Communication à l'assemblée générale du CGSA de Septembre 1995 à Belmont portant sur le petit seminaire de Belmont et l'abbé Aimé VAYSSIER  qui fut son supérieur de de 1864 à 1874 . La dernière partie de cette communication très dense traite du dictionnaire "patois-français" de l'abbé VAYSSIER ouvrage qui reste une référence . Cette communication de Georges GIRARD majoral du félibrige  nous a été transmise par Monsieur Maurice Miquel du CGSA

 
Aimé VAYSSIER - Supérieur de 1864 à 1874

 

Et son DICTIONNAIRE Patois-Français du département de l'Aveyron

 

 

 

LE PETIT SEMINAIRE

 

Historique

(d'après la Revue Historique du Rouergue et autres documents)

 

Son origine et son évolution avant l'arrivée de l'Abbé VAYSSIER

 

On ne peut parler du Petit Séminaire de Belmont sans évoquer brièvement l'histoire de l' Abbaye et de la Prévôté dans la genése desquelles l'une et l'autre prirent place avant lui, au fil des siècles.

 

En effet, à l'origine, Belmont c'est son Abbaye, un monastère créé aux confins du Rouergue de l'Albigeois et du Haut Languedoc par les Vicomtes d'Albi et de Béziers, face à l'Abbaye de Vabres et aux Comtes de Toulouse pour consolider leurs possessions.

 

Cette Abbaye, richement dotée dès l'an 942, par les Vicomtes d'Albi qui la contrôlèrent durant tout le Moyen Age, bénéficia de leurs généreuses libéralités. C'est pourquoi de nombreuses églises et terres de la région dépendaient d'elle.

 

- De quelle obédience relevaient alors ces Religieux ? Etaient-ils bénédictins ou chanoines réguliers ? Nous savons seulement que c'est le 20 octobre 1146 que ces religieux obtinrent, par une bulle du Pape Eugène III, de suivre la Règle de St Augustin et devenir Chapitre de Chanoines dont le chef prit le nom de "Prévôt", d'où le nom de Prévôté donné pour la suite à cette institution.

 

La nomination du Prévôt, après avoir été le résultat d'une élection émanant du corps des Chanoines eux-mêmes, mais sujette obligatoirement à la confirmation par l'évêque, parfois aussi dépendant du choix du Pape, devint en 1516 de Nomination Royale.

 

Ces Chanoines, au nombre de 14, menaient, les uns, la vie claustrale dans Belmont, d'autres se voyaient détachés dans les prieurés dépendant de l'Abbaye pour y assurer le Ministère Paroissial.

 

Ils portaient un vêtement blanc avec une ceinture noire et endossaient un long manteau noir lorsqu'ils sortaient de leur couvent.

 

Parmi les Prévôts les plus célèbres, il faut citer Michel de Pontault, un Ariégeois, proto-notaire apostolique, qui, en 1514, fit commencer la construction de l'église actuelle, magnifique monument de 32m de long sur 18m de large et 20m de hauteur, avec son superbe clocher comportant la tour de 40m et la flèche de 32m, soit au total 74m de hauteur et supportant la statue de St Michel, patron du constructeur, haute de 1m80.

Michel de Pontault octroya aux syndics de Belmont la faculté de porter le chaperon, partie noir et rouge, et de prendre le nom de consuls. Mgr de Martiny, évêque de Vabres, le nomma vicaire général de son diocèse.

Pour les Millavois, à noter que c'est Michel de Pontault qui conféra la cure de St-Etienne près Millau, autrement dit "St Estève" - en 1535, au prieur Jean Pomarède, par suite de l'absence de l'évêque.

 

En 1593, aux jours des ardentes guerres de Religion qui ensanglantèrent notre Sud-Rouergue, les Protestants qui s'étaient emparés de Belmont rasèrent le monastère et dispersèrent les chanoines.

 

Mais passées ces heures douloureuses et destructrices, les chanoines revinrent en ville, sans cependant pouvoir vivre en communauté, car ne possédant plus de monastère.

 

D'un saut dans l'histoire, arrivons à la date de 1740 : elle marque en effet un tournant dans l'évolution de Belmont. C'est à cette date que naquit à Combret-sur-Rance celui qui, devenu chanoine de la collégiale de Beaumont (tel était l'ancien nom de cette cité) se vit vivement engagé par ses confrères religieux d'ouvrir une école ecclésiastique; celle-ci manquait fort dans le diocèse de Vabres qui n'avait alors ni Petit, ni Grand Séminaire pour la formation des futurs prêtres, malgré l'expérience éphémère de quelques années d'activités, de l'école ouverte à la fin du XVIIème siècle, par les Clercs du Bon Jésus de Vabres, encouragés par l'évêque, Mgr de Baradat.

 

Ce prêtre éminent se nommait Bernard ROBERT, fils de Barthélémy ROBERT et de Marie-Anne CARCENAC. En 1760, M. ROBERT qui n'avait que 20 ans, fonda donc à Belmont une école ecclésiastique pour la formation des aspirants au sacerdoce : école qui devait devenir florissante au cours des années et qui subsista jusqu'à la Révolution de 1789. Ecole bien originale dans sa structure : aucun internat, les élèves logeaient dans des familles du lieu, peut-être même quelques-uns dans le château de l'Abbé commendataire. M. ROBERT parait avoir exercé tantôt seul, puis peut-être aussi, avec quelques collègues dont quelques noms nous sont connus : Carrière, Carles, Cabanes, Nicouleau, Castelbou, Brunet, de Calvayrac. Les classes se tenaient soit dans l'appartement des professeurs, soit dans les maisons de particuliers tels les Aliès, les Rols, les Castan, les Mouls, les Fraissinet-Roque.

 

Le signal pour la tenue des cours était annoncé par le carillon du clocher.

 

1789 brisa ce premier élan de presque 30 années qui était prometteur : école supprimée, élèves dispersés, les professeurs frappés par les menaces de la constitution civile du Clergé, réfugiés à l'étranger. Pour sa part, M. ROBERT s'enfuit en Espagne avec le curé de Belmont : l'Abbé Nicouleau.

 

Cependant, au cours des années post-révolutionnaires qui apportèrent enfin quelque apaisement à la France malgré l'ère napoléonienne, une école semblable à celle de M. ROBERT avait ouvert ses portes grâce aux Abbés LASBORDES, de Pousthomy, et MENRAS, des Boulouysses. A son retour en France, M. ROBERT s'y associa de tout coeur, à tel point qu'il en devint bientôt le directeur.

 

Mais en ce temps-là, les chevauchées napoléoniennes absorbaient un nombre important de jeunes qui devaient, au jour venu, se plier à la conscription.

 

Le 15 novembre 1811, sous prétexte que l'école de Belmont ne formait que des séminaristes et non des soldats, tomba un arrêté de fermeture.

 

L'opposition se fit alors vigoureuse, les protestations fusèrent si bien qu'à peine 10 mois plus tard, le 23 septembre 1812, l'école fut rétablie. Elle sera érigée en Petit Séminaire par l'évêque de Cahors dont la juridiction s'étendait alors sur l'ancien diocèse de Rodez et celui de Vabres, supprimés par le Concordat. Le Petit Séminaire de Belmont ne devait plus cesser jusqu'en 1964, après y avoir connu successivement en 200 années, 16 supérieurs.

 

Le cher M. ROBERT devait démissionner en 1816 et décéder en 1823, âgé de 83 ans, après 65 ans consacrés à l'enseignement catholique. A l'occasion de sa mort s'élevèrent de profonds éloges :

"Homme remarquable par ses connaissances littéraires et théologiques - était-il dit - éminemment vertueux, religieux et charitable. Sa conversation pleine d'esprit et de gaieté était recherchée ; il encourageait le talent de l'enfant pauvre car il n'avait en vue pour l'enfant que l'éducation stricte qu'il considérait comme nécessaire pour son avenir. Généreux enfin, son patrimoine n'a servi qu'à des établissements d'utilité publique."

 

Il n'est pas possible dans ce bref historique du Petit Séminaire de Belmont de citer tous les  Supérieurs qui, après M. ROBERT, le dirigèrent de main de maître. Nous nous bornerons pour aujourd'hui à citer quelques uns de ceux qui précédèrent l'Abbé VAYSSIER ; M. CASTELBOU qui acheta pour 4.500 F le château du Chapitre et testa 30.000  F en faveur du Supérieur LASBORDES qui, lui-même fit donation au diocèse de Rodez de tous les biens du Séminaire.

 

Une malencontreuse diminution d'effectif s'étant accentuée autour des années 1830 et ayant même entraîné la suppression de l'externat, sauf pour les élèves de la cité de Belmont, Mgr GIRAUD avait alors fondé le Petit Séminaire de Saint-Pierre-sous Rodez, le 6 octobre 1835.

 

Le nouveau supérieur de Belmont nommé en 1836, M. PEYRE VALERY, alors curé de Vabres, une personne douée d'un grand esprit d'ordre et d'économie, eut vite fait de rétablir la situation.

 

Son successeur, M. PLEGAT, de 1850 à 1864, se révéla un maître éminent dans l'art d'élever la jeunesse : alliant fermeté et douceur, dévoué et attentif, il vécut là comme un père, se mêlant aux jeux des élèves et les accompagnant dans leurs promenades. Son activité fut marquée par l'agrandissement de l'établissement auquel il adjoignit, en 1852, une chapelle et un dortoir, puis de 1862 à 1864 une aile supplémentaire. Il eut à affronter les terribles événements que connut Belmont en 1854 : l'importante grêle de juin et l'épidémie de choléra qui, en juillet, dispersa les élèves pour un temps. Il fut aussi un bon écrivain - moraliste bien sûr - qui offrit à ses petits séminaristes, pour la sanctification de leur temps de vacances, 2 brochures ; l'une en 1863, de 36 pages, sous le titre "L'élève chrétien en vacances", par un ami de la jeunesse, l'autre, rédigée durant sa retraite, parue en 1870, intitulée "Quelques conseils à un élève en vacances". Il devait quitter Belmont en 1864.

 

- Devenu quelques mois aumônier du monastère de Notre Dame d'Orient, puis revenu à Belmont, il y mourut en 1877.

 

Et voici qu'apparaît à la rentrée scolaire de 1864, pour succéder à M. PLEGAT, ce nouveau directeur qui devait s'y dévouer durant ses 10 ans de supériorat, l'Abbé Aimé VAYSSIER dont le souvenir nous rassemble plus particulièrement ici et qui va faire l'objet de notre étude d'aujourd'hui.

 

 

BIBLIOGRAPHIE DE L'ABBE AIME VAYSSIER

(Jean-Jacques Aimé Gilles)

 

- Aimé  VAYSSIER naquit à Canet d'Olt, dans le canton de Campagnac, commune de St Laurent d'Olt, le 14 avril 1821. Ses parents J. Jacques VAYSSIER et Eléonore VAQUIER de Labaume étaient de simples agriculteurs ; l'un de ses oncles était l'Abbé VAQUIER de Labaume, alors curé d'Anglars de Laissac.

 

Il fit ses études secondaires au Petit Séminaire de Saint-Pierre-sous-Rodez qui venait de se fonder en 1835. Il y manifesta déjà un esprit d'opiniâtreté dans le travail et de telles vives qualités d'esprit qu'on l'avait surnommé "Bossuet". Il poursuivit ses études au Grand Séminaire de Rodez et fut ordonné prêtre en 1847.

 

Il débuta la carrière professorale à Saint Pierre même où il exerça de 1847 à 1850. Mais son amour pour les Lettres était si violent en lui qu'il quitta l'Aveyron, partit à Paris suivre l'enseignement de la célèbre Ecole des Carmes. Il obtint alors ses grades académiques devenant successivement bachelier, puis licencié-ès-lettres.

Revenu en Rouergue en 1852, il retrouva sa chaire de professeur au Petit Séminaire de St-Pierre-sous-Rodez, dans les hautes classes, celle de rhétorique en particulier, et de plus animant des classes de chant et de théâtre.

 

Durant ses premières années de sacerdoce, il s'était adonné avec zèle et talent à la prédication, surtout dans les églises de Rodez. On reconnaissait en cet orateur un riche fonds d'idées, un langage pur, noble et d'une correction parfaite, tout cela servi par une voix puissante et sonore. Il était devenu aussi quelque peu publiciste, présentant des articles de correction et de sobriété dans les rares journaux locaux de l'époque.

 

Après 12 années passées à Saint-Pierre, l'évêque de Rodez, Mgr DELALLE, le nomma, à la rentrée scolaire de 1864, supérieur du Petit Séminaire de Belmont, à la succession de M. PLEGAT. Il devait y poursuivre sa mission jusqu'en 1874, date de sa mort subite chez un de ses amis prêtres, à Recoules-Prévinquières, où il était en visite. C'était le 27 août 1874 (il y a juste 121 ans). Il n'avait que 53 ans. Il léguait au Petit Séminaire divers immeubles à Belmont, sa belle et riche bibliothèque, quelques meubles, une voiture et un harmonium.

 

Une plaque commémorative, apposée sur l'église de Canet d'Olt par les soins du Grelh Roergas, rappelle son souvenir.

 

Que dire de son passage dans ce Petit Séminaire de Belmont, sinon qu'il  s'y révéla un supérieur émérite et moderne.

 

Pour mettre à l'aise les élèves, il modifia la tenue réglementaire d'alors qui exigeait le chapeau haut de forme et la redingote, ne maintenant que la seule redingote, mais par contre les coiffant de la casquette noire à palmes brodées.

 

En ce qui touche l'enseignement proprement dit, il établira l'usage de 2 séances académiques annuelles dénommées "Athénées" dès 1867, une entre l'Epiphanie et le Carême, l'autre en juin - ceci pour stimuler le zèle de ses élèves. En effet, toutes les classes sans exception étaient représentées dans ces séances et donnaient, au choix, différentes communications : vers latins, discours en français ou en latin, lettres, thèmes ou versions latines ou grecques.

 

L'Abbé VAYSSIER y ajoutait encore l'intérêt de présenter un dialogue débité - genre joute oratoire - "C'est une chose, écrivait-il, qui intéresse le plus les auditeurs et qui sert le plus à former les élèves au débit et à la tenue. On prépare ainsi des orateurs pour la chaire, le barreau et même la politique."

 

Ainsi l'Abbé VAYSSIER instaurait des modalités d'enseignement qui allaient perdurer et qui s'avérèrent efficaces, au point de voir les anciens élèves de Belmont au temps de l'Abbé VAYSSIER, arriver par la suite à une réussite sociable enviable. Le Petit Séminaire de Belmont comptait déjà, avant l'arrivée du cher Abbé, des anciens élèves célèbres : Mgr Denys AFFRE, l'archevêque martyr de Paris ; Mgr ALIES, professeur puis précepteur des enfants de la Maison d'Orléans. Les anciens de l'Abbé VAYSSIER auront été : le millavois Abbé TRUEL, professeur de grec à l'Institut des Hautes Etudes, devenu vicaire général de Rodez ; l'archéologue bien connu l'Abbé Frédéric HERMET, comme aussi le botaniste chanoine COSTES ; des missionnaires comme Mgr RAMOND, évêque du Haut Tonkin, et Mgr CADILHAC, archevêque de Tokio ; en Chine Mgr BRUGUIERE, vicaire apostolique, et le Père Placide PARGUEL. Des écrivains aussi comme l'orientaliste Justin SAUVEPLANE, l'exégète Fulcran VIGOUROUX, l'historien Denis TEISSIER et l'archiprêtre gardois de Nîmes Mgr MICHEL.

 

Les méthodes d'enseignement de l'Abbé VAYSSIER bénéficièrent de ses soins constants. Pour ce faire, il rédigea à l'intention de ses élèves plusieurs brochures d'un grand intérêt.

 

Ainsi parurent :

 

- Le cours élémentaire de style et de composition

- Le cours élémentaire de poétique, en 1855, alors qu'il était professeur à Saint-Pierre. Dans ce but, après avoir recueilli ce qui avait été déjà écrit sur ce sujet, il le revêtit d'une forme nouvelle, simple et appropriée à l'usage des élèves, disposée avec ordre et méthode, et enrichie d'un bon choix d'exemples pour l'application des règles.

 

- En 1863, parut un "Nouvel essai de Rhétorique". Il marquait un progrès sur le précédent déjà paru : plus clair dans les principes, il traitait mieux le programme d'alors du Baccalauréat et, s'adressant plus particulièrement à de petits séminaristes - futurs prêtres - il insistait sur l'éloquence de la chaire.

 

- Il préparait une étude sur les "Conciones", un livre classique latin, en édition nouvelle revue et expurgée qu'il rédigea, dotée de notes et de commentaires, pour "la Société de l'Alliance des Maisons chrétiennes" dont il était membre en 1874, mais cette étude ne fut pas éditée.

 

Toutes ces publications témoignent de l'ardeur au travail, de la compétence et du souci pédagogique que l'Abbé VAYSSIER montra au cours de son ministère de professeur. Il eut jusqu'à 174 élèves dans son établissement. Mais il ne faut pas oublier qu'il aura été, en bon aveyronnais, le premier philologue à s'intéresser à notre langue "mairale", tâche qu'il accomplit de longue haleine, parallèlement à sa carrière d'enseignant. Et ce n'est pourtant pas l'oeuvre bénéfique accomplie par lui au Petit Séminaire de Belmont qui a fait connaître largement le nom de l'Abbé VAYSSIER. C'est à n'en pas douter son "dictionnaire patois-français du département de l'Aveyron", paru en 1879, sur lequel va maintenant se porter notre propos.

 

Quelques oreilles d'aujourd'hui, actuellement bien habituées au terme "d'occitan", pourraient peut-être être choquées qu'au cours de cette communication le mot "patois" qu'employa VAYSSIER soit constamment maintenu. Il ne faut pas oublier que notre langue d'oc, à cette époque et encore pendant la première moitié du XXème siècle, était désignée par ce vocable et que même aujourd'hui des personnes âgées, nées à la campagne, continuent à l'employer dans la pratique, l'utilisant sous la forme parfois abâtardie qui constitue alors, un vrai patois.

 

 

 

LE DICTIONNAIRE PATOIS-FRANCAIS du Département de l'Aveyron

 

1) La Genèse

 

C'est au cours de sa séance du 2 juillet 1863 que notre Société des Lettres, Sciences et Arts de l'Aveyron prenait connaissance d'une lettre de l'Abbé VAYSSIER. Elle débutait en ces termes :

"Une question du programme archéologique ayant attiré mon attention sur l'idiome patois de notre Rouergue, j'ai vu avec regret que les travaux faits jusqu'ici sur ce dialecte sont peu considérables : ainsi nous n'avons point de dictionnaire, tandis que plusieurs provinces ou départements de la région du patois en ont, et même de très savants. Cette situation des choses - ajoutait-il - m'a suggéré l'idée de proposer à la Société des Lettres de l'Aveyron la composition  d'un dictionnaire du patois-rouergat".

 

L'Abbé VAYSSIER faisait ensuite connaître qu'il avait déjà travaillé sur ce sujet en s'appuyant sur quelques travaux épars, du chef de MMrs DUVAL et CLEMENT et sur ceux déjà réalisés par lui-même en ce qui concernait les étymologies grecques et latines de notre patois.

 

Il proposait donc à la Société d'exécuter pareille oeuvre. D'ailleurs, il ajoutait : " Peut-être suis-je dans une position assez commode pour obtenir par le moyen de quelques uns de mes collègues dans l'enseignement et des élèves que j'ai formés depuis 16 ans, des renseignements précieux sur les variantes ou les sous-dialectes de notre patois."

 

Il adressait aussi un appel à tous ceux que cette initiative pouvait intéresser, demandant de lui faire parvenir tous matériaux écrits en cette langue, qu'ils aient été imprimés ou qu'ils soient manuscrits, ou même de simples listes de mots se référant à un thème, par exemple aux plantes.

 

Enfin, il demandait, pour l'aider, la formation d'une commission qui grouperait quelques membres familiarisés avec cet idiome, par exemple : Mr Adrien de SEGURET, l'Abbé CERES, MMs VALADIER, VESY  et VIALLET, "Commission - disait-il - qui pourrait m'être d'un grand secours".

 

Quel accueil reçut cette offre dans le sein de la Société des Lettres ?

 

Si les membres engagèrent l'Abbé VAYSSIER à poursuivre "son oeuvre de patiente érudition, sûrs qu'ils se disaient de lui savoir acquis " un large concours ou du moins la sympathie des aveyronnais et des amis des Lettres", nous lisons dans le compte rendu officiel de cette séance, par contre, quelques propos assez mitigés, comme ceux-ci "Le dictionnaire de M. l'Abbé VAYSSIER ne fera pas vivre le patois un jour de plus. Cet idiome se transforme rapidement là où il résiste à l'invasion du français. Chaque jour voit tomber dans un oubli éternel quelques uns de ces vieux mots patois qui sont conservés dans des localités isolées".

 

La suite de la lettre, après cette perspective d'avenir peu engageante, avouait néanmoins : "Mais si ce dictionnaire doit être sans efficacité pour faire durer un idiome qui a pourtant des qualités essentielles que le français lui envie, il assurera du moins la conservation des mots dont l'ensemble constitue un langage qui a été pendant longtemps exclusivement en usage dans cette province et a été employé durant plusieurs siècles pour la rédaction des actes privés et publics".

 

Cependant, la Société des Lettres, n'ignorant pas que ce patois avait été aussi le langage des "affaires" chez nous, au cours des siècles passés, concluait, parlant de l'Abbé VAYSSIER. "Son oeuvre sera un jour ou l'autre indispensable pour l'interprétation de titres et de documents intéressant des particuliers, des communes, des établissements publics.

 

Se référant prudemment à ses Statuts, la Société des Lettres constatait (je cite) : "que la rédaction d'un "Dictionnaire patois" rentrait dans le cadre des travaux entrepris par elle dès sa fondation", faisant ainsi espérer au cher et érudit abbé (je cite encore) "qu'elle adopterait son travail et lui donnerait une place dans la série des publications".

 

Encouragé, malgré quelques réserves de détail, l'Abbé VAYSSIER mit en ordre son dictionnaire, peut-on dire ; il avait déjà, lors de son passage au Petit Séminaire de Saint-Pierre et au cours de déjà 10 années passées à celui de Belmont, fait une large moisson de documents ; ce qui permit, lors d'une séance de la Société des Lettres du 30 novembre 1873 d'entendre au nom de la Commission constitutée, le Rapport de M. VALADIER exprimé en ces termes : "Comme elle s'y attendait, connaissant l'esprit pratique, laborieux et consciencieux de notre honorable collègue, notre commission a trouvé cette oeuvre aussi parfaite qu'elle pouvait l'être eu égard aux difficultés qu'il a fallu surmonter et à la minutieuse attention qu'il a fallu apporter à sa composition". Et, continuant, le Rapport donnait la liste des 11 chapitres sous lesquels l'oeuvre se présentait, munie en outre d'une préface explicative, parlant plutôt d'une sorte de glossaire que d'un dictionnaire, et le tout constituant l'introduction au dictionnaire proprement dit. Le rapport était donc très favorable.!

 

Mais comme souvent en pareil cas, celui qui prend l'initiative, en assure la charge et devrait en recueillir les mérites, se voit au contraire l'objet de réflexions désobligeantes, quand ce n'est pas de critiques plus ou moins justifiées.

 

C'est ainsi que la séance de la Société des Lettres du 15 mars 1874 fut mise au courant d'une lettre émanant de M. DURAND de GROS, faisant connaître ses observations au sujet de la décision prise de faire paraître ce fameux dictionnaire, posant la question de savoir s'il était à la hauteur de la science actuelle - la philologie locale - très avancée et très rigoureuse étudiée par le savant allemand DIEZ, de savoir aussi si les membres de la Commission avaient consulté de tels savants au préalable. Parlant ensuite de l'orthographe qui serait peut-être adoptée - la phonétique - il protestait vigoureusement par ces mots :

"L'orthographe du patois doit procéder de l'orthographe romane, en procéder directement et exclusivement".

 

Ainsi, DURAND de GROS était un précurseur de la graphie occitane normalisée largement employée aujourd'hui mais il ne fut pas suivi en la circonstance.

 

Cependant, la Commission désignée allait vite en besogne. Le 2 juillet 1874, M. VALADIER faisait remettre un nouveau rapport sur le projet d'impression du dictionnaire. Interrogée sur les voies et moyens de l'éventuelle impression ainsi que sur le nombre d'exemplaires à tirer et sur leur prix de vente, la Commission donnait toutes indications techniques concernant le format, la mise en page sur deux colonnes et le choix des caractères. La prévision donnait le volume à 700 pages, livré à 7 Frs pour un tirage de base de 1000 exemplaires. Une souscription serait alors ouverte avec une faveur de prix d'achat à 6 Frs au lieu de 7 Frs.

 

Une Commisison spéciale fut nommée pour suivre les opérations, qui comprenait MMrs AFFRE, VESY, VALADIER, CERES, NUSBAUMER et VIRENQUE.

 

Hélas, le 27 août 1874, en visite chez son ami l'abbé ALENGRIN, curé de Recoules, l'abbé  VAYSSIER y décédait subitement au presbytère. Dans la séance du 20 septembre suivant, la Société des Lettres, en annonçant le décès de l'abbé VAYSSIER, lui rendait hommage ainsi :

 

"Il s'occupait depuis plusieurs années d'un dictionnaire patois - véritable oeuvre de bénédictin - qu'il laisse à peu près achevé et que mèneront dans tous les cas à bonne fin les collaborateurs qu'il avait choisis parmi les membres de la Société".

 

Aussi, dès le 28 Novembre 1874, le cahier des charges ayant été communiqué, l'assemblée de la Société des Lettres décidait que l'ouvrage serait publié par souscription au nombre de 600 exemplaires. Dès le prix fixé connu, la souscription serait lancée par circulaire, avec un temps limite de 6 mois pour un prix de faveur ouvert à ceux qui auraient fait connaître leur adhésion.

 

Quelques mois après, le 2 juillet 1875, l'abbé MATET, nouveau supérieur du Petit Séminaire de Belmont, mettait à la disposition de la Société des Lettres le brouillon et une copie du dictionnaire que l'abbé VAYSSIER avait déposés à la Bibliothèque de l'établissement.

 

Entre temps, le 18 avril 1875, l'impression du dictionnaire avait été adjugée à Madame Veuve CARRERE, imprimeur à Rodez, au prix de 75 Frs 95 c. la feuille. D'autre part, la Commission responsable était d'avis que l'ouvrage de M. VAYSSIER soit précédé de la biographie de son auteur, la Société des Lettres confiait cette mission à M. l'abbé TRUEL.

 

Le 2 décembre 1875, vu le nombre relativement élevé des souscripteurs, le tirage du dictionnaire prévu pour 600 exemplaires était porté à 800, soit à 94 Frs la feuille. A cette même séance, l'abbé TRUEL déposait le manuscrit de la biographie de l'abbé VAYSSIER qui lui avait été demandée.

 

Il fallut cependant attendre mai 1879 pour voir paraître le premier exemplaire du dictionnaire et les souscripteurs étaient invités à retirer le leur.

 

Lors d'un récent Congrès à la Sorbonne, le délégué de la Société des Lettres de Rodez qui avait été désigné parmi les membres en la personne du capitaine BORDIER, chevalier de la Légion d'Honneur, capitaine au 81ème RI cantonné à Rodez, avait appelé l'attention du Ministre sur le dictionnaire de l'abbé VAYSSIER récemment publié.

 

Le 6 juin 1879, le Ministre accusait réception des 2 exemplaires qui lui avaient été adressés. Heureuse aubaine, le 7 juillet de la même année le Ministère de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts faisait bénéficier l'impression du dictionnaire d'une subvention de 400 Frs Cette intervention du capitaine BORDIER avait porté ses fruits.

 

Le dictionnaire patois-français du département de l'Aveyron par l'abbé Aimé VAYSSIER se trouvait ainsi désormais livré au grand public.

 

2) Sa Présentation

 

Si vous le voulez bien, maintenant ouvrons le volume. Qu'y trouvons-nous aux premières pages ?

 

Il faut y distinguer plusieurs parties dotées d'un titre :

- d'abord la Notice biographique de l'abbé TRUEL sur l'abbé VAYSSIER,

- un tableau explicatif des abréviations typographiques

- une étude sur les 23 lettres de l'alphabet patois et la prononciation de chacune,

- une préface qui permet à l'auteur de donner ses opinions sur le patois et sur les idées forces avec lesquelles il a conçu le dictionnaire,

- vient ensuite une introduction, composée de 11 chapitres consacrés à des considérations sur notre langue d'oc comme son existence en France et le certain mépris constaté à son sujet.

 

Ensuite, en abordant directement l'étude du patois rouergat, on considère :

- son rapport avec le latin, l'italien, l'espagnol, l'anglais et même le valaque,

- les reproches qu'on lui fait et les mérites qu'on doit lui reconnaître,

- les auteurs locaux qui l'ont écrit

- l'orthographe à adopter ainsi que les règles grammaticales à appliquer

 

Cette introduction se termine par un bref regard sur les étymologies et sur les mots racines.

 

Après ce préambule jugé nécessaire par l'auteur, tournons maintenant les feuillets du dictionnaire.

 

Rappelons ce que l'abbé VAYSSIER avait dit en présentant son projet à la Société des Lettres en 1863 :

"Mon but n'est pas de faire un dictionnaire français-patois mais une sorte de glossaire (lexique expliquant les mots rares d'une langue ou d'une oeuvre ou d'un traité) patois-français". A première vue, l'on s'aperçoit que c'est plus qu'un glossaire, c'est presque une encyclopédie (ouvrage où l'on expose méthodiquement et alphabétiquement l'ensemble des connaissances).

 

En effet, chaque mot étudié comporte :

- ses variantes phonétiques avec le nom des lieux où elles sont employées,

- son genre, si c'est un nom ou un verbe, s'il est adjectif, adverbe, pronom, préposition ou interjection,

- s'il constitue un archaïsme,

- s'il a été tiré de l'anglais, de l'espagnol, de l'italien, du breton, du celte ou toute autre langue,

- s'il constitue une onomatopée ou un néologisme.

 

Le mot est accompagné parfois de son ou ses synonymes :

- suivant le cas, une citation de proverbe ou d'une expression dans lesquels ce mot apparaît ainsi que le nom de l'auteur d'où cette citation est tirée ;

 

- Assez souvent aussi une courte explication encyclopédique indique les rapports avec la personne ou l'objet que ce mot rappelle.

 

Bref, dans l'élaboration de ce travail, on retrouve l'art du grammairien accompli, du philologue savant et du professeur qualifié, doué d'une vaste culture générale.

 

3) Les Thèmes abordés

 

Cette forme, qui relève à la fois du glossaire et de l'encyclopédie que l'abbé VAYSSIER a donnée à son ouvrage fait apparaître plusieurs grandes familles de thèmes abordés :

 

- la botanique, avec pour diverses plantes leurs divers noms suivant les lieux et leur application en médecine ;

- l'ornithologie avec les noms des oiseaux de notre Rouergue sans oublier, la zoologie.

- la gastronomie locale avec le nom des ingrédients et le mode de préparation de divers plats ;

- les jeux sont aussi présents : dans leur diversité, avec la description des jouets, le plan des ébats, et leur explication folklorique à l'occasion ;

- proverbes et dictons permettent d'évoquer les saisons, les fêtes, les us et coutumes ;

- d'autre part le prêtre qu'était l'abbé VAYSSIER ne pouvait pas être moins sensible à tout ce qui touche la religion ; c'est pourquoi les citations sont nombreuses qui parlent des saints, du catéchisme, de cantiques et de prières ;

- la vie rurale et professionnelle y trouve place avec ses outils, ses usages et ses fêtes traditionnelles.

 

4) Les citations

 

On peut les grouper en 2 catégories :

 

   a) - celles concernant les auteurs,

   b) - celles concernant les lieux.

 

a) - Citations en oc d'auteurs rouergats.

 

A l'époque où l'abbé VAYSSIER travaillait à l'élaboration de son dictionnaire, il est logique que pour illustrer les mots qu'il expliquait il ait pensé à emprunter ses citations dans les oeuvres de ses compatriotes rouergats ayant composé une oeuvre importante en langue d'oc déjà imprimée. Il faut rappeler ici que l'abbé BESSOU n'avait encore rien donné et le Trésor du Félibrige de Mistral ne devait paraître que plus tard.

 

Tels étaient donc, dans l'ordre chronologique, ces auteurs de notre terroir :

- Claude PEYROT (1709-1795) l'ancien Prieur de Pradinas, le millavois fort connu des "Géorgiques patoises" qui en étaient alors à plusieurs éditions.

- Jean-François VALADIER, auteur de la "Catastrofo de la baoumo" (vers 1877) (1739-1807), Villefranchois.

-François Joseph COCURAL ( 1807-1878), juge de paix du canton de St Chély d'Aubrac, auteur en 1868 de "Gygès ou l'enfant du désert".

- Jean FROMENT (1809-1880) originaire d'Huparlac, auteur en 1840 de "Julito e Pierrou" ou "Lou Comi mal inspirat del moriatge".

- Jules DUVAL, de Rodez, un avocat devenu publiciste et économiste, auteur de "Proverbes patois" parus dans les Mémoires de la Société des Lettres en 1845.

- Les BALDOUS père et fils (surtout Laurent le fils) originaires de Mostuéjouls ; Laurent BALDOUS insérait ses longs poèmes dans l'hebdomadaire local de Millau, "L'Echo de la Dourbie".

- FORESTIER ET RUDELLE paraissent aussi au fil des citations.

 

Ainsi le dictionnaire comporte, pour les plus importantes :

- 384 citations de Claude PEYROT

-  34 citations de COCURAL

-  43 citations de FROMENT

- 139 citations de BALDOUS

 

Dans sa préface, l'abbé VAYSSIER cite aussi des personnes qui sans avoir écrit une oeuvre, furent ses correspondants :

PONS d'HAUTERIVES, d'Estaing ; CLEMENS, ancien professeur d'anglais au lycée de Rodez ; les abbés CERES, archéologue ; FABVIER curé de Séverac l'Eglise ; JONQUET, curé de Farret ; LESCURE, agriculteur ; GUIRONDET et VALADIER.

 

L'on s'aperçoit que, dans un souci de drainer le plus possible de renseignements, la prospection de l'abbé VAYSSIER avait été large.

 

 

b) - Citations des lieux de provenance des mots

 

La carrière d'enseignant de l'abbé VAYSSIER l'avait mis en relation avec des élèves et des maîtres dans deux établissements dont les effectifs provenaient à St Pierre-sous-Rodez de la partie nord du département et à Belmont de la partie sud. Aussi les lieux cités dans le corps du dictionnaire couvrent-ils la presque totalité des cités du département de l'Aveyron. L'on en recense 47 désignés nommément :

- 4 pour le Lévézou : Arvieu, Salles Curan, Saint Beauzély, Vezins. D'autres indiqués par le seul vocable "Lévézou".

- 1 pour le Larzac : Cornus, les autres sous le seul vocable "Larzac"

-  2 pour Millau et sa région : Peyreleau, Saint Jean du Bruel, les autres sous le vocable "Millau"

- 5 pour le Sud Aveyron : Belmont, St Affrique, Camarés, St Sernin, St Rome de Tarn

 

Par curiosité concernant ces cités du Sud Aveyron, nous trouvons ainsi en ce qui touche aux mots  :

- 545 citations pour Saint Affrique

- 254 citations pour Saint Sernin

- 110 citations pour Belmont

-  67 citations pour Camarès

 

Il faut constater aussi que le Nord Aveyron est plus largement représenté. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que l'abbé VAYSSIER, après 15 ans passés au Petit Séminaire de Saint Pierre, n'a vécu dans le Sud Aveyron que les dernières années de sa vie, soit à peine 10 ans. Les citations en lieux donnent donc 37 pour le Nord Aveyron et 12 pour le Sud Aveyron.

Quant aux auteurs cités, leurs mentions évoquent :

- pour Claude PEYROT : la région de Millau

- pour FROMENT et COCURAL : Espalion et la Montagne

- pour BALDOUS : le Causse Noir et Peyreleau

- pour RUDELLE : Rodez et sa région

 

Voilà donc comment se présente cet ouvrage dont on ne peut nier qu'il est le résultat d'une somme de recherches patientes et minutieuses.

- Mais en son temps, comment fut-il accueilli ?

 

- Appréciations diverses

 

L'apparition pour la première fois en Aveyron d'un dictionnaire consacré à la langue d'oc locale ne pouvait pas manquer de susciter ça et là et dans les sphères culturelles du département - en particulier au sein même de la Société des Lettres qui en avait été pourtant le maître d'oeuvre - des réactions de tous ordres.

Déjà dès l'annonce du projet, nous avons vu M. DURAND De GROS, dans la séance de la Société des Lettres du 5 mars 1874, donner son avis, sous forme de conseil, sur la question de philologie et celle d'orthographe qui seraient peut-être employées. Le pressentiment qu'il évoquait alors allait s'avérer fort juste. Car en effet, dès la parution du dictionnaire en mai 1879, de nombreux articles annonçant l'événement paraîtront dans des publications savantes extérieures au département et donneront libre cours à leurs commentaires. On les trouve en 1879 dans "le Bulletin de la Société savante du Tarn et Garonne", en 1880 dans "la Revue des Sociétés savantes des départements et dans la Revue de Bibliographie catholique" En 1881, la revue allemande de "Germanie et Romane Philologie" en parlera aussi et Paul MEYER, l'érudit directeur de l'Ecole des Chartes de Paris, ne restera pas muet à ce sujet au cours d'une des séances du Comité des travaux historiques de Paris.

 

Mais comme il fallait s'y attendre, c'est en  Rouergue que les commentaires auront été les plus nombreux et les plus diversifiés, alliant souvent éloges et critiques.

 

En novembre 1873, à la vue du manuscrit que de son vivant l'abbé VAYSSIER avait fait transmettre pour avis à la Société des Lettres de l'Aveyron, la Commission chargée d'en examiner et d'en apprécier le contenu "avait jugé cette oeuvre aussi parfaite qu'elle pouvait l'être, eu égard aux difficultés qu'il a fallu surmonter et à la minutieuse attention qu'il a fallu apporter à sa composition".

 

Dans un Rapport émanant de M. Paul MEYER, le directeur de l'Ecole des Chartes, et présenté au cours de la séance du 1er décembre 1879 du Comité des travaux historiques à Paris, il était dit :

"L'ouvrage de l'abbé VAYSSIER méritait l'honneur d'être publié et l'on ne peut que savoir gré à la Société de l'Aveyron de la peine et des dépenses qu'elle s'est imposée pour en procurer la publication."

 

L'année 1880 sera fertile en appréciations :

 

Le majoral millavois Léopold CONSTANS, titulaire de la Chaire des Langues Romanes à l'Académie d'Aix-Marseille, écrivait dans la "Revue des Langues romanes" éditée à Montpellier, qu'il déplorait des omissions regrettables, par exemple celle du mot "rai" (rai d'aco),  qu'il déplorait aussi certains renvois de mots jugés insuffisants et d'autre part quelques opinions exprimées dans la Préface au sujet de la formation du patois. De même, dans le choix de l'orthographe phonétique, certains signes de ponctuation ne lui paraissaient pas judicieusement employés et l'étymologie avancée pouvait sur plusieurs points être contestée.

 

Mais une fois ces constatations émises, Léopold CONSTANS avouera sincèrement "que ces critiques de détail doivent être considérées comme une preuve de l'importance qui s'attache à l'oeuvre de l'abbé VAYSSIER". De même il reconnaîtra bien volontiers " le mérite d'un travail très consciencieux et fait avec intelligence, qui rendra d'utiles services à la science et aux amis de notre vieille langue méridionale.

 

Il ajoutait "qu'il ne doutait pas que MISTRAL n'en profite pour augmenter les richesses des variantes dialectales dans le monument qu'il élève à la langue d'oc sous le nom de "Trésor du Félibrige". Effectivement, dans ce Trésor du Félibrige, MISTRAL citera des auteurs occitans de chez nous tels que PEYROT, VILLIERS, FROMENT, BALDOUS et COCURAL.

 

Le 2 Décembre 1880, à la séance de la Société des Lettres, l'abbé BESSOU, l'auteur de "del Brès a la toumbo", dira qu'il a remarqué des lacunes qu'il serait utile de combler dans une 2ème édition ou dans un supplément".

 

D'autre part, il engageait les membres de la Société à prendre note des omissions qu'ils remarqueraient et à se les communiquer.

 

Au cours de la même séance, M. DURAND D'ARSAC, appuyant les observations de l'abbé BESSOU, faisait connaître que, personnellement, il avait recueilli un grand nombre de mots qui ont un véritable goût du terroir, qui tendent chaque jour à disparaître et qu'il serait utile de les consigner dans un dictionnaire afin de les conserver.

 

Neuf ans plus tard, en 1899, Mr FORESTIER, dans sa longue et minutieuse étude consacrée à ce dictionnaire, reprenait les anciennes critiques d'omissions de mots, de renvois trop nombreux qui peuvent désorienter le lecteur, de l'orthographe des prononciations fort diverses suivant les divers cantons du département, de l'étymologie contestable qui est avancée.

 

Mais il y joignait d'autres nouvelles critiques comme la composition, le mauvais choix des exemples, l'emploi et l'interprétation des proverbes cités. Il lui reprochera aussi de n'avoir pas, dans ses emprunts, fait la part assez belle aux vieux contes, aux vieilles chansons, aux vieux souvenirs de l'histoire locale ou nationale, "conservés  - disait-il - souvent par un mot qui a survécu à tant de choses qui sont mortes".

 

Malgré ces critiques ici évoquées et quelques autres encore, M. FORESTIER n'hésitera pas cependant à reconnaître lui aussi les mérites du cher abbé.

 

On lui sait gré, écrira-t-il, d'avoir bien distingué et fait connaître les plantes et les animaux de notre pays et il était expert en botanique. Il tempèrera encore ses éloges "en regrettant qu'en certains articles ce n'est plus un dictionnaire mais une revue scientifique car aux descriptions il ajoute des boniments, des recettes de cuisine et de médecine".

 

Jugeant dans son ensemble l'oeuvre de l'abbé VAYSSIER, M. FORESTIER conclura : "Son dictionnaire en effet est une collection, non point futile celle-là mais utile et précieuse. Avoir travaillé pendant 10 ans à rechercher, à classer laborieusement les mots épars dans 20 dialectes de la même langue, avoir réuni ainsi les éléments divers, parfois disparates, qui la composent sans connaître jamais ni lassitude ni dégoût, avoir rapproché, coordonné ces éléments, c'était là une oeuvre difficile et d'un labeur ingrat mais point indigne du courage ni au-dessous de la haute intelligence de l'abbé VAYSSIER.

 

Dans la suite des mois et des années, plusieurs auteurs rouergats ont continué de pencher leurs yeux critiques sur le dictionnaire de l'abbé VAYSSIER dans le but fort louable de le compléter peut-être un jour utilement.

 

En février 1900, M. PONS d'HAUTERIVES renvoyait à la Société des Lettres, qui le possède encore, un exemplaire du dictionnaire à lui confié pour y consigner des annotations en observations, corrections ou additions en vue d'une éventuelle réédition de l'ouvrage.

 

Le Président de la Société formait alors le souhait qu'un grand nombre de membres suivent l'exemple de M. PONS d'HAUTERIVES afin de préparer une édition aussi complète que possible.

 

A son tour, le chanoine HERMET s'y était employé et la Société des Lettres possède aussi son exemplaire complété par des additions et des rectifications concernant le Larzac et la région de l'Hospitalet.

 

Les chanoines RIGAL et VERLAGUET, eux aussi, émirent le regret disant " que des améliorations auraient pu être ajoutées s'il s'était trouvé des amateurs aussi zélés et obstinés que M. PONS d'HAUTERIVES et l'abbé HERMET dans chacun des arrondissements de l'Aveyron." Eux-mêmes d'ailleurs ont laissé d'abondantes notes, réunies et complétées d'ailleurs par M. Jean DELMAS qui a vu son projet de réédition du dictionnaire compromis par l'édition primitive reprise "en reprint" effectuée en 1979 par la Maison Laffitte de Marseille.

 

Je terminerai cette communication, peut-être un peu aride en certains endroits et je m'en excuse, par l'avis que porta sur cette oeuvre de l'abbé VAYSSIER, l'oeil pénétrant et le style concis mais toujours impartial de M. Jacques BOUSQUET, professeur émérite de l'Université de Montpellier et ancien Directeur des Archives Départementales de l'Aveyron.

 

Voici ce qu'il exprimait, dans un article paru en 1965 dans la "Revue du Rouergue" :

"VAYSSIER trouvait en son temps une situation culturelle bien différente de la nôtre : élite cultivée, réduite mais douée d'une vive curiosité intellectuelle et du désir de conserver toutes les richesses d'une province où elle restait volontiers enfermée, mais aussi consciente d'être coupée de la masse populaire illettrée.

 

Le dictionnaire devait permettre aux bourgeois "francisés" de comprendre la langue du peuple (avocats et médecins en particulier). Volonté surtout de conserver un ensemble linguistique original qui commençait à s'oublier ou à s'affadir.

 

Il a exercé donc un rôle de conservateur. Le conservateur actif est celui qui parle la langue ; le passif, lui, a pour tâche de maintenir les oeuvres d'art, les documents historiques pour que les autres puissent y puiser la connaissance ou le plaisir esthétique. Mais, même passif, il faut agir, recueillir, classer, préserver. L'abbé VAYSSIER l'a fait avec soin et minutie, patience et persévérance. Comment ? Par des enquêtes réalisées par ses élèves des Petits Séminaires de St Pierre et de Belmont. Il est le précurseur des Atlas linguistiques dont le premier paraîtra seulement en 1902.

 

Les omissions de l'abbé VAYSSIER s'expliquent. Il fut arrêté en chemin par prudence vis-à-vis des mots et des choses. En effet, il était prêtre, ne pouvant ainsi tout écrire par pudibonderie (en particulier pour des mots mal sonnants, parlant de plaisirs défendus même de la danse), ces limitations venues beaucoup plus du milieu que de la personne.

 

Ainsi VAYSSIER devait trouver un plaisir profond à chercher à travers sa langue maternelle tout un passé de genres de vies, de coutumes, toute une histoire du terroir.

 

Mesdames et Messieurs, mon dernier mot sera pour vous inviter à lire - si vous ne l'avez déjà fait et si vous en avez la possibilité - le dictionnaire patois-français de l'abbé Aimé VAYSSIER. Vous aurez sûrement beaucoup à y apprendre.

 

Georges GIRARD

 

Majoral du Félibrige

 

Belmont sur Rance

10 septembre 1995

 

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