CHAPITRE III

 

La Chapelle de Gironde

 

Le Moyen Age a fait jaillir, du Rhin à l'Océan, et de la Flandre à la Provence, une incomparable floraison de sanctuaires dédiés à la Mère de Dieu qui sont comme l'Ave Maria permanent de la terre française. Cette magnifique parure de cathédrales et basiliques, vaisseaux de haut-bord aux vitraux flamboyants et aux flèches élancées, et d'humbles sanctuaires blottis dans les bois ou dressés sur les montagnes, élevés en si grand nombre à Notre-Dame, constitue un « acte de foi à la Vierge traduit en pierre », comme s'exprime l'historien Michelet. Marie, chez nous, est partout chez elle. Les vocables sous lesquels nous l'invoquons composent une interminable et filiale litanie ; mais un seul les résume et les englobe tous :

« Notre-Dame de France, dit Mistral, un nom que nous t'avons fait ». Notre patrie, de Chartres à Lourdes, du Puy à la rue du Bac, de Rocamadour à La Salette, est un véritable Rosaire vivant.

Parmi les cinquante endroits et plus du Rouergue où Marie reçoit d'antiques hommages, Gironde peut revendiquer des origines lointaines. Le pieux seigneur qui l'érigea en chapellenie en 1428 semble lui-même en ignorer la date quand il dit « in capella olim instituta », c'est-à-dire dans la chapelle anciennement érigée à la Mère de Dieu. Sa fondation parait donc bien antérieure au quinzième siècle.

A quelques mètres du château dont elle porte le nom, sur le même gigantesque rocher qui surplombe la vallée que le Lot sillonne de ses méandres, la chapelle de Gironde était le joyau sacré de la demeure seigneuriale.

« Ceste chappelle estoit sy petite que sept ou huit personnes la remplisoit... » Un autre document donne sensiblement la même étendue : « Il paroist de l'acte de fondation de l'année 1428, il ni avait dans la chapelle qu'un petit autel et qu'elle pouvait à peine contenir dix personnes; marque assurée et indubitable que ce n'estoit qu'un simple oratoire qui avait esté construict que pour le seul usage du seigneur de Gironde et de ses domestiques ».

Cet oratoire privé serait donc contemporain de l'ancien château de Gironde dont il garde le nom. Un vieux manuscrit nous apprend, en effet, qu'il était situé dans son enceinte « intra aut juxta castrum de Girunda... au milieu de la cour du chatteau et à une cane de la muralhe et porte de service du dit chatteau ».

Le chœur était tourné vers l'orient : lui faisait face l'unique entrée surmontée d'un cocher-arcade ou simple pan de mur percé à jour, dans lequel les cloches étaient ainsi à découvert. On voit encore ce genre de campanile à la chapelle Notre-Dame de Pitié au cimetière de Fla­gnac, et sur le chevet de l'église de Saint-Parthem.

La vétusté de certaines parties de l'édifice, les besoins du culte, l'affluence des pèlerins, la générosité des bienfaiteurs amenèrent, au cours des siècles, divers agrandissements et restaurations, comme d'ailleurs à la plupart de nos églises rurales.

En 1550, « l'ancien oratoire feust augmanté d'une petite chappelle , et ce feust pour lhors qu'on releva un second autel à l'honeur de saincte Anne ».

Le dimanche 22 août 1649, à l'issue de la messe paroissiale, Jean Vesac et Amans Boyssière marguilliers, à la requête de Pierre Boyer, prieur d'Agrès, exposent à la communauté que « les esglises d'Agrès et de Gironde ont besoing de réparations, et qu'il y a de l'argent entre les mains des vieux marguliers ; la Communauté leur donne pouvoir de les convenir en justice pour employer ledit argent aux séparations nécessaires des dites esglises ». Cette délibération à laquelle prenait part Jean Serres, chapelain de Gironde, fut exécutée sans délai, comme il résulte de « sept quittances en quatre pièces » faites en 1649 par Jean Griffeuille, Bernard Alran, marguilliers et autres. Nous ne connaissons que la quittance de 12 livres 5 sols délivrée, le 12 septembre par les marguilliers d'Agrès et de Gironde à Antoine Serres, précédent marguillier.

 

En 1650, Gaspard de Felzins fit « adjuster à la dicte chappelle une autre chappelle latéralle dans sa basse-cour, bastie des démolitions de la muraille de la susdite cour qu'il falut abatre et autres matériaux qu'il fourny ». Le seigneur de Gironde ne semble pas avoir apporté de contribution pécuniaire.

Les travaux de construction et quelques réparations furent effectués par Hugues Mazac, maçon, en collaboration des nommés Mas et Altasserre. D'après la quittance du 19 mai 1650, le montant s'éleva à 33 livres, remises au maitre-maçon par Antoine Serres et Antoine Frons, marguilliers. Au cours du différend qui s'élèvera plus tard entre Christophe de Felzins et Pierre Boyer prieur d'Agrès, Hugues Mazac reconnaitra devant Ramondies, notaire, l'exactitude des faits ci-dessus.

Cette dernière chapelle reçut, en 1657, un autel dédié à saint Joachim. Une ordonnance de l'autorité diocésaine en date du 10 octobre 1659 autorisait Pierre Boyer à bénir la chapelle nouvellement construite, mais au dire de Christophe de Felzins, cette bénédiction n'eut pas lieu.

En 1666, Antoine Rous, vicaire d'Agrès, employa Antoine Ginoulac « carpentier » à la construction de deux armoires dans le « cœur » de la chapelle de Gironde, et lui donna deux livres, d'après le témoignage de l'intéressé lui-même du 10 juin 1676.

Le 1er  octobre 1739, Mgr Jean d'Ize de Saléon, en cours de visite pastorale prescrivit la démolition des autels latéraux et le nivellement du pavage de la nef et des chapelles.

L'oratoire de Gironde ne subira plus de modifications notables pendant cent-cinquante ans : ses vieux murs ne connaitront d'autre écho que les pas du pèlerin renouvelant les gestes chrétiens des aïeux, mais le temps amènera un tel délabrement à ce vénéré sanctuaire qu'il menacera de tomber en ruines.

Le 14 mai 1884, le chanoine Tournemire, promoteur, au nom de Mgr Bourret, adressait à Auguste Antérieu, curé d'Agrès, ce qui suit :

« Monseigneur l'Evêque a été informé que diverses réparations sont nécessaires à la chapelle de Gironde, surtout que la reconstruction de la toiture est d'une extrême urgence... Il serait fort à désirer, dans l'intérêt commun, que M. le Curé d'Agrès fut autorisé à faire construire au-dessus de la porte d'entrée un petit clocheton pour abriter les deux cloches qui ne sont suspendues que par un pan de mur ».

Le premier dimanche de juillet suivant, le Conseil de Fabrique fut réuni : voici l'essentiel de la délibération : « Depuis longtemps, les habitants d'Agrès, ainsi que les pèlerins étrangers se plaignent de ce que ni la Fabrique, ni le curé d'Agrès ne font jamais rien pour la chapelle de Gironde qui, faute d'entretien, menace de tomber en ruines... Le Conseil décide que M. le Curé, après avoir consulté l'autorité diocésaine et pris conseil d'un homme compétent se chargera lui-même de traiter avec les ouvriers et de diriger les travaux, et d'en acquitter le montant ».

Le 31 août, le paroisse d'Agrès, pour combattre le phylloxera des vignes, faisait vœu d'accomplir un pèlerinage à Gironde pendant neuf ans, et promettait de donner une généreuse offrande pour la restauration de la chapelle.

 

Dès lors, l'abbé Antérieu ouvrit une souscription paroissiale et s'occupa des réparations les plus urgentes. Qu'il nous soit permis de rappeler ici sa mémoire à ses anciens paroissiens. Ceux qui l'ont vu à l'œuvre savent qu'il fut l'inlassable restaurateur de l'antique pèlerinage.

Le château s'opposa d'abord au projet de restauration, puis retira sa défense. En octobre 1884, la toiture neuve était terminée. Mais à la vue de l'intérêt que chacun portait à cette entreprise, on envisagea l'agrandissement et la restauration de la chapelle. Le 9 février 1885, M. de Gironde interdit les réparations, mais cédant aux conseils d'un de ses parents, il revint sur sa décision.

M. Antérieu se remit, à l'œuvre le 28 avril. Grâce au concours de ses paroissiens et d'un groupe d'hommes de Saint-Julien-de-Piganiol, Saint-Santin et Almont, la contre-chapelle du couchant fut démolie, le rocher aplani pour les fondations. L'entreprise des bâtisses fut donnée à  Justin Bladviel, entrepreneur à Saint-Santin de Maurs. On construisit d'abord le mur de soutènement de la terrasse du côté du Lot, puis la nouvelle chapelle qui mesure 17 mètres de long sur 6 de large, et au-dessus de la façade le clocher.

La charpente de la chapelle, celle du clocher et son plancher furent posés par Baptiste Bos, du Vialenq, et François Mas, de Puechlascases, tous deux du Port d'Agrès. Le couvreur Pierre Roux, de Saint-Parthem, posa la dernière ardoise et hissa la croix au clocher le 24 octobre 1885. Fin juillet eut lieu la pose des vitraux de sainte Anne et de saint Pierre, œuvre de

L. Lachaize, maitre-verrier à Rodez. Le 7 octobre, l'entrepreneur Justin Bladviel fut chargé de construire la sacristie, y compris le pilier qui la soutient.

Les fouilles pratiquées pour abaisser le niveau du sol de la chapelle amenèrent la découverte d'ossements devant l'ancien autel, recouverts d'une solide maçonnerie. Les uns, pêle-mêle dans la poussière, semblaient être ceux d'un homme : la mâchoire inférieure portait six dents fortes et longues comme celles d'un vieillard. Les autres retenus dans trois planches assez bonnes, mais mal travaillées, parurent les restes d'une femme : le crâne était intact, la mâchoire portait cinq dents. Tous ces restes furent recueillis dans une bière neuve et remis à la place où ils furent trouvés. Une telle déférence s'imposait aux restes de Bégon de Bertrand, fondateur de la chapellenie de Gironde le 5 mai 1428, dont nous parlons longuement dans la suite.

Les rosaces des deux chapelles latérales et celle du chœur reçurent, le 21 mai 1887, les vitraux de saint Joseph, du Sacré-Cœur et de Notre-Dame de Gironde. Ce dernier au-dessus du maitre-autel, particulièrement réussi, est la reproduction de la statue de Notre-Dame. Ces trois vitraux, fournis par la maison Victor Gesta, de Toulouse, coûtèrent ensemble deux cents francs.

Le 8 mai 1888, fut installé l'autel principal en chêne, œuvre de J. Boulouis, menuisier-sculpteur à Trémouilles, canton de Pont-de-Salars.

Le 2 juillet, eut lieu l'érection canonique du Chemin de la Croix par M. Austruy, curé-doyen de Livinhac. La souscription avait été rapidement couverte par quatorze bienfaiteurs.

Le chœur de la chapelle a été décoré, en janvier 1890, par Fidèle Ondolo, peintre italien, demeurant à Rodez.

En juillet 1891, crépissage extérieur de la chapelle par Cayron père, de Flagnac.

Le 18 juillet 1893, l'autel du Sacré-Cœur fait par J. Boulouis fut mis en place, ainsi que la statue qui le domine.

La remarquable décoration de la nef et du transept fut effectuée par M. Petit, domicilié à Verfeil (Tarn-et-Garonne). La coupole du transept est ornée des portraits du pape Léon XIII et du cardinal Bourret, de tableaux représentant l'un le cavalier miraculeusement sauvé des eaux, et l'autre des pèlerins portant leurs enfants et montant la colline de Gironde.

La nef reproduit l'Assomption de Marie et quelques médaillons symbolisant les vertus de foi, d'espérance, de charité et de pureté.

Le 17 novembre 1894, M. Aldebert, archiprêtre de la cathédrale de Rodez, donna la bénédiction canonique à la chapelle de Gironde, entouré d'un grand nombre de fidèles.

M. Bourdoncle, curé d'Agrès, a fait restaurer trois vitraux abîmés par le vent, repeindre le chœur et la nef défraichis par l'humidité (1) et réviser la toiture.

Telle est la chapelle de Gironde, tellement incarnée dans le roc qu'on dirait qu'elle est née du sol. Son intérieur est simple et joli comme un écrin : une châsse en maçonnerie.

« Le silence, a dit Ernest Psichari, est un peu du ciel qui descend vers l'homme ». Cette solitude aimée des pèlerins leur permet d'accomplir un acte de foi dans la présence permanente de Notre-Dame dans ce haut-lieu de prière du Rouergue.

 

(1) Peintures exécutées avec goût par Antoine. et Garcia, peintres-décorateurs à Viviez.

 

La statue en bois de la Madone placée sur le tabernacle du maitre-autel mesure 50 centimètres, non compris le socle de 7 centimètres qui parait postérieur. Elle représente la Vierge Mère assise dans un siège carré de forme antique, tenant l'Enfant-Jésus sur le genou gauche. Le sommet de la tête semble avoir été arasé légèrement pour permettre le maintien du diadème en argent au XVIIe siècle, restauré pour l'Ostension des Madones en 1951. La robe est en grande partie recouverte d'un manteau; le voile couvre la tête et retombe sur les épaules. La chaussure pointue dite à la poulaine représente le modèle courant aux XIIIe et XIVe siècles. Particulièrement curieuse la position du globe symbolisant le monde placé sous la main droite de la Vierge (1). La main gauche maintient l'Enfant jusqu'au-dessus du talon.

L'Enfant-Jésus dont la tête est couronnée, bénit de la main droite, et de la gauche tient le Livre de Vie, comme le Christ de l'Apocalypse du portail de Conques où on lit ces mots :

 « Signatur liber vitae », c'est-à-dire : le Livre de Vie est scellé. Ce trait correspond à une iconographie assez archaïque, tandis que la position désaxée de l'Enfant marque une évolution par rapport au schéma de Vierge du XIe ou XIIe siècle rigoureusement symétrique caractérisant le plan de la frontalité où l'Enfant assis au milieu de la Mère se trouve sur le même axe, telles Notre-Dame d'Estables et Notre-Dame de Lenne, du XIIe siècle, si appréciées des archéologues et des connaisseurs.

La plupart des Madones antiques sont généralement des œuvres d'artisans locaux dont les noms restent inconnus, mais qui, proches du peuple, pour lequel ils travaillaient, vivant au milieu de lui, ont réussi à faire passer l'âme d'une race croyante dans leur âme, pour l'exprimer à leur simple et belle manière : l'art est le rayonnement de la vérité.

 

(l) Certaines Vierges espagnoles de Montserrat, de Puycerda, et d'Ujue notamment, présentent le globe sur la main ouverte.

 

En 1883, le dos un peu vermoulu de la statue de Notre-Dame de Gironde nécessita un léger plâtrage général; il fut effectué à Rodez par M. Galouze, doreur, pour le prix de 45 francs. La statue fut rapportée à la chapelle le 8 décembre, cinq jours avant la mort d'Antoine Jarny, curé d'Agrès.

Quelle époque fixer à notre Madone, signalée pour la première fois dans le procès-verbal de visite pastorale du 1er octobre 1739 de Mgr Jean d'Ize de Saléon. Tous les connaisseurs s'accordent pour dire que la Vierge de Gironde présente tous les caractères d'une œuvre du XIIIe siècle, parmi lesquels le chanoine Touzery (1), M. de Gauléjac, archiviste à Nevers. D'après M. Jacques Bous­quet, archiviste de l'Aveyron, elle remonterait à la deuxième moitié du XIIIe siècle.

En vertu du droit d'asile si respecté au Moyen Age, il était défendu de commettre aucune violence dans les églises, cimetières et autres lieux sacrés, sous peine d'être jugé comme sacrilège. Les édifices religieux devenaient ainsi le refuge inviolable du faible et de l'opprimé. Les cloches pouvaient, à toute heure, donner aux citoyens le signal de se mettre en garde en cas de surprise. Ainsi s'explique la mention des cloches de Gironde par Christophe de Felzins; « Il ny en avait qune dans la chapelle, et l'autre estait dans une cour du chasteau pour avertir le peuple de se rettirer lhors qu'on voyait paroistre du hault de la tour les ennemis dont elle a esté déffendue dans la chapelle ».

Le procès-verbal de visite pastorale de juillet 1519 mentionne deux cloches (campanae duae) à la chapelle de Gironde. Signalées encore en 1675, elles survécurent à la tourmente révolutionnaire, tandis que la journée du 13 au 14 frimaire (3-4 décembre 1793) voyait l'embarquement au Port de La Combe, pour la fonderie de canons de Montauban, des cloches des églises suivantes, avec le nombre et le poids : Agrès, 3, poids 423 livres, fer 41 l.

- Flagnac : 3, 329 l, fer 150 L; - Pagaz : 2, appartenant à Brunet, du dit Pagaz, portant gravés les noms de ses prédécesseurs et données volontiers à la nation, 355 L, fer 25 L ; - Agnac : 1, 45. L, fer 41 l; - Saint-.Santin : 1, 568 l, fer 83 L; - Saint-Julien : 4, 288 l, fer 42 l; - Saint-Parthem 3, 348 l, fer 170 1. Furent embarquées au passage : Livinhac : 1, 670.1., fer 121 l.-La Roque-Bouillac : 2, 771 L, fer 100 l. (1).

 

 

(1) Chanoine TOUZERY, Les Bénéfices du diocèse de Rodez. Rodez, Imprimerie Catholique, 1906, p. 284.

 

Voici le relevé des inscriptions des cloches de Gironde effectué par M. Bernard de Gauléjac, archiviste : celle du côté sud porte : IHS - MRA - INRI - 1582; une guirlande renaissance en fait le tour. Celle du côté nord porte, en belles onciales, l'inscription suivante : Santa Maria ora pro nobis de Girunda. Au-dessous, trois figurines romanes représentent la Vierge-Mère, saint Michel terrassant le dragon, la Crucifixion ; au fond, autre inscription : Virgo Maria -- O mater Dei - Memento mei- IHS. Elle ne porte pas de date, mais d'après les connaisseurs, elle serait plus ancienne que l'autre cloche et remonterait au début du XVIe siècle, contemporaine de la grosse cloche encore en service à Saint-Parthem et qui porte la date de 1514.

Bien des grands de la terre avaient la préoccupation de vaincre la mort en laissant après eux des monuments de survivance capables de conserver dignement leur mémoire aux générations à venir. Ils désiraient ayant tout qu'autour de leur tombeau régnât, sans relâche, dans la suite des temps, une atmosphère de prière pour le repos de leur âme et de celle de leurs descendants. Un repos, une prière, c'est ainsi que le monde chrétien comprenait la mort au Moyen Age.

 

 (1) P. A. VERLAGUET, Vente des Biens nationaux du département de l'Aveyron. Millau, Artières et Maury, II, pp. 705-706.

Voici une liste certainement incomplète des morts inhumés dans la chapelle de Gironde, confondus dans l'égalité fraternelle du tombeau.

Bégon de Bertrand, fondateur de la chapellenie le 5 mai 1428, décédé à une date inconnue : 1er février 1442, il est encore présent à un acte passé devant Ramond de Trayssac, notaire, à Flagnac. Durant deux siècles eut lieu chaque année un service anniversaire pour le fondateur auquel étaient appelés les prêtres d'Agrès et des environs : « Le jour de Nostre-Dame des Avants, les prestres disant la messe dans la chapelle estoient revestus de chapes noires qui faisoient après la messe les prières et cérémonies ordinaires des morts sur la bière et sépulcre du Fondateur ». Le seigneur de Gironde leur donnait à dîner dans son château, et « l'un desquels faisait la distribution de l'aumosne généralle (1) à 7 ou 800 pauvres qui y viennent... et que le seigneur donne annuellement ce jour ».

Vers 1675, Christophe de Felzins dira « Il n’y a que peu de temps que les prestres ont reffusé de continuer, disant qu'il leur avoit esté déffandu ».

 

 (1) L'Aumône générale ou Charité était imposée aux héritiers par le Testateur. Les motifs qui l'inspiraient étaient partout les mêmes : pour l'amour de Dieu et le rachat de mon âme et de celle de mes parents. Elle consistait en une distritution de pains appelés communément pièces qu'on donnait devant la porte de la maison du défunt. Dans certaines paroisses on y ajoutait le vin.

 

Par testament du 8 décembre 1575, Antoine de Bertrand veut « estre ensevelly en la sainte chapelle de Gironde et au devant l'autel de saincte Anne ». Le 18 octobre 1590, Claude de Colon, épouse de Gaspard de Felzins, ordonne « que son corps soit ensevelly dans l'église de Gironde, dans le tombeau de son second mary ».

Le 3 janvier 1649, Catherine de Gausseran, comtesse de Gironde, veut « qu'après que son ame sera déséparée de son corps, son dict corps estre inhumé et ensevelly dans lesglize chapelle de Gironde ». Elle meurt le 17 du même mois.

Y furent encore inhumés : Gaspard de Felzins, décédé le 5 septembre 1618; Marguerite de Monthanar, décédée le 5 septembre 1636; Guillaume de Felzins, fils de     Christophe, inhumé le 2 juillet 1663.

 

La sacristie de la chapelle de Gironde possède trois objets d'orfèvrerie : calice, ciboire, reliquaire.

Le procès-verbal de visite pastorale de 1519 signale un calice d'argent et un calice de cuivre, calix unus argenti et unus letonis. Tous deux ont disparu. Le calice actuel en argent, style Louis XIV, date de la première moitié du XVIIe siècle. Les poinçons TOL et B. La Cère indiquent le lieu d'origine Toulouse et le nom de l'orfèvre. De cet atelier sont sortis notamment la custode des malades de l'église d'Agrès, le calice de l'église de Camboulazet, le ciboire de la chapelle de Vernhettes, commune de Goli­nhac, la petite croix processionnelle du Piboul (1).

Le ciboire en argent porte le poinçon PIN. Il est du XVIIe siècle, et antérieur à la déclaration royale du 31 mars1672 qui ordonnait de contremarquer les objets d'orfèvrerie.

 

 

(1) Charles PORTAL, Dictionnaire des Artistes et Ouvriers d'art da Tarn du XIIIe au XXe siècle. Albi, 1925, pp. 181 et 182. Il mentionne des travaux d'art exécutés par Bernard Lasserre orfèvre à Toulouse pour Rabastens en 1555 et 1565 : Saint-michel de Gaillac en 1558. Son fils et successeur fournit des objets d'orfèvrerie à l'église de Gaillac en 1694 et à la cathédrale de Castres en 1722.

 

Les reliques étaient, au Moyen Age, l'objet d'un culte très populaire, et les fidèles se montraient jaloux d'en enrichir les autels. Ils faisaient de longs voyages pour s'en procurer, les portaient solennellement en procession, les touchaient pour obtenir une guérison ou prêtaient serment en leur présence, et il n'y avait pas de serment plus redouté. Par contre, cette dévotion ne fut pas toujours suffisamment éclairée. Des exploiteurs firent un commerce sans scrupule de ces souvenirs religieux, parfois acquis par la ruse, la violence et le vol.

 

A égale distance d'une défiance injurieuse pour de vénérables traditions et d'une excessive crédulité pour des légendes sans autorité, tel sera notre exposé.

La chapelle de Gironde fut enrichie de reliques provenant d'une double origine : la Terre Sainte et l'Italie.

La maison de Gironde prit part aux Croisades à une date inconnue. Dans un écrit du 27 juillet 1676, Christophe de Felzins rappelle le « zelle à luy transmis par la pietté des encestres desquels le Ciel a tellement bény la religion et les voyages d'oultre mer dans la terre sainte qu'en ayant transporté de prétieuses reliques dans un oratoire ou chappelle privée de leur chasteau servi par leur chappelain soubz l'invocation de la Vierge, ceste illustre et débonnaire patronne a attiré au secours de ces pieux seigneurs la dévotion de toute la province, ayant fait cognoistre qu'elle prenoit plaisir d'astre honnorée en ce lieu ».

De plus, dans un Factum du 25 février 1676, le même seigneur de Gironde mentionne les

 « reliques qu'ils (ses devanciers) y ont apporté du voyage de la Terre Sainte, au hasart de leurs biens et péril de leur vies ». D'après un vieux Mémoire, il s'agirait d'une parcelle de vêtement de la Vierge Marie.

La tradition cède la place à l'histoire quand il s'agit de la seconde catégorie de reliques. Dans l'acte de fondation de la chapellenie de Gironde, le 5 mai 1428, Bégon de Bertrand assigne à la chapelle du château une croix ou reliquaire, ornée de cristal et munie de diverses reliques de saints, apportée par lui-même d'Italie « unam crucem seu reliquiarium de christallo ornatam et diverses reliques sanctorum munitam, quam crucem seu reliquiarium et Italia apportaverat dictus nobilis Bertrandi ». En 1675, Christophe de FeIzins rappelle ce fait :

« Despuis plusieurs siècles, ses autheurs firent construire une chapelle ou oratoire dans la Basse cour du chasteau de Gironde qui l'ornèrent de reliques de divers saints qu'ils portèrent d'Italie et qui ont despuis peu attiré la dévotion des fidèles en ce lieu ».

Les ravages des Protestants, dans la seconde moitié du XVIe siècle, firent prendre pour les reliques conservées à Gironde, des mesures analogues à celles dont le trésor de sainte Foy fut l'objet. L'église et le Chapitre de Conques avaient été incendiés par les religionnaires le 9 octobre 1568. Afin de mettre à l'abri de leurs nouvelles entreprises les reliques de sainte Foy, on les enfouit dans la construction du mur de l'entrecolonnement de l'abside. C'est là qu'elles furent retrouvées le 21 avril 1875, en pratiquant sa démolition. Un double tournois de 1590 trouvé dans le coffret des reliques permit de déterminer approximativement l'époque de leur enfouissement.

Une tradition constante assurait que les reliques de, Gironde étaient cachées dans la chapelle; mais les recherches étaient demeurées vaines. Ce fut en 1649 qu'elles furent mises à jour à la suite de circonstances dont fut témoin Christophe de Felzins. « Un sein d'abeilles » plusieurs fois dissipé et qui venait se reformer au même endroit fit découvrir le précieux dépôt. Le hasard n'est que l'incognito de Dieu. Le procès-verbal du 5 août 1649 mentionne « l'ouverture d'un petit coffre et de deux boètes treuvées dans le milieu d'un hostel de pierre... qu'il faleut démolir pour les avoir.., où il y avoit quantité de reliques ».Ce procès-verbal fut rédigé par Desnoets, curé de Livinhac et vicaire forain, commissaire délégué par un vicaire général de Rodez, à la requête de Jean Julien, ancien curé d'Agrès, grand ami du seigneur de Gironde, présent à la translation, ainsi que Jean Serres, chapelain, Gaspard de Felzins et son fils Christophe.

Le 20 septembre suivant, « en présence de plusieurs nobles personnages.», le vicaire général dresse le procès-verbal de « veriffication des reliques » remises à Jean Julien, ex-curé d'Agrès, et rend une ordonnance qui prescrit de les mettre en lieu décent…en attendant la faction d'un reliquaire que l'ancien prieur avait promis de faire ».

D'abord déposées dans le, tabernacle, les reliques furent transférées dans une des deux armoires qu'Antoine Rous, vicaire d'Agrès, fit construire, en 1666, dans le chœur de la chapelle par Antoine Ginolhac « carpentier et tysseran » du lieu d'Agrès, pour le montant de deux livres. C'est là qu'elles étaient encore lorsque le château de Gironde prit feu, au soir du 12 août 1676. Le procès-verbal d'enquête de l'incendie mentionne « deux armoires qui sont près de l'autel de la dite chapelle, qui furent enfoncées par les gens qui estoient veneus au secours pour arrester l'incendie, afin de sortir les reliques et ornemens de ladite chapelle, sur lapréhension que le feu ne s'y print ».

C'est dire que l'offre d'un reliquaire par Jean Julien décédé le 25 août 1658, renouvelée probablement par Pierre Boyer, prieur d'Agrès, n'était pas réalisée ; aussi est-elle qualifiée de « pure chimère » par Christophe de Felzins. D'autre part, celui que Bégon de Bertrand avait affecté à la chapelle en 1428 avait disparu.

Le reliquaire actuel est ainsi décrit par M. Bernard de Gauléjac (1) : « Le reliquaire de Notre-Dame de Gironde est un joli objet d'intérêt secondaire, type du reliquaire paroissial courant. Le pied à six lobes et la tige hexagonale à nœud côtelé sont en cuivre argenté, seule la partie supérieure est en argent. Le reliquaire en cristal, placé horizontalement, est supporté à chacune des extrémités par une plaque d'argent surmontée d'un arc en accolade avec crochets et fleurons, entre deux contreforts à pinacles : chaque plaque est décorée au repoussé d'un symbole évangélique, le Lion et l'Aigle. Un gâble ajouré, dont les rampants sont garnis d'un rang de crochets, s'élève au-dessus du cylindre et réunit les supports de celui-ci ; il est orné d'un gros cristal en son milieu et amorti par une boule côtelée, surmontée d'une petite croix dont l'extrémité des bras s'épanouit en feuillages. Le poinçon d'orfèvre a été insculpé deux fois sur cet ouvrage, sans qu'il y ait trace d'un poinçon de garantie ».

Le reliquaire de Gironde est sorti de l'atelier d'Hector et Jean Rayronie, surnommés tous deux Chiro. Le père est déjà établi à Rodez en 1449; le fils est mentionné pour la première fois en 1477. On peut encore attribuer aux Rayronie, orfèvres de grande classe, un retable d'argent jadis à la cathédrale, la croix processionnelle de Flagnac et une petite croix pédiculée de Salles-Curan(2).
Nous ne sommes pas éloigné de penser que le reliquaire de Gironde ait été commandé à Hector Rayronie par Bégon de Bertrand. Ils étaient contemporains : le seigneur de Gironde est mentionné en 1442, et l'orfèvre de Rodez en 1449.

 

 

 

(1) B. de GAULEJAC, Histoire de l'Orfèvrerie du Rouergue. Rodez, Carrère, 193SS, pp. 45-16.

(2) Le reliquaire de Gironde a figuré en juin 1937 à l'Exposition rétrospective d'Orfèvrerie religieuse, au musée Fouaille à Rodez.

 

 

De la « quantité de reliques » découvertes à la chapelle de Gironde en 1649, le reliquaire actuel ne contient plus que les suivantes : Beatae Mariae Virginis (parcelle de tissu oriental), un minuscule paquet d'étoffe sans indication; saint Amans, saint Eustache, sainte Foy, sainte Pazzie (Madeleine), saint Parthem, saint Hugues et saint Artémon. Parmi ces souvenirs religieux, quelques-uns touchent de si près à notre histoire locale que ce, ne sera pas, croyons-nous, s'éloigner du cadre de notre travail en donnant les renseignements qui suivent.

Saint Parthem ou Arthem serait mort évêque de Cler­mont en 394, sensiblement à la même époque que saint Martin de Tours. Avant l'érection du diocèse de Saint - Flour en 1317, la paroisse de Saint-Parthem servait de limite au diocèse de Clermont. Les reliques du saint évêque furent éloignées de la ville épiscopale et une partie fut cachée dans notre région, probablement afin de les soustraire au vandalisme de quelque invasion. Dès lors, cette localité qui s'appelait La Gravière prit le nom de Saint-Arthem, devenu plus tard Saint-Parthem. L'authenticité des reliques de l'évêque de Clermont conservées chez nos voisins a été constatée les 6 et 26 mai 1549 par Mgr Nico­las Mangris, évêque de Salonne, vicaire général du cardinal d'Armagnac; le 25 octobre 1672, par Thomas Regnoust, vicaire général de Mgr de Voyer de Paulmy; le 21 avril 1882, par Mgr Bourret.

La paroisse de Saint-Parthem a l'insigne honneur de garder les ossements d'un de ses fils, le Bienheureux Hugues ou Hugon, originaire du village de Puechagut. Ce religieux aurait vécu au XIIe siècle, menant une vie érémitique dans une grotte qu'on voit encore. Les vicaires généraux du cardinal d’Armagnac. (1530-1562) et de Mgr de Voyer de Paulmy (1667-1682) le jugèrent digne d'un culte public.

Le 28 mai 1673, on vit à Saint-Parthem une affluence l'environ deux cents prêtres et vingt mille fidèles prendre part à une splendide procession où furent portées les lasses du saint évêque de Clermont et du Bienheureux Hugues (1).

Le vandalisme révolutionnaire avait pillé le trésor des reliques de la cathédrale de Rodez. Mgr Pierre Giraud voulut réparer une perte si sensible. A sa demande, le pape Grégoire XVI lui envoya les restes d'un martyr : tiré des Catacombes, saint Artémon. Sur le marbre qui scellait son tombeau, et envoyé avec le saint corps, figuraient le nom en caractères grecs et une ancre surmontée de la Croix. Le temps qui a respecté cette inscription n'a laissé arriver jusqu'à nous, touchant le saint martyr, aucune de ces circonstances que nous aurions aimées à connaître. Tout ce qu'il est permis de conjecturer, d'après ces indices assez probables, c'est que la Grèce lui aurait donné le jour vers le commencement du IIIe siècle. Les traces de feu que présentent quelques-uns de ces ossements semblent indiquer qu'un bûcher fût le char de triomphe d'où son âme prit son vol vers le ciel. Afin de célébrer la translation de ces reliques avec une pompe digne du présent et du donateur, Mgr Giraud adressa un appel au diocèse et convoqua, le 7 août 1839, les paroisses à Rodez. Des fêtes inoubliables furent célébrées en cette circonstance auxquelles prirent part quatre-vingt mille fidèles (2).

 

(1} GRIMALDI, Les Bénéfices... pp. 747-748. - Revue Historique du Rouergue (1914), pp. 27-29.

(2) Abbé SERVIERES, Histoire de l'Eglise du Rouergue, p. 619.

 

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