
A propos du nom de St-GENIEZ de Bertrand, le chanoine HERMET écrivait en 1929, que dans la région, on appelait aussi ce village "St-Geniez des Pérous", à cause d'une spécialité ou de l'abondance particulière de petites poires en ces lieux. . (comparer avec St-Geniez-des-Ers, allusion sans doute aux lentilles ; on connaît aussi, en Lévézou, St-Laurent-des-Raves).
INSTITUTIONS CIVILES ou POLITIQUES
Saint-Geniez a eu, dès l'époque féodale, ses Seigneurs. Mais, ici comme partout, la chose est loin d'être simple. Quiconque l'étudie pour la première fois, ne serait-ce, par exemple, qu'en feuilletant le troisième volume de l'Inventaire des Archives du Château de Vezins, édition H. BOUSQUET, dont une bonne partie concerne la seigneurie de Saint-Geniez, a l'impression de plonger dans un enchevêtrement quasi inexplicable : il y a divers degrés de seigneuries, il y a, dans un degré donné, des co-seigneuries, indivises ou non, et les transmissions, les ventes, les partages intervenus au cours des siècles, ne sont pas venus simplifier les choses, modifiant sans cesse le paysage féodal de la contrée.
En schématisant un peu, disons que la seigneurie haute, comportant l'hommage et les droits de toute justice, appartient à l'Evêque : l'Evêque de Rodez, puis celui de Vabres, après la création de ce dernier évêché en 1317.
L'Evêque seul gardait droit à l'hommage, mais pour la haute justice il semble bien qu'il l'ait eue en indivision avec la famille de seigneurs locaux, les CREISSELS puis leurs successeurs, ainsi qu'avec les PELEGRY. Ne nous étonnons pas d'avoir là-dessus, au XXème siècle, quelques incertitudes, car, dès 1356, la Notice Officielle des droits de l'Evêque de Vabres (citée par Hermet) avouait que les PELEGRY possédaient "certam partem" de la justice, sans oser préciser davantage.
Ces co-seigneurs exerçaient la justice par un juge, ils avaient un procureur juridictionnel, officiers qui ne résidaient pas en général sur les lieux, à la différence du baille, sorte d'officier de police local. Les fourches patibulaires, insigne de la haute justice, se dressaient sur "le Puech de VERDUS", au Larzac.
La famille de Creissels, qui fût peut-être la première à posséder la seigneurie et le château de St-Geniez, ne doit pas être confondue (comme Noël semble l'avoir fait) avec les vicomtes de Creissels. Il est possible qu'elle ait tiré son nom du lieu d'origine, Creissels, ou même qu'elle fût issue, par voie légitime ou naturelle, d'anciens seigneurs de Creissels, mais ces Creissels, tout nobles qu'ils fussent, n'eurent jamais aucun droit sur la vicomté de ce nom. Ils étaient appelés aussi, parfois, "de Montjaux". Ils eurent pour successeurs, au XVème siècle, les nobles RICARD, venus de Peyrelade, lesquels eurent pour héritiers les GARCEVAL, au XVIIème siècle. Comme, par ailleurs, les GARCEVAL avaient hérité des PELEGRY au début de ce même XVIIème siècle, ils réunirent sur leur nom tout ce qui, à St-Geniez de Bertrand, pouvait se posséder par indivis avec l'Evêque en matière de haute justice.
Au XVIIIème siècle, les biens des GARCEVAL, par suite du mariage de leur dernière héritière, passèrent aux LASTIC Saint-JAL, dont la dernière héritière, à son tour, par son mariage avec François de LEVEZOU de Vezins, apporta tous ses biens, y compris Saint-Geniez, à la famille de LEVEZOU de Vezins, qui le possédait encore à la Révolution.
La propriété la plus importante des seigneurs de Saint-Geniez était le château. Cette construction, dont on ignore naturellement les origines et l'état primitif, est, selon Jacques MIQUEL, spécialiste en la matière, injustement méconnue. Il est typique du château repaire, c'est-à-dire une maison seigneuriale fortifiée mais non entourée d'une enceinte propre et construite dans un site dépourvu de défense naturelle. Les bâtiments s'ordonnent autour de la cour centrale. En façade, la tour de gauche remplit la fonction symbolique de donjon (c'est en fait un grenier).
C'est du XVème siècle qu'il faut dater le splendide corps de logis, long de 10 mètres en façade et profond de 23, qui forme l'aile du repaire. L'église occupe le côté gauche, et en arrière un bâtiment moderne a remplacé une construction plus ancienne. La porte centrale de la façade était défendue par une archère canonnière (fin XVème siècle) et des mâchicoulis. De plus, une ceinture de ces mâchicoulis, dont le parapet, percé d'ouvertures rectangulaires, est pratiquement intact, couronne l'édifice, cernant même les échauguettes d'angle qui agrémentent cette massive construction. La porte déjà mentionnée est en arc brisé, surmontée de ce qui reste d'un écu armorié totalement mutilé. Des fenêtres et croisées Renaissance ont été ménagées, au XVIème siècle, dans le premier étage du corps de logis tandis que le rez-de-chaussée, comme il était d'usage, ne possède que de petites ouvertures.
Le château comporta un fossé, alimenté (autant qu'il pouvait l'être sans doute) par les eaux du torrent du Théron, affluent de l'Avencou.
La famille de VEZINS, ou du moins ceux de ses membres sur la tête de qui étaient le château et autres possessions, n'ayant pas émigré, ne fut pas spoliée de ses biens de droit civil par la Révolution (celle-ci ne lui fit perdre que ses droits et redevances de droit féodal). Elle vendit le château de Saint-Geniez, entre 1850 et 1860, à M. de GISSAC. Les de GISSAC, le revendirent en 1920 à la famille MAURY, qui l'habite actuellement. Il s'y trouvait, m'a dit Pierre HERAIL, des cheminées armoriées, dont certaines ont été vendues.
A noter que les seigneurs de Saint-Geniez possédaient, entre autres domaines, la métairie de Labro (jadis la Bercaduro = la Brèche), qu'ils baillaient à ferme. Ils avaient aussi un droit exclusif à un pigeonnier.
Voilà pour les seigneurs, leurs possessions et prérogatives. Quant à la population, actuellement réunie à la commune de Saint-Georges, elle forma jadis une commune "la communauté des habitants" comme on disait anciennement, fut administrée, à partir d'une époque inconnue, par deux consuls annuels. Elle possédait un four (en 1549, le seigneur du lieu et la charité Sainte Croix s'en disputaient la directe).
A la révolution, la commune fut maintenue, mais les maîtres de l'époque, sans doute peu dévots pour Saint Geniez, remplacèrent son nom, trop chrétien, par celui de Lavencou, emprunté au ruisseau qui arrose la localité. La commune appartint alors au canton de la Cavalerie, qui ne comprenait que la Cavalerie, l'Hospitalet du Larzac et Lavencou. Mais en 1800 la réorganisation administrative du premier Consul fit disparaître le canton de la Cavalerie, ainsi que la commune de Lavencou. Saint-Geniez recouvra son nom traditionnel et fut rattaché à Saint-Georges.
Sur l'importance de la population de Saint-Geniez, on sait qu'en 1349 la paroisse comptait 57 feux, mais le feu étant déjà à cette époque une simple unité fiscale, on ne peut tabler sur ce chiffre pour évaluer le nombre d'habitants. Outre l'agglomération principale, il y avait quelques hameaux ou "villages". Sénil, par exemple, en était un (aujourd'hui simple quartier de Saint-Geniez). Il y avait aussi Séral, Virazels, Las Pauses,...
Au XVIème siècle, les paroissiens interrogés (les chefs de famille seulement) pour la reconstruction de l'église étaient 26 en 1562, 31 en 1564. Plus près de nous, en 1868, le dictionnaire des lieux habités de l'Aveyron, indique, pour Saint-Geniez, 208 habitants ; pour Séral, 36 ; pour Virazels, 16.
Cette population, jadis, vivait, avant tout de la terre, par la culture et l'élevage (y compris sans doute le fromage ?) mais aussi par les mines. Il n'est pas question ici des mines voisines de Houille et d'Alun de Mayres et de Lavencas, qui étaient dans la commune de Saint-Georges celles de Saint-Geniez étaient à Séral. Elles étaient exploitées dès le XIVème siècle au moins, d'après deux actes notariés de 1377 qui m'avaient fourni, en 1954, la matière d'une communication à la Société des Lettres (Pr. -Vx XXXVII, 1959, pp. 4 et 15). Par devant M° FONTES, notaire à Millau, noble Bermond de Luzençon, co-seigneur dudit lieu, concéda à perpétuité l'exploitation de mines de charbon, près de Séral, au dessus du pas de la Cluze, à deux habitants de Millau. Ceux-ci ensuite, passèrent contrat avec deux hommes de Saint-Geniez, qui se chargeaient de l'extraction. Ce sont, à ma connaissance, les plus anciens documents concernant l'exploitation des mines en Rouergue.
On trouve, plus tard, d'autres mentions de ces mines, ou "charbonnières", de Séral, dans l'inventaire de Vezins déjà cité, en 1487 (n°375), 1534 (n°188), 1549 (n°224), 1559 (n°279), 1625 (n°315).
Pierre HERAIL m'a précisé qu'à Séral on a extrait de la couperose, comme à Saint-Georges et Lavencas. Il y a quelques années, le groupe de randonneurs millavois Le Bartas a pu visiter les vestiges de ces mines, sous la conduite d'un jeune enseignant, qui nous montra notamment un puits ou prise d'air bien conservé et assez profond.
Ces mines comme toutes celles de notre région (Larzac, Vallée de la Dourbie, etc. . ) n'eurent jamais une grande importance. Le charbon pauvre, lignite, qu'on en extrayait, à une époque ou tout le monde se chauffait au bois, était destiné surtout aux forges, fours à chaux et autres artisanats. J'ignore quels furent les concessionnaires des mines de Séral à l'époque moderne et qu'elle fut leur prospérité.
Sans doute ces charbonnières étaient-elles logées à la même enseigne que celles de Saint-Georges, qui paraissent n'avoir enrichi aucun de leurs exploitants successifs. Elles ont fonctionné, m'a dit Pierre HERAIL, jusqu'après la guerre de 1914-18 et elles auraient repris un semblant d'activité pendant la guerre de 1939-45.
Outre les mines, il faut signaler que Saint-Geniez avait un moulin, comme toute localité possédant un cours d'eau. En 1562, c'était un moulin bladier à deux meules, dont le meunier était Pierre BALDOYN, du village de Sénil. Ce moulin appartenait au seigneur, qui le louait au meunier comme cela se faisait un peu partout (p. ex. en 1615, voir inventaire Bousquet, III, n°313).
Saint-Geniez sous l'ancien régime, possédait une école, dont le local était loué et le régent appointé aux frais de la communauté. On payait aussi un sonneur de la cloche et l'entretien de l'horloge.
INSTITUTIONS RELIGIEUSES : la PAROISSE
Saint-Geniez de Bertrand semble avoir été assez anciennement un prieuré dédoublé, c'est-à-dire ou le prieur et le curé étaient distincts. Le prieur, titulaire du bénéfice, l'administrait, percevait les revenus, assurait l'entretien du temporel mobilier et immobilier, et celui du curé, logement et nourriture, à l'aide d'une pension ou d'une portion dite congrue (= convenable) des revenus. Le curé (de cura, soin, curatus = celui qui a soin ou charge) avait la charge des âmes autrement dit l'administration spirituelle de la paroisse. Il en était encore ainsi en 1562, au début de la crise protestante. Mais ensuite, à partir du XVIIIème siècle, la paroisse eut un prieur-curé, le même personnage assurant les fonctions de prieur et de curé. On possède les noms d'un certain nombre de prieurs, de curés (v. liste donnée par HERMET, noms fournis par Maurice MIQUEL, mes notes personnelles). La liste des prieurs-curés des XVIIème et XVIIIème siècles est assez complète. Le curé fut aussi assisté de vicaires (appelés à l'origine secondaires, car le vicaire, alors, ou vicaire perpétuel, était le curé).
Sous l'ancien régime, quatre ouvriers (deux "vieux" c'est-à-dire de l'année précédente, et deux "modernes", de l'année présente) participaient à la gestion temporelle de la paroisse et à l'entretien d'une partie de l'église (la nef), l'autre, le choeur, étant à la charge du prieur.
A la Révolution, Saint-Geniez, ou plutôt Lavencou, eut un curé constitutionnel, Guilhaume GAZEL. Né à la Bastide Pradines en 1758, ordonné prêtre par "l'Evêque de paille DEBERTIER", en 1792, il fut nommé curé de Lavencou en 1794. Il se retira assez vite dans son village natal et, n'ayant pas mauvaise réputation, après le Concordat, réconcilié avec l'église, il reprit le ministère comme curé de Montégut, où il mourut à 80 ans en 1838.
On a la liste complète des curés de Saint-Geniez après la Révolution jusqu'en 1926, époque où la paroisse cesse d'avoir un curé résidant et fut desservie par celui de Saint-Georges.
En fait d'événements concernant la paroisse de Saint-Geniez de Bertrand, il y a lieu de citer un épisode assez curieux touchant un projet avorté de transfert de l'église. Il nous est connu par une liasse des Archives du château de Vezins (liasse 14, inventaire BOUSQUET III, n° 290). Outre son intérêt pour l'histoire de la localité, cette procédure renseigne sur les événements qui marquèrent dans le pays le début des guerres de religion, ainsi que sur le français approximatif qui se parlait ou s'écrivait en Rouergue, fin XVIème. Il n'en a que plus de saveur. En voici un résumé avec quelques extraits.
Donc, en Juin 1562, noble Raimond RICARD, seigneur de Saint-Geniez de Vertenan, avec l'autorisation de l'Evêque de Vabres, consulta le prieur, noble Guyon de RESSEGUIER et les paroissiens, la plupart assemblés un dimanche, devant l'église, à la sortie de messe, les autres trouvés chez eux en divers endroits, sur un projet de transfert de l'église et de la caminade (presbytère) qu'il avait conçu.
Les motifs en étaient que "l'esglise parrochielle que nos voyons illec seroit pousée en fort mal propice lieu, tant pour rayson de l'obscurité que luy rend le chasteau dud. seigneur que aussi pour le desgoust dez eaues pluviales que prenent leur cors vers lad. esglise en dédécoration du service divin. Et à obvier à cela auroit offert et offre de présent de faire hédiffier une autre esglise de mesmes grandeur, longueur, largeur et auteur, au Puech Arquinel et près du cemetière du présent lieu, que est le lieu beaucoup plus comode à tous les parrochiens et plus héminent et clerc, et ce à ces propres coust et despens, clef en main, en luy quictant icelle (église) qu'est là, pour la seurté et service de son chasteau ..."
Par devant le notaire Jean MONTET, de Saint-Georges, le prieur et les paroissiens donnèrent leur accord unanime, renchérissant même sur les arguments du seigneur en faveur du nouvel emplacement proposé, car le Puech Arquinel est "plus hault, plus cler, que les fenestres pourront estre de toutz coustés et en l'autre esglise ne y avoit veue que d'ung cousté, et estoit fort acquatique (humide), et icelle que se hediffiera là ... n'en sera poinct acquatique, ainsi sera fort clère et dévote pour rayson du lieu que est hault, duquel l'on verra facilement les nyvols (nuages) de loing quant le temps et l'air sera chargé d'ordure et tempeste, et plus facilement les prebstres et parrochiens y pourront donner ordre tant à sonner les cloches que affaire processions et faire oraisons à Dieu pour l'apayser et deffendre ; et davantaige, que sera auprès du cemetière, que n'y a qu'un chemin au milieu, que inclinera le monde plus facilement ... à prier Dieu pour les trespassés et le faire prier aux prebstres et pauvres de la parroisse ... " que la future église devrait être, comme la vieille, pavée (caladée, pasimentée), "emblanchie", et la caminade de même.
Tout le monde était bien d'accord et le seigneur, fort de l'autorisation reçue, n'avait plus qu'à mettre le projet à exécution. Malheureusement, le pays entrait alors dans la malheureuse période des "Troubles", ainsi que les contemporains appelèrent les guerres de religion. Ces événements non seulement contrecarrèrent la mise en train du projet, mais ils amenèrent le seigneur à réfléchir et à proposer une autre solution.
Voilà pourquoi, deux ans plus tard, le 9 avril 1564, "dimanche de Pasquettes qu'on chante en l'esglise à la messe l'introït Quasi modo geniti etc... " nous voyons la procédure recommencer. Par devant le même notaire, le même noble Raimond RICARD, seigneur du lieu, expose d'abord que "à cause des troubles et briganderies faictes ès esglises du Royaume de France par les sédicieux, larrons et voleurs, sous ombre de la nouvelle religion, ces deux ans passés", il n'a pu faire bâtir l'église et la caminade nouvelle sur le Puech Arquinel. Il a différé, dit-il, "tant pour crainte d'une démolition d'icelle église que des séditions ou meurtres que s'en fussent pu ensuivre"
Et l'on apprend à cette occasion que toutes les églises des environs ont été pillées ou ruinées par "les Huganaulx". Elles sont citées : "toutes les églises de la ville de Millau, celles de Compeyre, Creissels, Saint-Georges, Luzençon, Creyssac, Peyre, Comprégnac, Saint-Rome de Cernon, Tiergues, Olonzac, La Bastide Pradines, Saint-Pierre de Gourgas, Lapanouse de Cernon et autres lieux. Toutes celles du pays, donc, y sont passées, "fors que celle de ce présent lieu", car, disent les habitants, "grâces à Dieu, ledit seigneur de Sainct-Genieys les a si bien gardés et défendus qu'aucuns séditieux, larrons, voleurs ni brigands n'en ont pris ni touché cloche, croix, calices, reliques, livres ni autres ornements et joyaux"... de quoy à bon droit tous les paroissiens sont grandement tenus et obligés envers ledit seigneur... "
Mais en même temps, le seigneur fait remarquer que cette défense de l'église n'a été possible que parce qu'elle était toute proche du château. Et voilà pourquoi il s'est avisé que, si l'on construisait la nouvelle église et la caminade là-haut, sur le Puech Arquinel, qui domine le village et le château lui-même, les ennemis éventuels pourraient s'emparer de cette hauteur, d'où ils battraient facilement le château et tout le village "comme il est patent et notoire à le voir à l'oeil".
Aussi, le seigneur de Saint-Geniez, maintenant que "Dieu et le Roy de France ont fait qu'à présent y a bonne paix (on est après l'Edit d'Amboise), envisage-t-il de mettre à exécution le projet de nouvelle église et caminade, mais il propose de les construire ailleurs qu'au Puech Arquinel. Et il a trouvé le lieu idéal : au village de Senil, dans un sien beau jardin, dit "l'hort de Guinou", où il y a largement place pour bâtir l'église et la caminade et même faire un jardin pour le prieur, facilement arrosable avec l'eau de l'Avencou tout proche, "lieu bien plaisant et délectable", bien plan, environné de belles prairies. Et, de plus, cet emplacement n'est qu'à un jet de pierre de Saint-Geniez, ce qui permettra au seigneur d'en éloigner tout assaillant éventuel.
Devant de tels arguments avancés par noble RICARD, qui était évidemment, à Saint-Geniez, la plus haute autorité en matière de stratégie, et qui avait fait ses preuves en défendant déjà si bien l'église et le village, l'unanimité se fit, une fois de plus, pour approuver, chaudement, le choix du nouvel emplacement.
Tout était donc pour le mieux. Il ne restait plus à Messire Ramond RICARD qu'à trouver des maçons pour construire l'église et la caminade; Il les trouva et passa contrat avec eux. Mais nous n'avons pas ce contrat, ni les noms des maçons. Nous savons seulement que le prix-fait fut bien conclu, par un autre prix-fait qui en fut la conséquence et qui fut passé, le 21 janvier 1565 (n. s. ), au château de Saint-Geniez, devant CADARS, notaire de Creissels. Par cet acte, cinq habitants du village s'engageaient à faire manoeuvres, tout le temps que durerait la construction, aux maçons qui s'en étaient chargés. Les cinq manoeuvres engagés étaient Pierre DEVEZE, Barthélémi BALDI, André BERTRAND, Ramond RAOLS et Jean MONROZIE.
Les choses en étaient là, à la fin de la procédure que nous conservent les documents... et elles en sont toujours là, puisque l'église se trouve toujours, en cette fin de XXème siècle, au même endroit où elles se trouvait à la fin du XVIème.
On ne peut guère s'en étonner lorsqu'on songe à ce que vécut notre malheureux pays à cette époque. Nos gens de 1564, qui jouissaient de la paix d'Amboise et voulaient l'espérer durable, n'avaient rien perdu pour attendre. La paix définitive était encore loin, elle ne viendrait qu'après l'Edit de Nantes (1598) et même, pour beaucoup de localités, avec la paix d'Alès (1629). Les misères de ce temps durent faire oublier facilement les inconvénients de l'église "acquatique et obscure", on dut y remédier comme l'on put ou s'en accommoder. Et quand les hostilités eurent cessé, la seigneurie dudit lieu était passée des RICARD aux GARCEVAL et ces derniers ne résidaient pas à Saint-Geniez, puisqu'en 1636 on les voit louer leur château à des marchands de Millau (inventaire BOUSQUET, III n°317). Aussi ne durent-ils guère se soucier de reprendre le projet de construction d'une église et d'une caminade nouvelles, projet dont personne d'autre qu'eux ne pouvait se charger.
Pierre, Edmond VIVIER
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